Prostitution sur internet : les sites d’escortes dans une bonne passe

Un reportage d'Hugo Lemonier, Antoine Morel, Pascal Epée et Floriane Pelé. Intervenants : Sarah, prostituée, et Emma Crews, "les Amis des Femmes de la Libération"

Un an après l'adoption de la loi sur la pénalisation du client, un secteur reste en pleine expansion : la prostitution sur internet. Elle représenterait près des 2/3 de la prostitution en France et se développe y compris hors des grandes métropoles.

Vous connaissez peut-être Vivastreet pour ses annonces immobilières. Mais le slogan du site de petites annonces - "Vous savez où trouver !" -  s’applique également à des offres d’un tout autre style.

"LUNA ET LUNA SOLDES A PARIS.24h", "SEXY BLONDE RUSSE", "Black sexy et raffinée duo possible", "Premiere fois! Très Jeune Sexy Corée!" (sic)… Ces titres suggestifs défilent en une de la rubrique "Services Adultes". Il suffit de décrocher son téléphone pour lever le doute sur la nature des prestations proposées. "80 € la demi-heure, 150 euros l’heure", susurre la voix suave d’une femme au bout du fil, avant d’énoncer tout un cortège de pratiques sexuelles.

Les militants en lutte contre la prostitution assistent depuis quelques années à une explosion du phénomène : 62% de la prostitution passe par internet selon l’association abolitionniste Le Mouvement Le Nid.

L'image ternie de Vivastreet

Vivastreet ne souhaite plus communiquer au sujet de ses annonces "érotiques". Le site est visé par une plainte pour "proxénétisme sur une enfant mineure", déposée par les parents d’une fille de 15 ans, en novembre 2016. Plusieurs annonces la présentant comme une "masseuse de 20 ans" ont surgi sur le site de petites annonces depuis un an. Selon l’émission Secrets d’Info, l’affaire pourrait ne pas être un cas isolé.

Ces révélations entachent la réputation du deuxième site d’annonces français après Leboncoin. Yannick Pons, son fondateur, court les plateaux TV où il affine son image de self-made man. Encensé par la presse économique, il vient tout juste de sortir du classement des 500 plus grandes fortunes de France, avec 70 millions d’euros de patrimoine.

Communicant habile, l’homme n’a pas toujours la formule heureuse. Interrogé sur ses perspectives de développement sur BFM Business, le patron lâche : "On ne va pas essayer de détrôner Leboncoin… Par contre, il y a un certain nombre de catégories qui ne sont pas si bien couvertes que ça par nos concurrents". Yannick Pons n’évoque pas les quelques 8000 annonces d’escortes, dont Vivastreet tire pourtant de larges bénéfices.


Un business juteux

"Près de la moitié [des annonces] optent pour au moins une mise en avant payante", rapportait une enquête du Monde, en février dernier. Comptez 79,90 euros par mois par publication, ajoutez à cela de multiples options : 80€ par semaine pour paraître en première page, 80 autres pour remonter en tête de liste automatiquement au cours de la journée, etc. Et vous comprenez mieux les profits générés par le site internet.

Par exemple, Sarah (*), une indépendante, verse 400 euros par mois à Vivastreet : "Les clients s’arrêtent tous à la première page. Alors, on ne nous met pas le couteau sous la gorge… Mais il est fortement conseillé de payer si on veut travailler." Ces frais grèvent tellement le budget des prostituées que certaines se partagent les annonces, comme le souligne un rapport de la Direction générale de la santé.

Autre option proposée pour 99,99 € par mois, le "changement de ville illimité" permet de modifier la localisation de son annonce… Très commode pour les réseaux qui organisent des tournées –  des "sex tours" – à travers la France.

"Lorsque je me suis inscrite sur Vivastreet, en 2007, les annonces étaient gratuites ! Ils nous ont appâté, on est devenues accros… et maintenant ils exploitent le filon", enrage Sarah, qui vend son corps depuis 20 ans. Les annonces d'escortes représenteraient "entre 40% et 50% du chiffre d’affaires dégagé par les annonces", selon Le Monde.

Vivastreet de mèche avec la police

Bien au fait des profits générés par ces annonces d’escortes, la brigade de répression du proxénétisme ne s’en est pourtant jamais pris directement à Vivastreet. Pragmatique, l’entreprise aurait même passé un accord avec les autorités. Un rapport parlementaire de 2011 fait ainsi état d’un partenariat entre l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) :
 
"Lorsque des suspicions de traite des êtres humains existent, une réquisition peut être envoyée par les services de police, qui aboutit à la communication, sous 48 heures, de l’adresse électronique, de l’adresse IP et du numéro de téléphone de la personne ayant posté l’annonce. Dès lors, des croisements peuvent être effectués par les forces de l’ordre, afin de vérifier, par exemple, qu’un numéro de téléphone ne correspond pas à plusieurs annonces différentes (1058). De surcroît, la décision a été prise de faire payer les annonces de la section "Érotica" [ancien nom de la rubrique "Services Adultes", ndlr], afin de pouvoir disposer d’un numéro de carte bleue, de filtrer les annonces et de modérer leur contenu."

"Vivastreet est, de loin, le site le plus collaboratif. Ils répondent à toutes les réquisitions de la justice : ils sont hyper proactifs… Ils ne veulent pas avoir de problèmes en France", confirme un enquêteur.

Ses dirigeants échappent aux foudres de la justice grâce à une parade : leurs équipes de modérateurs suppriment toute annonce "comprenant un prix, tarif ou notion d’échange, de contrepartie". Rien ne prouve que la plateforme est au courant des agissements de ces "accompagnatrices".

Une prostitution à la carte

D’autres sites ne s’embarrassent pas de ce genre de détails. "Dans ce business, Vivastreet n’est pas le pire…, commente un fin connaisseur des réseaux de prostitution. Il y a tellement d’autres sites à faire tomber. Des plateformes utilisées par les réseaux russes ou tchèques, des gens violents qui pèsent des millions." Il cite notamment le cas de 6annonce.com et de sexemodel.com.

Sur ces pages, les femmes n’hésitent pas à afficher leurs tarifs, ainsi que l’ensemble de leurs prestations. BBBJ, FK, A+, GFE… Autant d’acronymes pour la fellation sans préservatif, le French Kiss, la sodomie (pour laquelle il faudra compter un supplément, d’où le "+") ou encore la "Girl Friend Experience", pratiquée par les escortes qui se comportent comme une petite amie.

Confrontés à la saturation du marché parisien, les réseaux de proxénètes ont commencé à investir les villes moyennes comme La Rochelle, Orléans, ou encore Aix-en-Provence, devenues les villages étapes des "tournées" d’escortes. "Les prostituées russes restent entre trois et cinq jours sur place, elles facturent 150 à 200 euros l’heure et enchaînent 4 à 5 passes par jour", estime une source policière. Très organisées, ces filières standardisent les messages envoyés aux clients en réponse à leurs appels et concentrent les filles dans un même appartement.

Nous avons fait l'expérience :

Contactée par mail, l’équipe de 6annonce.com se défend de faciliter le proxénétisme. "Nous devons nous entendre ce que signifie le mot "proxénète". [...] Un maquereau est une personne mauvaise, qui bat les filles, les fait chanter et les menace. [...] Rien de tout cela n'arrive sur notre site et nous ne tolérerons jamais de pareilles pratiques", promettent-ils avant de se poser en victime : "Depuis notre création 2006, nous sommes dans le viseur des services de polices."

Rares sont les sites poursuivis

Malgré l’abondance de preuves réunies en quelques clics sur ces sites, les autorités peinent à mettre la main au collet de leurs éditeurs. Les exemples de 6annonce.com ou de sexemodel.com parlent d’eux-mêmes. Toutes deux enregistrées à Chypre, ces sociétés ont passé un contrat avec des hébergeurs privés situés en Suisse et au Panama, qui leur garantissent toute la confidentialité nécessaire à la poursuite de leur activité.

A ce jeu du chat et de la souris, les victoires de la police se comptent sur les doigts d'une main. Seul le cas hors norme de www.missive.info, un site d'annonces d'escortes fermé en 2010, a donné lieu à une arrestation. Dissimulés derrière une enfilade de sociétés écrans, les proxénètes du trottoir virtuel dorment sur les deux oreilles.

(*) Le prénom a été changé.
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