Le Musée des beaux-arts de Lyon consacre une exposition aux oeuvres du XXIe siècle, du peintre
A bientôt 93 ans, Pierre Soulages, monument de la peinture, continue d'explorer "l'outrenoir" qui lui offre "une infinité de possibilités", avec le souci "d'apporter quelque chose d'essentiel".
Le maître de l'abstraction veille sur l'accrochage d'une trentaine de tableaux, à quelques jours de l'exposition "Soulages XXIe siècle", du 12 octobre au 28 janvier prochain. Avec son assistant Dan McEnroe et un architecte muséographe, il règle "les espacements, les hauteurs, l'équilibre de la salle".
A un manutentionnaire qui décale une toile après avoir sorti son mètre, il lance en souriant: "c'est l'oeil qui dirige!"
Le sien, qui tire vers le gris, est resté perçant et brillant. Il observe avec minutie "la lumière avant toute chose" car "c'est la difficulté dans un musée". "C'est toujours un peu acrobatique de montrer des peintures avec des lampes", relève-t-il, sa préférence allant à "la lumière naturelle du jour".
Ses tableaux depuis 2000 sont dans la ligne qu'il a adoptée en 1979, celle de "l'outrenoir": "c'est une manière de voir la peinture qui est différente de la manière traditionnelle; là, ce que l'on voit, ce n'est pas la peinture elle-même, c'est le reflet de la lumière sur les états de surface de la couleur noire", observe-t-il devant une série de toiles aussi massives que lui et dont l'apparence change selon l'endroit où l'on se place.
Une première salle dite "pédagogique" offre un mur blanc qui reflète la lumière des projecteurs, et trois murs noirs, dont l'un supporte des tableaux a priori sombres. "Mais on s'aperçoit qu'ils ne sont pas noirs! A partir de là on doit changer le regard", explique Pierre Soulages, lui-même tout de noir vêtu.
"L'utilisation du phénomène optique à des fins artistiques, c'est cela qui m'intéresse. Il y a des possibilités infinies", affirme-t-il en assurant: "Le tableau que je préfère, c'est celui que je vais faire demain".
"De plus en plus" de plaisir
"Je me souviens qu'il y a quarante ans on me disait déjà +comment est-ce possible d'aller plus loin+...", se remémore celui qui expose depuis 65 ans et a déjà fait l'objet de plus de 130 rétrospectives de par le monde, dont une en 2009 au Centre Pompidou, à Paris, qui a drainé 502.000 visiteurs.
Pierre Soulages continue dans sa maison de Sète (Hérault) à manier le pinceau, mais aussi "la brosse, des morceaux de bois, des morceaux de semelles de cuir". Il prend "de plus en plus" de plaisir à travailler ainsi la lumière, sa matière première.
Ses toiles présentées à Lyon, issues de collections privées et de son propre fonds, jouent sur l'horizontalité et la verticalité, le mat et le brillant, le lisse et les stries, et leur noir est traversé parfois de lignes blanches ou bleu saphir.
Cette exposition centrée sur ces dernières années est "plus intéressante parce que ça me rapproche de ce que je suis en train de faire" alors que "le travail ancien je l'oublie un peu", confie l'artiste, sous l'oeil qui le couve de son épouse Colette.
"Mon but n'est pas d'exposer, mon but est de peindre et de rencontrer des gens qui aiment ce que je fais", rappelle-t-il en précisant que "si ce que je fais leur apporte quelque chose d'essentiel, j'en suis heureux".
"Que la lumière vienne de la couleur qui est la plus grande absence de lumière, ça produit un effet sur la sensibilité", dit-il pudiquement, refusant de décrire son ressenti. "Le propre de la peinture c'est ce qui échappe aux mots", selon lui. "Essayez d'y aller (voir les tableaux, ndlr) avec un regard naïf. Il faut penser que c'est de la lumière réfléchie, et si cette lumière touche en vous des zones que vous ignorez, c'est encore mieux", invite le grand homme.