Musée d'art moderne de Saint-Etienne : une toile va être restituée à une famille juive

L'établissement va se séparer d'un tableau italien du XVIIIè siècle, l'une des sept oeuvres spoliées pendant la seconde guerre mondiale à deux familles juives et conservées dans des musées français que la France s'est engagée à rendre.

Au terme de plusieurs années d'instruction et de recherches conduites par divers organismes et historiens, l'Etat a décidé de restituer ces oeuvres, signées Alessandro Longhi, Sebastiano Ricci, Gaspare Diziani, Salvator Francesco Fontebasso, Gaetano Gandolfi, François-Charles Palko et Pieter Jansz van Asch. Destinées au musée qu'Adolf Hitler voulait ériger dans sa ville natale de Linz, ces peintures classiques italiennes, hollandaises et allemandes avaient été retrouvées par les Alliés en Allemagne et renvoyées en France.

Quatre d'entre elles sont au Louvre, les trois autres dans les musées de Tours, Saint-Etienne et Agen. "Abraham et les anges", de Ricci, est un dépôt du Musée du Louvre au Musée d'Art moderne depuis 1954. Auparavant, elle avait voyagé au gré des secousses de l'Histoire.

Dès l'entrée des troupes allemandes en Autriche, Richard Neumann, industriel du textile, a quitté Vienne, rejoint par sa femme et sa fille. Derrière eux, ils ont laissé leur entreprise, leur logement et quelques toiles majeures de leur collection, réquisitionnées pour les musées autrichiens. Mais la plupart des tableaux les suivent. Fin 1941, le sort des juifs en France devient intenable, un nouvel exil s'impose. Pour payer les passeurs, il vend, ou plutôt brade, toute sa collection.
Pendant les quelques années suivantes, Richard Neumann, installé à Cuba, devient contremaître dans une usine de textile le jour, conférencier en histoire de l'art le soir. A la Libération, il saisit les autorités françaises. Un coffre sculpté et un tableau lui seront rendus. Il sera aussi dédommagé par les autorités allemandes pour les meubles disparus. Mais l'essentiel de ses demandes restent vaines.

Fin 1990, la commission Mattéoli, chargée par le gouvernement de rouvrir les dossiers, se penche sur son cas. Mais dans les archives, la demande rédigée par la fille de Richard Neumann de façon assez sommaire fait état d'un grand format de Véronèse, "Abraham et l'ange".
Un tableau déposé au Louvre a bien été confié au Musée de Saint-Etienne sous le titre Abraham et les trois anges. Mais son format (88 × 87 cm) et surtout son auteur, Sebastiano Ricci, ne permettent pas d'établir le lien.

C'est une historienne autrichienne, Sophie Lillie, spécialiste des spoliations viennoises, qui le fera. Sollicitée par le petit-fils de Richard Neumann, Tom Selldorff, elle piste d'abord les tableaux réquisitionnés par les nazis à Vienne.
Après dix ans de bataille, six oeuvres ont été rendues à la famille en 2007 et 2012. De même, partant d'une liste établie avant-guerre, elle reconstitue l'histoire de six oeuvres achetés par trois marchands allemands à Paris et destinés au musée d'Adolf Hitler à Linz. Dans les archives allemandes, elle trouve la preuve que les oeuvres ont été renvoyées en France. 

La Direction des musées de France met deux ans à répondre favorablement. En décembre 2012, la Commission pour l'Indemnisation des Victimes de Spoliation recommande la restitution des six oeuvres. Aujourd'hui, Tom Selldorff, 82 ans, n'attend plus qu'une chose : la date de restitution. La dernière fois que le vieil homme a vu les tableaux, il était enfant : c'était à Vienne, avant-guerre, dans l'appartement de Richard Neumann.

Le tableau et son auteur : en savoir plus...
Formé à Venise dans l'atelier de Sebastiano Mazzoni, Sebastiano Ricci voyage et travaille dans toute l'Europe, favorisant ainsi la circulation du style de l'Ecole Vénitienne Rococo. Bien que fortement influencée par les maîtres (les Carrache, Cortone, et plus encore Giordano et Véronèse), son œuvre est dotée d'une réelle personnalité.
Avec "Abraham et les anges", le paysage prend une importance particulière, il se situe au centre de la composition formant un triangle irrégulier, au sommet duquel trônent les angelots.

L'œuvre conservée à Saint-Etienne est attribuée à Ricci dès 1937, Iors de son exposition à la Galerie Sanct Lucas à Vienne. En 1971, Pierre Rosenberg propose de rapprocher cette toile d'un dessin d'un album publié par Morassi représentant un sujet analogue, on y retrouve il est vrai la figure penchée sortant d'une maison. En 1976, Daniels suggère cependant une réalisation plus tardive qui empêcherait de le considérer comme une étude préparatoire.

"Abraham et les anges" est une œuvre typique de la fin du XVIIème siècle : la morphologie des anges est similaire à celle des anges peints en 1693 à l'église San Bernardino de Bologne et le paysage rappelle quant à lui celui du maître-autel de l'église Santa Maria del Carmine à Pavie. Ces éléments ont favorisé l'hypothèse d'une datation vers 1695. Cependant, la qualité de la gamme chromatique et la prévalence du paysage sont des éléments qui amènent à envisager une datation plus tardive, vers 1710.

Source : Musée d'Art moderne de Saint-Etienne

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