Plusieurs dizaines de médecins français viennent de lancer un appel pour que le baclofène bénéficie d'une autorisation légale de mise sur le marché pour traiter l'addiction à l'alcool
"Alors qu'il existe un médicament susceptible d'aider une large proportion des patients alcoolo-dépendants, les pouvoirs publics font preuve d'atermoiements et freinent la mise à disposition de ce traitement pour tous ceux qui en auraient besoin."Ce texte est un extrait d’un appel signé par une trentaine de personnalités, dont de nombreux médecins, qui dénoncent "l'atermoiement" des pouvoirs publics dans la mise à disposition du Baclofène, un médicament testé actuellement pour traiter l'alcoolo-dépendance
Ce médicament réduit, voire supprime l'intérêt pour l'alcool et le sentiment de dépendance. Bien qu'il n'ait pas d'indication dans ce traitement, des médecins acceptent de le prescrire hors autorisation de mise sur le marché.
Plus de cent personnes meurent prématurément chaque jour en France à cause de l'alcool, écrivent les signataires de ce texte, "un fléau social de grande ampleur qui touche non seulement les patients alcoolo-dépendants mais également leur entourage".
Ces personnalités demandent donc à l'agence du médicament d'autoriser une recommandation temporaire d'utilisation dans les plus brefs délais, pour ce médicament en attendant son autorisation de mise sur le marché.
Des médecins réclament que ce médicament soit autorisé en France
Ces praticiens, prestigieux pour la plupart - certains sont membres de l'Académie de médecine, d'autres de l'Académie de pharmacie, il y a aussi l'ancien président du comité national d'éthique Didier Sicard, le député Bernard Debré, ils ont décidé de taper du poing sur la table. Cette «pétition» pour réclamer la possibilité de prescrire un médicament est totalement inédite.
Il faut dire que, pour ce baclofène, rien ne se passe comme pour une molécule classique. Les effets inhibiteurs sur la prise d'alcool de ce médicament, utilisé jusqu'à présent dans le traitement de la sclérose en plaques (pour son activité sur le spasme musculaire), ont été découverts presque par hasard au début des années 2000 par le cardiologue Olivier Ameisen, lui-même souffrant d'alcoolisme. Avec ce médicament, il a réussi à devenir indifférent à l'alcool.
«Fin 2004, Olivier Ameisen publiait dans la presse scientifique le succès thérapeutique obtenu par le baclofène à hautes doses sur sa dépendance à l'alcool, souligne l'appel des médecins. En 2008, il publiait Le Dernier Verre, qui a popularisé cette découverte. Depuis, plusieurs publications scientifiques ont rapporté les effets favorables de ce traitement sur de larges cohortes de patients, alors que les résultats par les autres méthodes thérapeutiques sont largement inférieurs.» Les témoignages de patients ayant réussi à maîtriser leur addiction à l'alcool se multiplient, même s'il ne s'agit pas de preuves scientifiques ou de démonstrations.
En décembre 2012, une étude publiée par le Dr Renaud de Beaurepaire, psychiatre à l'hôpital Paul-Guiraud, à Villejuif (Val-de-Marne), dans la revue Frontiers in Psychiatry, portant sur cent patients fortement dépendants à l'alcool, montrait que la guérison était solide. Traités avec du baclofène, à des doses croissantes, les malades ont été suivis pendant deux ans. La consommation d'alcool était réduite chez 84 % d'entre eux après trois mois de traitement, 70 % après six mois, 63 % après un an et 62 % après deux ans. «Aucune autre thérapie contre l'alcoolisme ne procure de résultats aussi élevés et stables dans le temps», soulignait le Dr Renaud de Beaurepaire. Il s'agissait cependant là d'une simple observation de patients volontaires, motivés, sans comparaison avec un groupe témoin.
Après une certaine méfiance de l'intelligentsia médicale, un nombre croissant de médecins prescrit ce médicament à des patients souffrant d'alcoolisme sévère. Mais le baclofène ne bénéficie pas d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour cette indication. Les praticiens qui le prescrivent le font à leurs risques et périls. «C'est un médicament efficace, affirme le Pr Bernard Granger (chef du service de psychiatrie, hôpital Tarnier, Paris), signataire de l'appel. Mais il ne faut pas parler de miracle. Aujourd'hui, en l'absence d'AMM, les médecins sont réticents à le prescrire car c'est illégal. Si notre appel est entendu, ils seront protégés sur le plan juridique.» Pour le Pr François Chast, ancien président de l'Académie de pharmacie, également signataire de l'appel, «il est très probable que ce médicament ait un intérêt pour les malades. Il n'existe d'ailleurs aucune alternative fiable. Et s'il est efficace dans au moins 30 % des cas si ce n'est plus, c'est déjà un grand progrès».