Suisse. Que cachent les Ports Francs de Genève?

C'est un "no man's land" situé dans une banlieue de Genève où sont entreposés des milliers d'oeuvres d'art valant des milliards d'euros ou de dollars. A l'heure où ce marché s'envole, beaucoup de questions se posent autour des Ports Francs. 

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Le marché mondial de l'Art est en pleine croissance. Toutes les nouvelles fortunes du monde veulent acheter des tableaux, il y a plein de nouveaux musées qui ouvrent leurs portes chaque année et qui cherchent à se constituer un fonds d'oeuvres, ce qui fait grimper les prix.

Quand l'oeuvre est stockée dans un port franc, elle peut être achetée hors-taxe, ce qui est intéressant pour l'acheteur. La TVA n'est payée que lorsque l'oeuvre quitte définitivement le port-franc. A l'origine, les Ports Francs de Genève ne devaient servir qu'à stocker des marchandises durant une courte période. Cependant, il arrive désormais que les objets soient stockés plus de 10 ans!

Après la mise au jour d'une affaire, les autorités suisses ont commencé à s'inquiéter. Yves Bouvier, patron de la société Natural LeCoultre, spécialisée dans l'entreposage d'oeuvres d'art, qui occupe 22% des 150.000 mètres carrés des PF, est accusé par la justice monégasque d'avoir escroqué un milliardaire russe, Dmitri Rybolovlev, en lui surfacturant des oeuvres d'art, et d'avoir blanchi des fonds, ce qu'il conteste.

Les PF, où Yves Bouvier stocke des milliers d'oeuvres d'art, sont devenus ainsi, par ricochet, l'objet de toutes les attentions, alors que pendant des années, ils s'étaient murés dans le silence.

Un "Clearstream"? 

Pour Thierry Ehrmann, président fondateur de la société Artprice, spécialisée dans l'information sur les oeuvres d'art, les PF de Genève sont en quelque sorte "la chambre de compensation du marché de l'Art mondial", comparable à la société luxembourgeoise Clearstream, au centre d'un énorme scandale financier au début des années 2000 mêlant comptes secrets et fonds illégaux.

Selon une note de synthèse d'Artprice, les PF de Genève abritent "plus de 50% du flux global du marché de l'art" mondial, généré par les ventes publiques, et les ventes de gré à gré. "Si les PF explosent, c'est tout le marché mondial de l'Art, y compris la foire ArtBasel, qui se tient tous les ans en juin à Bâle, qui explose", est-il écrit.

Ce risque "systémique" lié aux PF de Genève a également été stigmatisé par un organisme étatique suisse, le Contrôle fédéral des Finances, qui publie chaque année un rapport sur les finances publiques suisses.

Le canton de Genève, actionnaire à hauteur de 87% des PF, a décidé de faire le ménage. La semaine dernière, un nouveau président du conseil d'administration des PF, David Hiler, un ancien élu vert de Genève, a été nommé, de même que deux nouveaux membres dans cette instance, le banquier Andreas Stricker, et l'avocate Marie Flegbo Berney.

Genève veut se protéger

Depuis le rapport du Contrôle fédéral des finances en avril 2014, "il était devenu urgent de clarifier les choses; d'opérer un virage vers davantage de traçabilité et de transparence", a déclaré le ministre genevois de tutelle des Ports Francs Pierre Maudet dans un entretien au journal Le Matin Dimanche. "Face aux risques accrus de blanchiment et, surtout, au problème d'image qui menace cette entreprise essentielle à l'économie genevoise, il fallait qu'elle abandonne cette mentalité de forteresse dans laquelle elle s'était retranchée ces dernières années", a ajouté le ministre genevois.

En outre, il y a un risque actuellement de "dilution des responsabilités", si un "locataire est à la fois actionnaire, transitaire et marchand d'art, par exemple". C'est le cas dans l'affaire Bouvier, car M. Bouvier est à la fois actionnaire des PF, locataire, et marchand d'art. De telles situations peuvent "conduire à une complication des contrôles et à un véritable conflit d'intérêts (...)  très néfaste en terme d'image", a indiqué M. Maudet.

Le nouveau président, David Hiler, a pour mission prioritaire d'identifier les risques qu'encourent les Ports Francs (blanchiment d'argent sale ou recel de biens culturels spoliés ou volés). Par ailleurs, la police judiciaire suisse va renforcer sa capacité d'investigation.

Pour le responsable genevois, "Genève est devenue une des principales plates-formes mondiales du marché de l'art international dans un contexte où l'art devient une valeur refuge". Le canton ne veut cependant "pas attendre que ce marché de centaines de milliards de francs s'autorégule ou, a contrario, que des instances internationales, tel le GAFI (le groupe d'actions financières de l'OCDE), sanctionnent ces activités, comme elles l'ont fait pour les banques", a averti M. Maudet.
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