Depuis 2023, plusieurs collectivités iséroises ont adopté des congés en faveur de l’égalité hommes/femmes, comme le congé menstruel, le congé IVG ou l'allongement du congé deuxième parent. Des dispositions jugées irrégulières par la préfecture de l’Isère, qui demande leur abrogation.
"Ma mâchoire est tombée quand j’ai lu le courrier de la préfecture". Amandine Demore, maire (PCF) d’Échirolles, n’en revient toujours pas. Mi-janvier, elle a reçu un courrier de la préfète de l’Isère, lui indiquant que le congé menstruel proposé aux agents de sa commune devait être abrogé.
Ce congé menstruel, adopté par la municipalité en octobre dernier, permet à la salariée qui souffre de règles douloureuses de bénéficier de plusieurs autorisations spéciales d’absence, en nombre limité au cours de l’année et sous réserve d’un certificat médical.
"L’Etat a beaucoup travaillé ces dernières années à faire connaître l’endométriose et à la faire prendre en compte. Et résultat, on nous demande de revenir sur ce droit alors qu’on essaye justement d’être innovants sur ce sujet, déplore l’édile. Quand on connaît la difficulté de voir un médecin, de trouver un rendez-vous tous les 28 jours pour avoir un arrêt de travail, avec le problème des jours de carence, ça pose question. A-t-on à subir ce genre de carence quand on souffre d’endométriose ?"
Comment le président et son gouvernement peuvent-ils prétendre que l’égalité femmes-hommes est une grande cause des quinquennats ?
Communiqué de presse commun des élus de Grenoble, Echirolles, Seyssinet-Pariset et de la Métropole
Un courrier similaire a été envoyé aux communes de Grenoble et de Seyssinet-Pariset, ainsi qu'à la Métropole Grenoble-Alpes, qui ont également mis en place des congés menstruels pour leurs agentes. Dans ce document, que nous nous sommes procuré, la préfecture estime que ce motif d’absence ne fait pas partie des autorisations spéciales d’absences (ASA) applicables aux salariés de la fonction publique.
Selon les services de l’Etat, ces délibérations créent ainsi de "nouvelles catégories d’ASA", et constituent un contournement de l’obligation de travail effectif de 1 607 heures pour les agents concernés ainsi qu’une “rupture de parité" du temps de travail avec les agents qui n'en bénéficient pas.
"Aussi, en l’état actuel de la législation, la création par les collectivités de nouvelles catégories d’autorisation spéciale d’absence est irrégulière. Catherine Séguin, préfète de l’Isère, a décidé de déférer ces délibérations au tribunal administratif" précise le service communication de la préfecture.
"Ça ne gêne personne !"
Une "mauvaise surprise" pour Guillaume Lissy, maire (PS) de Seyssinet-Pariset, première commune de l’Isère à avoir adopté un congé menstruel. "On a délibéré en juillet 2023, ça fait un an et demi que cette délibération a été transmise à la préfecture et l’Etat n’a jamais signalé le moindre dysfonctionnent, s’étonne-t-il. J’ai un sentiment de révolte, car on est dans une époque difficile, on parle partout des droits des femmes et je trouve incroyable que l’Etat se préoccupe davantage d’attaquer les droits qu’on essaye de mettre en place plutôt que d’en faire naître de nouveau. Alors qu'en plus, ça ne gêne personne ! Je suis dans l’incompréhension totale".
J’ai des agentes qui bénéficient de ce droit, et il n’est pas question que je le leur retire sans ferrailler !
Guillaume Lissy, maire (PS) de Seyssinet-Pariset
Regrettant un "tournant conservateur de l’Etat", l’élu se dit "scandalisé" et refuse de retirer sa disposition. "On a un combat politique à mener dans le respect de la loi. Je ne retirerais pas, mais si l’Etat souhaite attaquer notre délibération, on verra ce que le juge décide. J’ai des agentes qui bénéficient de ce droit, et il n’est pas question que je le leur retire sans ferrailler !" prévient-il.
Le congé deuxième parent et le congé IVG suspendus
D’autres dispositions en faveur de l’égalité hommes/femmes sont dans le viseur de la préfecture, et sous le coup d’un référé suspensif : l’allongement du congé deuxième parent, proposé par la ville de Grenoble, ainsi que les trois congés votés par la Métropole (congé menstruel, congé deuxième parent et congé IVG).
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"Comment expliquer ce recul social, alors que l’égalité femmes/hommes est un enjeu majeur, comme le montre le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité : l’égalité est jugée prioritaire par la quasi-totalité des Français ; et la réforme du congé paternité/parental est une attente forte en matière de justice sociale et d’égalité, plébiscitée par 7 Français du 10", regrettent les élus des quatre collectivités concernées dans un communiqué commun.
Un angle mort juridique ?
Convaincus du bien-fondé de ces dispositions sociales, Christophe Ferrari, président de Grenoble-Alpes Métropole, Eric Piolle, maire (Les Ecologistes) de Grenoble, Amandine Demore, maire d’Échirolles et Guillaume Lissy, maire de Seyssinet-Pariset, ont décidé d’interpeller le gouvernement, pour l’inciter "à se positionner nationalement et dans cette attente, à ne pas freiner les avancées sociales et les initiatives locales impulsées par les collectivités territoriales".
"On sait qu’on est à la limite, qu’on est dans un angle mort juridique dans lequel on s’est engouffré pour améliorer les conditions de travail. Mais il faudrait généraliser la règle pour tous, plutôt que supprimer la règle pour le peu qui en bénéficie", conclut le maire de Seyssinet-Pariset, précisant qu’une conférence de presse commune serait organisée par les quatre élus concernés la semaine prochaine.