En Isère, depuis plusieurs mois, les travailleurs étrangers peinent à renouveler leurs droits. Difficile pour eux d’obtenir ne serait-ce qu’un rendez-vous auprès de la préfecture. Perte d’emploi, de logement, cette situation les plonge dans une grande précarité.
Ils sont étudiants, salariés ou livreurs étrangers et sont en quête désespérée d'un rendez-vous pour renouveler leurs droits : depuis le printemps 2024, la préfecture de l'Isère a fortement restreint l'accueil physique, créant ce que les associations qualifient de "fabrique de sans-papiers".
"Mur numérique" et rendez-vous obligatoire
Alors que la Défenseure des droits Claire Hédon alerte dans un rapport paru mercredi 11 décembre sur les "atteintes massives aux droits des usagers" engendrées par la dématérialisation des processus de traite des demandes de titre de séjour des ressortissants étrangers, les associations iséroises dénoncent depuis des mois une situation qui selon elles "ne fait qu'empirer".
Quelque 200 personnes ont manifesté début décembre à Grenoble à l'initiative de la CGT et du collectif "Bouge ta préf'38". Ce dernier appelle la nouvelle préfète, Catherine Séguin, à amender le système, faute de quoi il saisira le tribunal administratif.
Selon les membres du collectif, qui a vu le jour en mai dernier et rassemble une cinquantaine d'associations, la situation a pris un tour critique en mars 2024 lorsque la préfecture a décidé d'interdire l'accès à ses locaux à toute personne n'ayant pas de rendez-vous, lesquels sont très difficiles à obtenir.
"Des créneaux revendus à prix d’or au marché noir"
"Les rares créneaux disponibles sur internet sont raflés par des robots gérés par des agences et revendus à prix d'or au marché noir", soulignent les associations.
Jacqueline, quinquagénaire arrivée en 2019 d'un pays africain, s'est comme beaucoup d'autres heurtée à ce "mur numérique" : auxiliaire de vie, elle a dû cesser trois semaines de travailler au printemps, faute de papiers en règle.
Elle a depuis réussi après de grandes difficultés et grâce à l'intervention d'un tiers à obtenir un rendez-vous pour faire renouveler son titre de séjour mais s'inquiète pour son mari, dont le titre a déjà expiré. Jacqueline se retrouve à soutenir à bout de bras sa famille financièrement : "Je souffre", lâche-t-elle.
La fermeture de l'accès physique à la préfecture a conduit des centaines de personnes en situation régulière à perdre leurs droits et parfois, dans la foulée, leur travail, leur logement ou leurs droits sociaux.
Martine Faure Saint-Aman, présidente régionale de la Cimade
Ce sont "des étudiants, des salariés, des médecins, des ingénieurs, des plombiers, des maçons... des gens de tous pays confondus et dans des situations dramatiques. On a vu beaucoup de gens qui pleuraient devant la préfecture dans des situations d'impuissance incroyables", poursuit-elle.
"Juste un rendez-vous"
"Il y a un ensemble de freins, volontaires ou involontaires, ça je n'en sais rien, mais un ensemble de freins qui empêchent les usagers d'avoir accès à leurs droits. (...) On n'en est plus à demander un titre de séjour, on en est à juste demander un rendez-vous !", s'indigne-t-elle.
"Certains étudiants, faute de papiers en règle, perdent leur logement et s'entassent à 6, 7 ou 8 dans 12 m²", relate de son côté Emmanuel Omonlogo, représentant de l'association des étudiants africains de l'Isère.
La préfecture a expliqué dans un communiqué fin octobre que la "refonte" des conditions d'accueil des usagers étrangers et des modalités de délivrance des titres de séjour vise à "sécuriser l'ensemble du processus de délivrance" et à "améliorer les délais d'obtention".
"Le nombre de créneaux de rendez-vous disponibles est adapté à l'accueil des 15 000 ressortissants étrangers et les délais de délivrance des titres ont diminué suite à la réforme", estime-t-elle.
Urgence à agir
L'administration reconnaît toutefois que le système de prise de rendez-vous de plusieurs préfectures "est victime d'actes malveillants provoquant de graves dysfonctionnements et ne permettant pas aux usagers de réserver des créneaux de rendez-vous comme cela est prévu". Une plainte a été déposée en juillet.
"En Isère, la situation est d'autant plus tendue que le service a été déstabilisé par la découverte en 2023 d'un important trafic de titres de séjour au sein de la préfecture, qui a conduit à une complète réorganisation", rappelle Mme Faure Saint-Aman.
Pour la Défenseure des droits, il y a désormais "urgence" à agir contre ces difficultés : "Nous ne disons pas que la procédure ne peut pas être dématérialisée mais il faut l'accompagnement nécessaire", estime Mme Hédon.