L'avocat de la surveillante pénitentiaire prise en otage ce dimanche à la maison d'arrêt de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) demande des investigations supplémentaires dans ce dossier. Il souhaite notamment faire la lumière sur les motivations de l'agresseur et les conséquences d'un "manque de moyens".
Le dossier sur la prise d'otage d'une surveillante pénitentiaire pourrait-il prendre une autre envergure ? L'avocat de la victime a déposé une plainte criminelle avec constitution de partie civile mercredi 15 janvier pour "arrestation, détention et séquestration arbitraire".
Une procédure qui vise à l'ouverture d'une information judiciaire, diligentée par un juge d'instruction, pour approfondir les investigations autour d'un dossier "à lire tout en nuances", espèrent Me Jean-Christophe Basson-Larbi et Me Joshua Kafil, les avocats de la surveillante.
"Cette affaire est emblématique et symptomatique des dérives, qui peuvent être mortelles, engendrées par le manque de moyens humains et matériels dans les services publics en général, et dans ce cas dans l'administration pénitentiaire et la justice", estime Me Basson-Larbi joint par France 3 Alpes, dénonçant "une volonté délibérée de minimiser voire d'étouffer l'affaire".
"Tous les ingrédients d'un cocktail explosif sont réunis au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère)", pointe le conseil de la victime, citant la "surpopulation carcérale" et le "sous-effectif des agents pénitentiaires" dans cet établissement.
"Elle n'arrivait plus à respirer"
La surveillante de 33 ans a été prise en otage dimanche 12 janvier, peu après 13 heures, par un détenu de la maison d'arrêt. L'homme, en attente de son procès dans une affaire de transport de stupéfiants, aurait saisi la jeune femme à la gorge, la menaçant avec une fourchette "dont les dents avaient été aiguisées", rapporte Me Basson-Larbi.
"Elle est seule au milieu de cette coursive qui contient environ 100 détenus. Elle cherche à donner l'alerte, ce qui n'est pas simple puisqu'elle est sous l'emprise du détenu. Mais elle réussit à passer un message par émetteur en disant 'regarde les caméras', en s'adressant à un agent sur un poste de surveillance", complète le secrétaire général adjoint du syndicat Ufap-Unsa Justice, Alain Chevallier.
La victime a pu s'extraire de l'étreinte de son agresseur grâce à l'intervention de deux surveillants, qui sont parvenus à maîtriser l'individu, et de deux détenus qui l'ont libérée. Ces derniers ont été blessés, victimes de coups de fourchette de la part de l'agresseur.
La surveillante pénitentiaire a été prise en charge par les sapeurs-pompiers et transférée vers les urgences. Le syndicat Ufap-Unsa Justice souligne, dans un communiqué, "le rôle prépondérant" de l'un des détenus "dont l'intervention a donné l'opportunité aux agents présents de maîtriser l'agresseur".
Hospitalisée aux urgences psychiatriques de l'hôpital du Vinatier à la suite d'une perte de connaissance ce mercredi, la surveillante a fait l'objet d'une ITT de 15 jours - au lieu de 5 initialement - dans l’attente de l’expertise d’un légiste. "Ma cliente va très mal. Elle n'était pas préparée à cette épreuve. (...) Elle a laissé ses enfants un matin et a failli ne pas les retrouver le soir", rapporte son avocat qui décrit "une surveillante respectueuse, respectée et respectable".
"Je me suis vue mourir. (...) C'est une sensation que je ne souhaite à personne", peut-on lire dans la plainte déposée par la victime quelques heures après les faits. "Elle est encore choquée, elle en fait encore des cauchemars, beaucoup de crises d'angoisse", nous raconte son mari. "Elle n'arrivait plus à respirer, elle était en train de perdre connaissance. Elle a eu la peur de sa vie", ajoute-t-il avant de souffler : "Je suis déjà content qu'elle soit rentrée vivante."
Le suspect entendu en garde à vue
Dans un document interne de l'administration pénitentiaire que France 3 Alpes a pu se procurer, le détenu mis en cause reconnaît avoir "pris la surveillante en otage pour être transféré à Corbas", un centre pénitentiaire de Lyon. "Si j'avais voulu, j'aurais arraché le cou de la surveillante à coups de fourchette mais je ne l'ai pas fait. (...) J'avais préparé ça depuis longtemps", ajoute-t-il.
Le détenu, âgé de 21 ans, a par la suite été placé en garde à vue et pourrait être jugé en comparution à délai différé fin février. Il avait déjà été à l'origine de plusieurs incidents en détention, dont des violences verbales et physiques sur un agent pénitentiaire. Ce détenu "n'avait pas de différend" avec la victime, selon Alain Chevallier : "Il y a eu un effet de surprise d'autant plus important."
L'avocate du suspect, Me Dounia Ngadi, pointe du doigt les conditions de détention "particulièrement difficiles" du jeune homme. "Il se retrouve privé de certains besoins primaires : il n'a pas d'eau, pas le droit de prendre de douche. Il a froid et personne ne lui apporte de vêtements, car il est orphelin", décrit la défenseure. "C'est juste un gamin qui n'en peut plus de ses conditions de détention. S'il en vient à ça, c'est qu'il est à bout."
Mon client n'avait aucune volonté de faire du mal à la surveillante.
Dounia Ngadi, avocate du détenu
Le jeune homme, "petite main" du trafic de stupéfiants, est en détention provisoire depuis le 17 mai dernier et s'est vu refuser un placement sous contrôle judiciaire. "Mon client n'avait aucune volonté de faire du mal à la surveillante. Ce geste, c'est aussi pour qu'on entende la parole des détenus. On parle de dignité humaine", insiste Me Ngadi, se disant "consciente du rôle difficile des surveillants pénitentiaires".
"Ce n'est pas faute d'avoir demandé à l'administration d'en finir avec l'isolement d'un surveillant sur une coursive de 100 détenus, à un étage où les caméras sont défaillantes. Il y a même des secteurs sans caméra. (...) L'administration discute mais à la sortie, il ne se passe rien", regrette Alain Chevallier.
Le suspect de cette agression a été placé en quartier disciplinaire et "comparaîtra prochainement en commission de discipline", indique la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Lyon. "Ces sanctions administratives s’ajouteront aux sanctions pénales." Contactés par France 3 Alpes, le parquet de Vienne n'avait pas donné suite à nos sollicitations à l'heure de la publication de cet article.
Mais selon le conseil de la victime, "l'affaire n'est pas en état d'être jugée". Me Basson-Larbi demande l'ouverture d'une information judiciaire pour entendre les détenus témoins de la prise d'otage, faire la lumière sur les motivations du suspect ainsi que sur "les dysfonctionnements, le manque de moyens humains et matériels et les conditions de travail indignes des surveillants pénitentiaires". Une procédure à laquelle s'oppose le conseil du mis en cause, dénonçant des "pressions pour criminaliser ce dossier, pour faire du bruit."