Le rappeur stéphanois Rapsa sort un nouvel album. Dans "Game over", cet intarissable créateur de son, y mêle sa musique avec son amour du cinéma et du fantastique. Un univers fantasmé dans lequel la face sombre et les angoisses de l'artiste peuvent survenir à tout instant. Découverte.
Malgré tous ses inconvénients, le confinement a dégagé du temps... Un temps propice à l'écriture, à recentrer un artiste sur lui-même, à se concentrer sur son propos. "En octobre dernier, il n'était pas encore question de faire un album " confirme le rappeur ligérien Rapsa. "Mais finalement, cette période m'a offert un peu d'inspiration supplémentaire pour écrire un... puis deux, puis quatorze morceaux."
Ne cherchez pas de fil rouge dans l'album "Game Over". Rapsa y a simplement laissé s'exprimer son imagination de geek, jamais complètement indifférent au monde qui l'entoure, tout en gardant l'âme "d'un enfant qui ne veut pas passer au stade adulte".
Son univers est un mélange de messages... Un mélange de revendications sociales et de mondes imaginaires. A l'image de "Mariane land", qui décrit notre société comme un immense parc d'attraction. Obsédé depuis toujours par le vivre-ensemble car "il faut toujours revenir aux fondamentaux", l'artiste ne s'est pas fixé de "traceurs" dans sa création.
La France comme un parc d'attractions
"Bienvenue à Mariane. Notre parc est le meilleur. N'écoute pas les mauvaises langues. Rien n'est comparable ailleurs... " Mariane, emblême de la France, est donc devenue la marque de son parc d'attraction personnel. Illustré par un clip sombre et parfois inquiétant, ce morceau se veut satirique.
"Il existe déjà toutes les déclinaisons possibles de titres critiques sur notre société. Je me suis efforcé de sortir de ce cadre-là. J'avais reçu une musique de Kick Bass, avec lequel j'ai beaucoup travaillé sur cet album. En l'écoutant, l'idée d'un parc d'attraction m'est venue immédiatement. J'avais envie d'un titre qui puisse à la fois faire sourire tout en ... grinçant un peu. La société française devient un parc où l'on peut à la fois s'amuser et avoir des sensations. J'ai volontairement grossi le trait, en ajoutant une atmosphère glauque, pour que le public se rende compte d'où on pourrait en arriver. Et que chacun se dise qu'il faudrait peut-être éviter de finir comme cela, à terme." explique Rapsa.
Sans tomber dans le complotisme, le rappeur transpose son auditeur en "gentil touriste qui, au fil de son parcours, découvre l'envers du décor. Le grand théâtre d'une assemblée vide de ses élus, pour alerter sur l'absentéïsme... La grande parade de 20 heures, pour parodier les allocutions présidentielles... Les attractions de ce parc sont le reflet de notre monde."
Angoissé par Alzheimer
Six ou sept beat-makers ont participé à l'album, dont Rapsa propose en personne la découverte au quotidien, sur les réseaux sociaux. En vidéo, il donne rendez-vous chaque jour pour expliquer un morceau et en offrir l'écoute. C'est dans ce cadre qu'il a présenté "oubliettes", un des quatorze titres, consacré à la maladie d'Alzheimer.
C'est l'une des angoisses du rappeur : "Il y a deux choses qui me terrorisent dans la vie. La fin du monde avec un astéroïde, et de perdre la mémoire." sourit-il.
Et pourtant, ce grand fan de cinéma exorcise sa peur en faisant appel à... Harry Potter. "On y retrouve un sortilège utilisé par Hermione, pour que ses parents oublient qu'elle a existé, faisant subitement disparaître tous les photos dans les cadres. C'est ce sortilège "oubliettes" qui m'a inspiré. Je trouvais que c'était une façon poétique d'aborder un sujet aussi difficile."
Un enfant qui ne grandit pas
Fidèle à son habitude, Rapsa bouscule les codes. Le cinéma des années 90, ou les jeux vidéo, étaient déjà très présents dans son premier album" Entre réalité et fiction". "J'assume mon côté enfant qui ne grandit pas. Cela existait même avant la naissance de mon fils."
Son look bon-chic, bon-genre, est aux antipodes des caricatures. "Le but c'est d'être comme on est. Je ne cherche pas à me donner une image. Aujourd'hui, énormément de personnes font du rap. Chacun a son style, sa façon d'être. Il faut distinguer la forme du fond. Le rap est avant tout de la musique. Cela passe d'abord par les oreilles, avant de passer par les yeux. Peu importe quel était mon look quand j'ai enregistré mon album. J'espère que cela n'est pas un critère trop essentiel pour le public. L'habit ne fait pas le moine, comme on dit".
En dehors des têtes d'affiches de chaque parti, on ne connaît presque personne
Très attentif aux actualités, Rapsa écoute beaucoup la radio, et les émissions politiques. Et pourtant, il avoue avoir choisi de ne pas voter aux dernières élections. "J'ai pas de honte avec ça. Je ne suis pas spécialement abstentionniste. Généralement, j'ai toujours accompli mon devoir de citoyen. Mais cette fois, je me suis rendu compte que je ne savais pas pour qui voter. Je ne voulais pas aller donner mon suffrage à quelqu'un dont je ne sais rien. Pourtant, je n'habite pas très loin du bureau de vote, et je pouvais le faire. Mais de plus en plus, je pense que les politiques ont une responsabilité sur l'organisation des élections. On a le sentiment que les partis sont focalisés sur la présidence de la République. Résultat : en dehors des têtes d'affiches de chaque parti, on ne connaît presque personne. Et, lorsque les Régionales arrivent, tu te retrouves à devoir aller voter pour des inconnus. Pendant tout un mandat, on ne t'en parle jamais, des régions. Mais à un moment, on nous incite à voter pour des étiquettes. L'envie n'y est pas. Et c'est pas un prospectus dans la boite aux lettres qui t'en apprendra davantage."
Constat amer, mais assorti d'un espoir : "Si ils mettent des moyens en oeuvre pour voter à distance, je pense que les gens participeront plus, tout de même."
Game over
Quel futur dans l'esprit de Rapsa ? Ce trentenaire, jeune papa, stéphanois revendiqué, a choisi d'appeler son nouvel album "Game over". Le dernier ?
"Je me pose des questions" confirme le rappeur, dont la voix descend toujours facilement dans les graves. "La musique a évolué. Moi aussi. J'ai parfois des moments de grande solitude où je m'interroge sur mon art. Cela fait 25 ans que je m'active pour créer, passer des messages. Mais au final, combien de personnes les reçoivent ? Combien pèsent mon travail, mon énergie, mon temps? Je fais des sacrifices pour réaliser un album. Le temps d'écriture, de mixage... pris sur d'autres choses, comme la vie de famille. Alors oui... Parfois je broie un peu du noir... J'imagine mon épouse qui me regarde, pensant peut-être que je ne réalise pas, en fait, que tout le monde se fout de mes morceaux. Dans ces moments-là, je me dis que j'ai perdu. Game-over. Je suis arrivé au bout de ma partie. Mais, comme je le dis dans le titre : "Tu peux toujours mettre un jeton et relancer...".