Victime de son entraîneur durant des années, Angélique Cauchy a fondé l'association Rebond. L'ancienne joueuse de tennis intervient dans les établissements scolaires pour faire de la sensibilisation auprès des plus jeunes. Elle est venue témoigner devant des lycéens ligériens, à l'occasion du tournoi féminin d'Andrézieux-Bouthéon.
La jeune femme se tient debout. Elle fait face à un public silencieux et attentif. Les lycéens sont abasourdis. Leurs visages sont graves. Le témoignage de l'ancienne joueuse de tennis, aujourd'hui professeure d'EPS, les cloue sur place. Les mots sont parfois crus, choquants. Angélique Cauchy a été sous l'emprise de son entraîneur durant des années. Elle était alors un jeune espoir du tennis tricolore. Elle a subi 400 viols en deux ans. Il lui a fallu plus de 15 ans pour parler de son calvaire à ses proches et oser porter plainte.

Le poids du silence
Angélique Cauchy explique aussi pourquoi elle s'est tue pendant si longtemps. Un silence qui peut sembler incompréhensible. "Il y a toujours beaucoup de violences dans les mots des parents. Ils disent : si jamais quelqu'un touche à un de tes cheveux, je le tuerai. Je me suis dit : si jamais je parle, je prends le risque d'envoyer mon père en prison et je me dis que je ne peux pas détruire ma famille". Angélique raconte comment elle a gardé le silence pendant 15 ans "pour les protéger".
La première phrase terrible de ma mère quand je leur ai appris (...) : j'espère qu'il n'a pas touché ta sœur. (...) À ce moment-là, j'aurais aimé que mes parents pensent dix secondes à moi qui pendant 15 ans aie gardé le silence pour les protéger.
Angélique Cauchy
Devant ces lycéens, Angélique Cauchy évoque une histoire familiale douloureuse. Celle qui a brisé le silence parle aussi sans détour des répercussions de ses révélations. Elle raconte la tentative de suicide de sa mère, le passage en hôpital psychiatrique qui a suivi, la culpabilisation d'une mère abîmée par les violences subies dans sa jeunesse.
"Ma mère a toujours été extrêmement fragile (...) Je n'ai pas parlé pour la protéger et lorsque j'ai parlé, cela a eu des répercussions sur elle (...). Malgré ma dévastation, j'ai d'abord pensé à elle pendant deux ans", confesse la jeune femme.
Le choc des mots
Violences sexuelles, viols... ces deux années d'emprise ont eu des effets dévastateurs sur la jeune sportive : troubles alimentaires, isolement social, problèmes intimes... Des troubles qu'elle tient à distance. Son engagement dans la lutte contre les violences faites aux femmes y contribue. Et ce jour-là, devant son jeune auditoire, elle ne mâche pas ses mots. Elle évoque une réalité crue, insoutenable. "Je préfère vous dire une phrase qui va vous marquer pendant peut-être deux heures, mais je préfère vous protéger pendant 50 ans", lâche-t-elle aux lycéens toute ouïe.

"Touchant", "poignant"
Les réactions de ces adolescents sont unanimes face à la force de ce témoignage. "C'est bouleversant, ce n'est pas tous les jours qu'on entend parler de ça. Elle a même pleuré, son émotion a touché toute la salle (...). Elle nous a expliqué qu'elle n'était plus elle-même, qu'elle n'était plus dans son corps et qu'elle se laissait faire. Le fait d'avoir ce témoignage, c'est réel, on se rend compte de ce qui a pu se passer. Entendre son histoire, c'est encore plus touchant. On va s'en souvenir", explique Clément, un élève de Terminale.
Sur les réseaux, j'ai déjà vu des témoignages de victimes. Mais voir une personne réellement, c'est encore plus fort. C'est plus fort qu'un témoignage à travers un écran.
MarieLycéenne
"Ça m'a beaucoup touché. Ça m'a pris au cœur. L'ignorance de l'entourage m'a touché. Les techniques du prédateur qui sont réfléchies, un engrenage terrible. Entendre un témoin, c'est deux fois plus percutant que lire un article. C'est très dur à écouter (...) c'est ma mission aujourd'hui d'avoir reçu cette parole (...) je vais partager ce témoignage avec mon entourage", rapporte Marie, en classe de Terminale.
"C'était poignant. J'avais les larmes aux yeux (...) Je vais rentrer et parler de ce témoignage à ma famille. Ça restera dans ma mémoire. Sur les réseaux, j'ai déjà vu des témoignages de victimes, mais voir une personne réellement, c'est encore plus fort. C'est plus fort que voir un témoignage à travers un écran," ajoute Marie, une autre lycéenne de première.
"Elle nous parle avec les bons mots, c'est vraiment touchant. On comprend mieux ce sujet tabou... quand elle était avec lui. Elle a parlé de façon claire et honnête", commente Abraham, en classe de première.
L'autre bénéficie de ce témoignage : alerter les jeunes sur les changements de comportement de leurs camarades. Tous affirment qu'ils seront plus vigilants à l'avenir. Une sensibilisation d'autant plus importante qu'un mineur sur sept sera victime de violences dans le sport.
Emprise totale
C'est à l'âge de 12 ans qu'Angélique Cauchy a croisé la route de son bourreau. Viols, violences sexuelles et psychologiques, l'adolescente va rapidement se retrouver sous emprise. Un état qu'elle décrit avec des mots pesés devant le jeune public médusé. "Je suis tellement sous emprise que je ne réfléchis plus par moi-même, je mange comme lui, je parle comme lui, je m'habille comme lui... Tant de signes qui auraient dû alerter des adultes ou mes camarades s'ils avaient été sensibilisés".
Je suis son mini lui, je suis sa marionnette. Je deviens son esclave sexuelle.
Angélique Cauchy
"Il avait colonisé tout mon esprit et mon temps. Il s'était rendu indispensable. Au début, à mon tennis... puis j'en étais arrivée à penser que – sans lui – je ne pourrais presque pas respirer. L'emprise est tellement totale que je n'ai plus du tout de libre arbitre. Il fait ce qu'il veut de moi, je deviens sa chose", raconte la trentenaire. Il faudra un an à l'adolescente pour réussir à briser cette emprise, mais il lui faudra 15 ans pour oser parler à ses proches et porter plainte. Elle n'a libéré sa parole qu'une fois adulte. "La parole est un premier pas, mais ça ne suffit pas. Elle doit servir à ce qu'il y ait des actes. La parole seule ne pourra pas changer le monde", affirme la jeune femme.
Angélique a été reconnue comme victime. Son ancien entraîneur a été condamné à une peine de 18 années de réclusion criminelle.
Angélique Cauchy a raconté son histoire dans "Si un jour quelqu'un te fait du mal". "Jamais, jamais on ne doit vous faire culpabiliser de ce que vous avez vécu", martèle la jeune femme à l'adresse de son public. Une phrase qui a conditionné la conclusion de son ouvrage. "Si un jour quelqu'un vous fait du mal, nous, les adultes, nous devons vous croire, vous écouter et vous protéger".