Avec ses onze ans de service, le tramway clermontois s'arrête régulièrement pour de longues périodes de maintenance. Trop régulièrement? La technologie Tranlohr du tramway sur pneumatique est-elle fiable sur le long terme? Dans ce dossier, nous avons tenté de répondre à ces questions.
Pendant l’été 2017, le tramway de l’agglomération de Clermont-Ferrand s’est arrêté pendant deux mois. En 2013, il s’était aussi stoppé 2 mois, ainsi qu’en 2013, avec 7 mois d’arrêt partiel. La raison de ces pauses récurrentes : les travaux de maintenance.
Les raisons invoquées semblent légitimes, car le tram a aujourd’hui 11 ans et a déjà quelques kilomètres au compteur. Mais ces mois entiers de maintenance, plusieurs années de suite, sont-ils un phénomène normal pour un tramway ?
Une maintenance particulièrement fréquente
La maintenance est essentielle pour une ligne de tram, mais les fermetures totales, pendant presque deux mois et sur plusieurs années consécutives, sont très rares.
Par exemple, la fermeture la plus longue qu’a connue le tram manceau, qui est un an plus jeune que celui de Clermont – inauguré le 17 novembre 2007 – a duré une seule semaine. Là-bas, l'entretien se fait plutôt de nuit, quitte à couper le tram un peu plus tôt le soir.
Pour le SMTC, le regroupement des travaux sur une seule période dans l'année est un choix. Selon le syndicat, cela permet de gagner en productivité, d'optimiser le temps des travaux et d'entreprendre de la maintenance préventive. Et comme il n'y a qu'une ligne, cela se voit plus pour les usagers.
Les autres lignes plus robustes
Selon le SMTC, il n'y a pas que le tram Clermontois qui ferme ainsi l'été, mais aussi Strasbourg, Saint-Étienne, Nantes ou Orléans. En regardant de près, la situation n'est pourtant pas vraiment comparable : ces réseaux sont beaucoup plus anciens : celui de Nantes a plus de 30 ans, celui de Strasbourg approche des 25 et le tram stéphanois roule depuis la fin du XIXe siècle (1881).
Quant à Orléans, une partie d'une ligne a bien été coupée pendant six semaines, mais il s'agissait de changer des rails défectueux qui avaient été mal posés.
Actuel président de l'Association des usagers des transports d'Auvergne, Philippe Valeriano suit ce dossier depuis des années. Pour lui, c'est la technologie sur pneus qui est à l’origine du problème.
« En ce qui concerne les tram « fer », les interruptions sont beaucoup moins fréquentes et longues que le tram sur pneus, constate-t-il. La plateforme n’a pas besoin d'autant d'entretien. »
Il cite l’exemple nantais. « Pour une ligne ouverte en 1992, le changement de rail a été nécessaire qu’en 2014, et sur une partie seulement. Donc l’usure du système Translohr est manifestement plus accentuée que sur un tramway ferré ».
Un tram sur pneumatiques
Avec le Translohr, les rames – lourdes de neuf tonnes par essieu - passent plusieurs dizaines de fois par jour exactement au même endroit, au centimètre près, car elles suivent le rail central. C'est donc à chaque fois le même morceau de chaussée qui doit donc encaisser la charge.
Les zones en question s'usent rapidement, surtout si elles sont en enrobé. Le béton résisterait mieux, mais pour des raisons de coût, il n'a pas été utilisé sur toute la longueur.
« Une voie ferrée a une longévité de 25 ans, explique Pierre Pommarel, le prédécesseur de Philippe Valeriano à la tête de l’association. La voie du Translohr a une longévité de moins de 10 ans. Si on doit la refaire trois fois plus souvent, ça coûte plus cher ! » Cette faiblesse est aussi évoquée dans un rapport de la Cour des Comptes de 2010.
Lors de la construction des lignes T5 et T6 près de Paris, le Syndicat des Transports d'Ile de France avait sélectionné le Translohr. Dans un rapport, la RATP formulait cependant « de fortes réserves sur la fiabilité et la capacité du matériel retenu et fait part de ses incertitudes sur l'entretien futur de la plate-forme ».
Pour vérifier, nous avons contacté le constructeur du Translohr qui nous a renvoyé sur le SMTC. La mairie de Clermont nous a ensuite renvoyé sur le SMTC, qui avait auparavant répondu, mais que par écrit.
La volonté d'avoir un tram Michelin
Le seul qui a bien voulu nous parler face caméra, c'est Serge Godard. L'ancien maire de Clermont a inauguré ce tram et pour lui, la technologie sur pneus n'est pas moins fiable que le rail. « Il n’y a pas plus d'entretien sur un tram sur pneu que sur un tram ferroviaire, certifie l’ancien élu. Je suis désolé de voir que le lobby ferroviaire veut expliquer que tram sur pneus, ça ne marche pas. Mais 65 000 personnes par jour, ça veut tout dire. »Un constat s'impose pourtant : depuis la ligne pionnière de Clermont, la technologie du Translohr n'a pas convaincu beaucoup d'autres villes. Moins d'une dizaine dans le monde l'ont adoptée et le constructeur a frôlé la faillite en 2012 avant d'être racheté par Alstom.
Les autres modèles sur pneu ne se portent pas mieux. À Caen, la ville a déjà décidé de démonter sa ligne de type TVR, qui n'a pas quinze ans. Elle a été remplacée par un tram sur fer, qui a démontré depuis qu'il ne coûtait pas plus cher.
Alors que reste-t-il au pneu ? Pour son défenseur, il faut se rappeler du contexte clermontois pour comprendre. « Si on avait dû faire du ferroviaire [à Clermont-Ferrand], il est probable qu'on aurait dû construire un viaduc aux Cézeaux, » raconte Serge Godard, avançant les impacts économique et écologique d’un tel projet. Alors, certains disent que c'est Michelin, ce n’est pas faux. Quand on a le premier constructeur mondial de pneus dans sa ville et qu'on dit on en veut pas pour mon transport public, ça fait un peu désordre. »
Son successeur, Olivier Bianchi, ne semble pas partager complètement ce point de vue. A l'automne dernier, l'actuel maire de Clermont qualifiait dans la presse le choix du Translohr d' « erreur » en évoquant une possible conversion vers le rail. Mais la transformation n’aura pas lieu avant 2030.
► Notre dossier du 19/20, diffusé le 7 septembre 2017