Ce devait être un jour de fête : l'inauguration de la rue Emile Zola à Lyon dans sa version essentiellement piétonnière. C'était l'occasion de célébrer la vision de l'aménagement urbain de la Ville et de la Métropole, toutes deux dirigées par des élus écologistes. Mais voilà, différents collectifs et associations de riverains et commerçants en ont profité pour sonner l'alarme : ils dénoncent une ville moins accessible et moins lumineuse, un comble pour Lyon, ville de la fête des lumières.
C'est un peu le choc des cultures, ou plutôt celui des visions. D'un côté, les chefs des majorités écologistes municipales et métropolitaines qui célèbrent la fin de travaux emblématiques de leur vision de la ville : l'aménagement de la rue Emile Zola.
De l'autre, des collectifs de commerçants et de riverains qui poussent un coup de gueule, reprochant pêle-mêle une inflation de travaux qui pénalisent la circulation et lourdement le commerce mais aussi des éclairages en presqu'île "pas à la hauteur de Lyon".
D’interminables travaux
Cette rue Emile Zola, nous y étions allés le 18 septembre dernier pour rencontrer Mathieu Bruel, gérant d'un commerce d'habillement. À l’époque, les ouvriers s'affairaient à achever le pavage de cette rue qui débouche sur la place Bellecour.
Entre sacs de sable, panneaux métalliques et pavés massifs, le constat était clair : plus d'un an de travaux et la chute de fréquentation de sa boutique, certains clients demandant même que les retouches leur soient envoyées par la poste pour éviter de revenir à Lyon.
Des livraisons plus compliquées, moins de clients, un chiffre d'affaires en baisse de 20%, le tableau dressé est sévère.
Notre équipe a retrouvé ce même Mathieu Bruel mercredi 11 décembre, jour de l'inauguration de sa rue, la rue Emile Zola nouvelle version, c'est-à-dire pavée, avec des végétaux, des piétons et des vélos.
"Effectivement, le résultat est plutôt sympathique, mais tout cas a été fait à marche forcée (...) mais en tant que commerçant nous avons été maltraités pendant deux ans et demi sur la rue Emile Zola".
La zone à trafic limité en question
Un épiphénomène limité à cette rue ? Pas vraiment. D'abord il y a tout le périmètre entre la place des terreaux et la place Bellecour qui est concerné par une zone à trafic limité (ZTL) en 2025. Elle interdira de fait la circulation de véhicules motorisés – hors livraison.
Ensuite, dans cette zone, de nombreuses artères sont concernées par des travaux identiques à la rue Emile Zola, générant leur lot de blocages.
Un collectif encore plus collectif
Le phénomène est si étendu que le collectif de riverains et de commerçants "défenseurs de Lyon" initialement centré sur la rue Emile Zola a été rejoint en septembre par 27 autres collectifs ou associations de Lyon et du Grand Lyon.
Leur constat est le même : des aménagements qui interrogent et une inflation de travaux non concertés qui limitent le trafic routier et dissuadent les habitants des environs de se rendre en ville. Résultat : une baisse annoncée du chiffre d'affaires global en presqu'île de l'ordre de 30%.
Aujourd'hui, les gens ne viennent plus en ville, à Lyon. Ils se rabattent sur les villes extérieures parce qu'ils ne peuvent plus accéder à Lyon (...) On chasse la voiture de la ville, nous, on est contre ça. On veut que la ville soit ouverte à tous.
Mathieu Bruel, commerçant, membre du collectif des défenseurs de Lyon et du Grand Lyon
Côté mairie, Grégory Doucet assume ses choix en regardant avec admiration la rue Emile Zola "new look" : "C'est d'abord le piéton qui est roi ici, dans la rue Emile Zola. Elle est plus apaisée, plus agréable, plus confortable pour tout le monde, c'est ça la presqu'île qu'on a envie de voir".
Sauf que les critiques dépassent largement ce périmètre de la Métropole : la rue principale d'Oullins passée en sens unique dans la douleur par exemple ou encore les travaux de la rue Félix Faure et Lacassagne (3eme arrondissement).
Frénésie de travaux
Avenue Lacassagne justement, des commerçants ont signalé ce matin que des tranchées où des raccords électriques devaient être effectués ont été rebouchées sans que les travaux soient, faute de personnel.
Et ça, alors que le secteur subit des travaux depuis des mois. Fleuriste, boucher et cafetier du coin tirent la langue. Certains parlent d'une baisse de 60% du chiffre d'affaires. Selon le collectif, la supérette Auchan piéton qui a fermé définitivement serait même une victime collatérale de cette frénésie de travaux.
Un moratoire sur les travaux
On demande un moratoire sur les travaux, pour que l'on s'assoit autour d'une table avec les acteurs économiques, les riverains et les politiques. (...) Les travaux ont été menés de façon unilatérale. La concertation pour ces gens-là, c'est un dogme, mais ils ne l'appliquent pas.
Mathieu Bruel, commerçant, membre du Collectif des défenseurs de Lyon et du Grand Lyon
La semaine dernière, Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon a semblé entendre la colère et annoncé le report de plusieurs chantiers de voirie initialement prévus pour l'année 2025. "Une demi-victoire" commente Mathieu Bruel. "Il s'est aperçu qu'il était allé un peu trop loin... Il y a une échéance électorale dans 15 mois". Mais pour l'heure, pas de nouvelle table ronde annoncée avec les commerçants.
Des illuminations "au rabais" dans les rues de la presqu'île
Cerise sur le gâteau de la colère lyonnaise : la remise en cause des illuminations de noël qui "ne sont pas à la hauteur de Lyon" selon Nelly Markovic une porte-parole du collectif des "défenseurs de Lyon et du Grand Lyon". Commerçants du 1er et 2eme arrondissement.
Et Mathieu Bruel d'ajouter " je vous invite à venir dans certaines rues du secteur (presqu'île) à 19h (...) on est dans le noir. Est-ce que la 2ème ou 3eme métropole de France doit être dans le noir ? On a besoin de briller (...) on n’a presque pas de décorations de noël, ça n'est pas normal."
Là encore, les commerçants dénoncent le frein à l'activité économique que représentent des éclairages de fêtes jugés vieillots et dysfonctionnels dans la ville de la fête des Lumières.
La mairie assure avoir payé, contrairement aux usages de parité en vigueur jusque-là, l'intégralité des 100 000 euros de frais d'illumination des cinq rues "iconiques" de ce secteur, deux autres restant à la charge des commerçants.
Certains peuvent être déçus du résultat, je peux l'entendre. Mais nous avons mis plus d'argent public (...) la direction de l'éclairage urbain a fait des efforts très importants pour que la presqu'île brille davantage. Laissez-moi regarder le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide
Grégory Doucet, maire écologiste de Lyon
Nul doute qu'après les fêtes et la période de soldes viendra l'heure des premiers bilans, auprès des commerçants mais aussi auprès des riverains. L'occasion de jauger des visions différentes de l'aménagement urbain.