Fermées depuis le 15 mars dernier, les Puces du Canal, à Villeurbanne, enregistrent de lourdes pertes économiques. Mais les brocanteurs s'adaptent et se lancent dans la vente en ligne. Le marché espère pouvoir rouvrir en drive dès la fin du confinement.
Les dimanches de printemps, les Puces du Canal de Villeurbanne accueillent entre 9000 et 12 000 visiteurs. Seulement, confinement oblige, depuis deux mois, ses allées peuplées d'objets vintage sont désertes. Un coup dur pour la société des Puces comme pour les brocanteurs qui y louent un espace de vente. La plupart d'entre eux comptent désormais sur internet et les réseaux sociaux pour continuer d'engranger quelques recettes et espèrent que le marché aux puces rouvrira au plus vite.
Des marchands en grande difficulté
Aux Puces du Canal, tout le personnel est au chômage partiel depuis la fermeture du site. Alors que la société avait enregistré un très bon début d'année, l'arrêt total de l'activité porte un coup dur à son chiffre d'affaire annuel. « Nous sommes dans une situation économique compliquée, mais on va s'en sortir », rassure cependant le directeur des Puces, Stéphane Blanchet. La société, qui a eu le droit à des aides de l'Etat, mais aussi de la Région, n'est pas en péril.
« Mais la situation est surtout très précaire pour les marchands », s'alarme Gaspard Fournet, responsable de la communication aux Puces du Canal. La plupart d'entre eux n'enregistre aucun chiffre d'affaire depuis deux mois. C'est le cas d'Hubert Baillet, qui possède une boutique dans le Halle Louis le Brocante depuis deux ans. « La trésorerie est en train de fondre. On a des charges dans tous les sens, le loyer, les assurances, c'est sûr que si ça continue comme ça, on va se retrouver la tête dans l'eau », explique-t-il.
Pour les brocanteurs itinérants, ceux que l'on appelle dans le jargon « les déballeurs » la situation aussi est compliquée. Dylan Marquat sillonne tous les marchés, foires et puces de la région. Celles du canal sont les deuxièmes plus grandes de France et représentent donc forcément un endroit de choix pour réaliser de bonnes ventes.
« D'habitude, je vends surtout aux marchands, qui revendent mes objets par la suite. Mais les professionnels n'achètent plus, alors en ce moment, je ne vends plus qu'aux particuliers via internet et forcément les budgets sont différents », raconte le brocanteur.
Difficile aussi, pour les brocanteurs professionnels, de continuer à chiner, de gérer ses stocks, de faire sa comptabilité et de remplir toutes les démarches pour obtenir des aides d'Etat. «Il va y avoir de la casse aux Puces, c'est sûr. Un brocanteur, ce n'est pas un homme d'affaires, c'est avant tout un passionné, un collectionneur professionnel comme on dit », confirme un autre marchand, Pierre-Alain Gadéa.
Certains restent tout de même optimistes et pointent les « bons côtés » du confinement: plus de temps pour retaper les objets, par exemple. « Nous retrouvons des meubles dans notre stock que nous avions achetés puis laissés de côté, faute de temps. Aujourd'hui, on a enfin le temps de les restaurer. C'est le côté le plus productif du confinement », positive Julie Vallat, qui poste toutes ses nouvelles créations sur Instagram et les y propose à la vente.
Le recours à la vente en ligne
Comme elle, nombreux sont ceux à avoir pris le virage de la vente sur les réseaux sociaux. Instagram en tête, Facebook, mais aussi Ebay ou le Boncoin sont aujourd'hui les seuls endroits où les marchands peuvent continuer à engranger quelques recettes. « La vente à distance a heureusement pris le relais sur la vente en direct. Dans ce cas, le relationnel et la confiance jouent beaucoup », confirme Dylan Marquat, présent lui aussi sur Instagram.
Certains rivalisent d'imagination et proposent des concepts orignaux pour continuer à vendre, comme Pierre-Alain Gadea. Sur les réseaux sociaux, il a lancé le hashtag #chinezconfinez et propose à ses clients de flâner en ligne.
Le brocanteur 2.0 se rend dans sa boutique des Puces deux fois par semaine, poste quelques photos et vidéos de sa boutique en direct. Il reste ensuite disponible pour que les clients puissent le rappeler, lui écrire ou même tenter un appel en visio pour répondre à leurs questions. « Ce n'est pas loin de la vraie chine physique, le client repère un objet sur la vidéo ou la photo et me rappelle pour demander des informations, souvent les mesures ou l'état de l'objet ». Le brocanteur s'engage ensuite à livrer l'objet l'après-midi même. Le concept, en place depuis deux semaines, rencontre un franc succès. « Faut se donner les moyens de faire un peu de chiffre. Je sauve les meubles avec ce système, c'est le cas de le dire », plaisante le marchand.
Les Puces ont d'ailleurs joué le jeu et référencé sur leur site tous les marchands qui avaient une boutique en ligne ou sur les réseaux sociaux. « Mais la vente sur internet exclue tout de même les plus anciens ou ceux qui ne sont pas familiers des techniques numériques, s'inquiète Gaspard Fournet. Certains s'y sont mis, d'autres se font aider par les plus jeunes ». C'est le cas par exemple d'Hubert Baillet. Il vient de lancer, il y a trois jours, son nouveau site de vente par internet. Un projet qui traînait dans les cartons depuis un moment déjà. « Je ne suis pas du métier, alors je me suis fait aider. C'était un projet que j'avais depuis longtemps, avec le confinement, c'était l'occasion ou jamais. Et puis ça occupe, tous ces objets à prendre en photo ».
Mais la vente en ligne ne suffit pas. « Cela n'a rien à voir avec le potentiel des puces, l'achat coup de cœur est beaucoup plus facile en physique qu'en numérique », affirme Pierre-Alain Gadea. « Nous essayons de nous adapter en diversifiant les moyens de vendre, mais c'est loin de couvrir le manque à gagner », confirme Julie Vallat. La vente reste en effet compliquée pour les objets lourds et encombrants, notamment, les meubles et internet ou pas, tous les brocanteurs espèrent pouvoir retrouver le chemin des puces assez rapidement.
Reprendre l'activité au plus vite
Mais si certains marchés aux puces ont obtenu l'autorisation de rouvrir avant le 11 mai, comme celui de Marseille, pas d'autorisation exceptionnelle pour Villeurbanne, car le marché n'est pas alimentaire.
Alors en coulisses, l'équipe des Puces s'active pour préparer la suite au mieux. « On avance à l'aveugle, tous les scénarios sont possibles, alors on essaye d'anticiper », explique Gaspard Fournet. La société se dit prêt à accepter toutes les règles et contraintes sanitaires pour rouvrir au plus vite. Des masques ont été commandés pour les exposants, des marquages au sol sont envisagés pour respecter les distances de sécurité et des systèmes de comptage aux entrées et sorties du site sont à l'étude. Les Puces du Canal attendent donc avec impatience les directives du gouvernement concernant les modalités du déconfinement. « Dès qu'on peut faire remarcher le site, on rouvre, c'est notre priorité absolue. Il faudra peut-être s'adapter, mais on veut qu'aucun marchand ne mette la clé sous la porte, on va donc faire notre maximum » promet Gaspard Fournet.
La solution du drive est pour l'instant privilégiée. Il permettrait aux acheteurs de venir récupérer leurs achats dans de bonnes conditions et pourrait faciliter la vente de meubles, difficile aujourd'hui avec les transporteurs qui tournent au ralenti. Le confinement, c'est donc aussi l'occasion pour les Puces du Canal, de se réinventer et d'imaginer l'avenir. « On réfléchit à des idées nouvelles, on prend le temps d'imaginer de nouveaux projets et d'envisager de nouvelles activités, mais on ne pourra vous en dire plus que dans les semaines à venir », conclut Stéphane Blanchet.