Le 12 janvier 2016, une poignée de jeunes hommes convoquent la presse, à Lyon, pour accomplir ce que personne en France n'avait fait avant eux : pour la première fois, des victimes de pédophilie témoignent à visage découvert et accusent un prêtre de les avoir agressés. L'affaire Preynat va initier une prise de conscience inédite dans la société et dans l'Eglise.
Avant ce geste, ils étaient des anonymes. Ils avaient en commun d'avoir appartenu au groupe scout de la paroisse St-Luc de Sainte-Foy-lès-Lyon, dans l'agglomération lyonnaise. Leur aumônier, le père Bernard Preynat, a abusé d'eux dans les années 80. En dénonçant ces abus, ils entraînent une avalanche de révélations : des dizaines d’enfants âgés de 7 à 15 ans ont été victimes du prêtre.
Ce geste déclenche alors un cataclysme dans l’Eglise et dans le diocèse de Lyon. L’association, baptisée La Parole Libérée, devient la figure de proue du combat contre la pédophilie dans l’Eglise. Un geste qui n'avait pourtant rien d'évident pour ces trentenaires et ces quadragénaires qui avaient jusqu'alors toujours gardé le silence.
"Pour vivre heureux, vivons cachés"
"Vivons heureux, vivons cachés : c'est ainsi que nous avons été éduqués", raconte Bertrand Virieux, l'une des victimes du père Preynat. "Parler face à des caméras, face à des médias, face à des journalistes, c'est extrêmement difficile... Simplement, c'est un devoir." Un devoir, car l'omerta règne sur ces faits depuis toujours et protège l'agresseur et l'institution à laquelle il appartient. "Le vrai problème de cette affaire, c'est la conspiration du silence qui a été orchestrée autour de cette affaire depuis 1980", explique François Devaux, de l'association La Parole Libérée. "Et ça, c'était inacceptable !"
Alexandre Hezez, cofondateur de La Parole Libérée, se souvient de la spontanéité avec laquelle ils ont entrepris leur action, et de la détermination dont ils ont fait preuve : "On a démarré la fleur au fusil, avec un objectif : faire éclater la vérité sur l'affaire Preynat. Des quadras qui regardent tous dans la même direction sans avoir peur de rien... Comme une start-up, en fait !".
Contre la conspiration du silence
Leur parole a fait grand bruit : en 2019, l'association est auditionnée au Sénat ; en 2020, le père Preynat comparait devant le tribunal correctionnel de Lyon pour abus sexuels sur mineurs qui le condamne à 5 ans de prison. L'affaire entraîne dans son sillage l’archevêque de Lyon Philippe Barbarin : jugé pour non-dénonciation de faits de pédophilie, il est relaxé, mais il démissionne.
Au-delà de l'affaire Preynat, tous les faits de pédocriminalité dans l'Eglise sortent de l'ombre. En octobre 2021, une commission d’enquête indépendante est nommée, la Ciase. Elle est chargée d’enquêter sur les abus sexuels commis par des membres du clergé. Les chiffres qu’elle dévoile sont terrifiants : 216.000 enfants abusés par des prêtres depuis les années 50.