A 45 ans, Fabrice Seva est un homme instruit et bien inséré. Cela ne l’a pas empêché, 15 années durant, de sombrer dans une sévère addiction : les paris sportifs. Un cauchemar dont il est sorti grâce à l’aide d’un centre d’addictologie.
"J’ai commencé à jouer à l'âge de 20 ans, quand j'étais étudiant, avec des copains" : Fabrice Seva, aujourd’hui âgé de 45 ans, doit bien regretter ces années d’insouciance, lorsqu’il était étudiant à l’ESSEC, une prestigieuse école de commerce.
À l’époque, les jeux d’argent étaient un monopole de la Française des jeux. Mais, à partir de 2010, l’ouverture à la concurrence l’a projeté dans un monde de tentations. 16 opérateurs aujourd'hui, tous plus attirants les uns que les autres, de Betclic à Winamax, d’Unibet à Parions sport. "À partir du moment où j'ai commencé à jouer de façon régulière, je savais que je m'engageais sur une pente glissante. Mais quand des personnes de mon entourage me posaient la question, je leur répondais : Ne vous en faites pas, je maîtrise !".
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16 000 euros de gains
Seulement voilà, Fabrice Seva ne maîtrise rien du tout. Amateur de paris sur le tennis et le basket, il ne se contente pas de prédire quelle équipe va gagner : son dada, c'est d'anticiper les écarts de points et avoir des décharges d'adrénaline à chaque ace ou panier marqué. Et il va rapidement goûter aux joies du gain : "Une fois, j’ai empoché 16 000 euros, en une seule journée, sur un seul ticket de Loto Foot. J'ai reçu un chèque que j'ai déposé à la banque. Avec, j’aurais dû solder les premiers prêts que j’avais contractés, mais j'étais persuadé de détenir la vérité et que, désormais, j'allais gagner beaucoup plus régulièrement. Je ne saurais pas dire en combien de temps les 16 000 euros sont partis en fumée mais ça a été rapide".
Des alertes ciblées pour inciter à parier
D’autant que les opérateurs ont d’autres leviers pour rendre les parieurs accros : "Quand vous êtes inscrit sur un site en ligne, de temps en temps, vous avez des bonus ou bien, sur un pari, alors que vous ne demandez rien à personne, on vous dit que les gains sont multipliés par deux. C’est plein de petites choses qui incitent à jouer. En plus, ces sites sont extrêmement bien faits et l’opérateur sait très bien quels sports vous aimez et quels paris vous préférez. Et sur votre interface, vous recevez des sollicitations en direct, des alertes qui sont nombreuses… et dangereuses".
Aujourd’hui, Fabrice Seva, contrôleur financier de profession, fait les comptes : "En l’espace de quinze ans, j’ai dû perdre 150 000 à 200 000 euros J’étais vraiment dans mon monde, dans ma bulle. Persuadé que, à un moment, la chance allait tourner. Dans ma tête, chaque nouveau pari, c’était le début d’une histoire, d'un nouvel espoir. Depuis tout petit, j’étais passionné par les sports, j’avais donc l'impression de connaître le tennis et le basket, d’avoir une expertise et de pouvoir gagner ".
L’endettement
"À partir du moment où j’ai fait un premier prêt à la consommation, je me suis retrouvé avec un peu d'argent, j’ai donc pu continuer à jouer. À ce moment-là, il n’y a aucun organisme de contrôle, j'ai toute liberté pour miser et personne ne peut m'empêcher de le faire. C’est une espèce de spirale. Mais je sais que les pertes s’accumulent, je le vois au nombre de prêts à la consommation que j’ai sur le dos. Je n’ai pas fait le compte, mais j'en avais quasiment une dizaine. À la fin, je démarrais le mois avec moins de 100 euros pour vivre, tout mon salaire partait dans le remboursement. Du coup, je jouais pour pouvoir éponger les pertes"
Il fallait que je gagne parce que je ne savais pas comment finir le mois, je ne savais même pas comment finir la semaine.
Fabrice Sevaancien addict aux paris sportifs
Fabrice Seva va aussi emprunter de l’argent à des copains, mais l’amitié trahie, le surendettement ou le risque d’interdiction bancaire ne sont pas ses préoccupations premières à l’époque ; c’est le pari qui continue de l’obséder. «Dans la journée, je jouais et je suivais les matchs et l’évolution des scores sur mon téléphone. Et la nuit, je dormais de moins en moins, je pensais aux paris que j’allais faire le lendemain. À part les opérateurs, personne ne savait que j’étais devenu un joueur compulsif».
Le mensonge
Fabrice va mentir à tout son entourage. "Au quotidien à la maison, j'arrivais à cacher ça à ma femme, mais ça me coûtait énormément, ça me demandait énormément d'énergie. Je lui ai menti sur le montant des pertes, sur le fait que je maîtrisais et sur la réalité de la situation. C’est quelque chose dont je ne suis absolument pas fier. Mais la vérité est extrêmement dure à dire parce que vous avez peur que tout s’arrête et que votre femme vous quitte. Il y a bien des gens aussi qui ont essayé de discuter avec moi, mais je fermais toutes les portes. Je savais que j’étais dans un puits sans fond et tout seul, je n’arrivais pas à m'en sortir".
La sortie de l’enfer
C’est un courrier des huissiers dans la boîte aux lettres qui fera éclater la vérité. "J’avais pris l’habitude d’intercepter toutes les lettres de Sofinco ou des sociétés de crédit à la consommation. Mais pour le courrier des huissiers, il n’y avait rien sur l’enveloppe et ma femme est tombée dessus. Au final, c’est ce qui m’a sauvé, ma compagne s'est rendu compte de la situation et a pris conscience du problème. Cela a été un soulagement ".
Il a d’abord fallu trouver des solutions pour apurer la situation financière : Fabrice Seva est privé de compte en banque, ainsi que de carte bleue. Il se fait interdire de jeux auprès de l’Autorité nationale du jeu (ANJ) et n’a donc plus accès ni aux paris en ligne, ni aux casinos. En outre, il doit aussi évidemment rembourser ses dettes abyssales. Mais le mal couve toujours. «Il m’a fallu plusieurs années avant d’accepter de me faire aider. C’était après le Covid, je me suis adressé à une association dans la région lyonnaise et j’ai été suivi pendant deux ans. Et aujourd’hui, je ne suis plus un joueur excessif».
Aujourd’hui, je continue à jouer. Mais désormais, ce sont des sommes qui sont maîtrisées, dans le cadre d'un budget sur lequel je me suis entendu avec ma femme.
Fabrice SevaAncien joueur excessif
Fabrice ne retombe pas dans ces anciens travers : "si je perds, ce qui est encore arrivé ce matin. la première chose que je vais faire, ce n’est pas d'aller rejouer pour essayer de compenser. Je suis en mesure de faire aujourd'hui ce qui m'aurait semblé complètement impossible avant"
Ce témoignage est à retrouver dans Enquêtes de régions : les addictions, mercredi 22 janvier à 23h15 sur france 3 Auvergne Rhône-Alpes puis en replay sur france.tv