Promulguée le 17 janvier 1975 au terme de mois de débats houleux, la loi Veil a autorisé les interruptions volontaires de grossesse. Avant cette date, l'avortement était illégal. Des médecins ont osé aider des femmes en détresse en pratiquant clandestinement des IVG. L'un de ces médecins, âgé aujourd'hui de 82 ans, raconte sa toute première intervention en 1972, près de Lyon.
"L'IVG fait partie de la vie de 40% des femmes et devrait être un acte médical comme un autre", déclare le docteur Julie Perlier, gynécologue médicale à l'hôpital Édouard Herriot de Lyon. Une affirmation qui n'a pas toujours été facile à défendre ou à porter. Mais depuis 1975, les temps ont bien changé. Regards croisés de deux médecins sur l'IVG, avant et après la loi portée par Simone Veil.
Quelle prise en charge en 2025 ?
"Toute femme fertile peut être confrontée un jour à une grossesse non désirée. 40 % des femmes ont une grossesse non désirée dans leur vie. C'est un vrai enjeu de santé publique. On a tout intérêt à les informer, les accueillir, bien les prendre en charge. Ce sont souvent des gens qui n'ont pas eu accès à la contraception".
Le docteur Perlier pratique des IVG depuis 20 ans et a fait ses débuts à l'Hôtel-Dieu. Elle a vu la prise en charge évoluer, notamment aux HCL. Elle est aujourd'hui responsable du plus important centre IVG de Lyon. 1250 interventions chirurgicales y ont été pratiquées en 2024.
Au fil des années, ce médecin a constaté que la prise en charge des femmes souhaitant avorter avait fait d'importants progrès. À Lyon, où les différents centres d'IVG des Hospices Civils de Lyon travaillent en réseau, les patientes bénéficient d'une prise charge intégrale. "Elles ont leur échographie de datation sur place. Elles n'ont pas besoin de voir des praticiens qui ne travailleraient pas dans un service d'IVG. Plus besoin du certificat initial. Elles ont leur entretien psychologique sur place et la visite de contrôle dans le service", détaille-t-elle. Le service d'orthogénie dispose d'un secrétariat dédié avec du personnel formé. Chaque femme est assurée de bénéficier d'une confidentialité absolue et d'une prise en charge psychologique.
Ça reste une décision difficile, mais il est de plus en plus intégré que c'est un événement de vie.
Dr Julie PerlierGynécologue médicale, hôpital Herriot (Lyon)
Cette praticienne voit aujourd'hui arriver dans son service des jeunes filles qui ont de fortes interrogations sur la contraception hormonale et des craintes pour leur santé. Un demi-siècle plus tôt, avant la loi Veil, les enjeux étaient différents. Une grossesse non désirée faisait prendre des risques aux femmes et aux praticiens qui agissaient dans la clandestinité pour leur venir en aide. La loi Veil a mis un terme à cette situation. À Lyon, Daniel Balvet a fait partie de cette génération de médecins qui ont défié les interdits par souci "d'assistance à personne en danger".
Avant la loi Veil... la clandestinité
En 1972, alors que le débat sur l'IVG monte dans le pays, Daniel Balvet, jeune généraliste de 28 ans, fraîchement installé à Lyon, réalise clandestinement, son premier avortement avec un ami et confrère, Michel Debout. Ce dernier deviendra un professeur de médecine réputé à Saint-Etienne. Les deux praticiens, peu expérimentés, mais pétris de convictions, étaient prêts à braver les interdits. Ces derniers se sentaient "légitimes" face aux "situations dramatiques que les femmes vivaient", comme l'explique le médecin aujourd'hui âgé de 82 ans.
On a été reçu par une femme qui nous a dit : la jeune fille est en haut. C'était le soir, c'était un peu sinistre. On a fait comme on a pu. On a fait cet avortement. On n'étaient pas très expérimentés. Ça a été un peu long et difficile, mais ça s'est bien passé.
Daniel BalvetMédecin à la retraite
Il se souvient encore très bien de cette première intervention clandestine. "Avec Michel Debout, nous avions été informés qu'une jeune fille était en grande détresse dans la région lyonnaise, près de La Tour-de-Salvagny. On a bricolé du matériel la veille et on a débarqué avec ce matériel divisé dans deux voitures, en cas de descente de police. On avait très peur", se souvient Daniel Balvet. "On ne se rend pas compte de la peur qu'il y avait, de combien la chose était taboue, en particulier pour un médecin", rappelle ce dernier.
Pompe à vélo, manomètre, sonde Karman… Les deux jeunes médecins utilisent alors du matériel médical bricolé en suivant une technique transmise par des militants de Grenoble qui l'ont eux-mêmes apprise à Londres. Jusqu'en 1975, à la promulgation de la loi Veil, les deux médecins refusent de cacher leur activité. Ils entendaient montrer que l'avortement pouvait être une pratique sûre et encadrée. Objectif : faire bouger la société. Daniel Balvet a pratiqué des milliers d'avortements dans sa carrière. Mais même après la dépénalisation, il a dû se battre contre une partie du corps médical.
Quand la loi Veil est adoptée, "bien sûr, on s'est réjoui", dit l'ancien médecin. Mais les militants ont vite déchanté, car les hôpitaux et cliniques ne "voulaient pas entendre parler" d'IVG malgré la dépénalisation, rappelle l'octogénaire.
Signe du chemin parcouru, les HCL comptent aujourd'hui quatre centres d'orthogénie qui accueillent et aident les femmes en demande d’une interruption volontaire de grossesse.