Longtemps victimes d'une réputation de vins "acides" bons "à mettre dans la fondue", les vins de Savoie connaissent un succès grandissant en France et à l’étranger. Frais, secs et peu alcoolisés : ils correspondraient aux critères de consommation actuels. La demande est telle que les vignerons savoyards ont du mal à y répondre.
"The high altitude keeps the wines fresh and full of life". Un vin frais, plein de vie, grâce à la haute altitude. C’est ainsi que les vins de Savoie sont décrits outre-Atlantique par un caviste de San Francisco sur son site internet.
Depuis quelques années, les Américains sont de plus en plus friands du vin savoyard. Les jeunes générations le choisissent pour son prix accessible, environ 12 dollars dans un magasin spécialisé, et les amateurs s’y intéressent pour sa réputation encore confidentielle, hors des sentiers battus.
Un marché en expansion, que le domaine Carrel & Sanger s’est empressé de séduire il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui, ce domaine familial de 30 hectares, niché à 300 mètres d’altitude près du lac du Bourget, est le premier exportateur de vins de Savoie aux Etats-Unis. "Nous y exportons 25 % de notre production, alors que l’export à l’étranger tourne plutôt autour des 7 % pour le reste de la profession, détaille Thomas Senger, co-propriétaire du domaine. On est pile dans les critères de consommation des nouvelles générations, avec des profils de vin fruités et frais, pas trop alcoolisés qui plaisent à la clientèle anglo-saxonne."
Japon, Corée, Belgique, Canada, Scandinavie : les vins de Savoie s’exportent désormais sur tous les continents. "On a une explosion des demandes, à laquelle on a même du mal à répondre, confirme Franck Berkules, chargé d’export pour l’interprofession des Vins de Savoie. Il y a vingt ans, on exportait 2 % de notre production. Aujourd’hui, ce chiffre a triplé avec 7 à 8 % d’export. Mais notre production a faibli ces dernières années à cause des aléas climatiques donc la demande n’est pas calquée sur l’offre. C’est frustrant".
L’image du vin qu’on met dans la fondue nous collait à la peau.
Franck Berkules, chargé de communication et d'export pour l’Interprofession des vins de Savoie
"Ce qui plaît, c’est le côté méconnu, explique Franck Berkules. Les acheteurs de vins aiment découvrir des pépites, des vignobles qui commencent tout juste à émerger, mais avec un bon rapport qualité-prix. Avec ses 2000 hectares de vignobles, notre AOP est microscopique. Mais elle plaît à ceux qui ont fait le tour des grands domaines bordelais ou bourguignons. Il y a le côté préservé de la Savoie, cette image de territoire sous cloche. L’image du vin qu’on met dans la fondue nous collait à la peau. Désormais, on montre qu’on peut aller vers autre chose".
"A l’étranger, il n’y a pas ce prisme sur la qualité des vins de Savoie. Pour eux, c’est dans leur critère, à des prix abordables, avec tout l’imaginaire autour des Alpes", approuve Thomas Senger.
La cote auprès des jeunes
En France aussi, cette image caricaturale du vin savoyard tend à disparaître et séduit une nouvelle génération de consommateurs. "On observe depuis quelques années une augmentation de la demande et mais aussi de la qualité, avec une approche novatrice. Il y a plus de bio, de biodynamie dans une région qui arrive avec une meilleure maturité des vignes, témoigne Bertrand Rajot, responsable spiritueux et sommelier pour une célèbre cave à vins lyonnaise. Une nouvelle génération plus curieuse que les précédentes arrive, qui souhaite trouver des vins abordables et plus frais. Et quand on a moins d’argent, on se tourne vers une région moins connue mais qualitative".
"La remontada des vins de Savoie"
Les vins savoyards profitent d’une tendance générale : la suprématie du vin rouge est terminée. Toujours apprécié des consommateurs "réguliers" et "très réguliers", le vin rouge est en revanche de plus en plus boudé par les buveurs occasionnels.
Selon l’étude de consommation de vin en France publiée par l’agence Toutlevin en 2024, le blanc est largement représenté chez les consommateurs occasionnels (qui représentent 51% des consommateurs), avec +10 points de parts de marché de plus que le rouge.
"En France comme dans le monde, l’occasion de consommation est plutôt à l’apéritif, et souvent, on part plus sur un blanc, souligne Franck Berkules. Avant, cette demande de blanc s’orientait sur les vins sucrés, qui étaient les vins de démarrage des petits consommateurs. Mais cette mode est terminée, car le sucre a mauvaise presse. Les goûts sont revenus au vin blanc sec, peu alcoolisé, plus en nuance qu’en puissance. Cette conjonction de facteurs explique la remontada des vins de Savoie".
Un succès porté également par les grandes maisons étoilées de la gastronomie française, installées dans les stations savoyardes, qui font découvrir leurs "petits vignerons locaux" aux riches touristes étrangers. "Nos vins sont aussi très appréciés avec des mets étrangers. Les Américains et les Japonais les boivent avec de la viande grillée, les pays nordiques les consomment avec du poisson cru ou du homard", ajoute Thomas Senger, du domaine Carrel & Senger.
"C’est excitant cet effet de mode, mais il faut être prudent, car on doit maintenant réussir à faire durer cette désirabilité dans le temps, conclut-il. Et nos concurrents, les grands domaines traditionnels français, sont déjà en train de réagir pour recréer la surprise autour de leurs vins. Dans le Bordelais par exemple, les vignerons commencent déjà à faire du crémant et du blanc".