Les liens entre Dijon et les pays d'Europe de l'Est remontent à 1920. Cinq jumelages sont venus renforcer les échanges linguistiques, éducatifs et culturels entre les habitants.
Comment expliquer que l'émotion qui a saisi les Dijonnais et les Côte-d'oriens depuis le déclenchement de l'offensive russe en Ukraine ? Peut-être faut-il chercher une partie de l'explication dans les liens profonds qui unissent la capitale bourguignonne à plusieurs villes d'Europe de l'Est depuis un siècle.
100 ans d'accueil des étudiants
Le lycée Carnot de Dijon accueille des étudiants tchèques depuis 1920.
Difficile d'identifier l'origine précise de ce partenariat mais, dès 1908, le futur président de la République tchécoslovaque, le jeune Edvard Beneš, soutient sa thèse de doctorat de droit, “Le problème autrichien et la question tchèque”, à la Faculté de droit de Dijon.
Plusieurs professeurs et fonctionnaires jouent ensuite des rôles-clés. Dès octobre 1920, dix-neuf étudiants tchèques arrivent à Dijon. La coopération éducative doit s'interrompre à plusieurs reprises au gré des événements historiques (Seconde guerre mondiale, coup de Prague en février 1948 lorsque la Tchécoslovaquie passe sous influence soviétique) mais il est pérenne depuis la fin de l'URSS en novembre 1989.
Les Bourguignons qui ont hébergé des étudiants tchèques, au fil du temps depuis 1920, ont certainement un lien d'amitié fort avec eux.
Sladana Zivkovic, adjointe au maire de Dijon en charge des relations internationales
Réciproquement, les anciens lycéens sont des ambassadeurs de choix de la Bourgogne : "Les jeunes qui ont vécu toutes leurs années de lycée à Dijon en gardent un souvenir inoubliable et font la promotion de Dijon dans leur pays. Certains sont devenus diplomates ou hommes d'affaires et sont francophiles."
Mieux comprendre l'Est de l'Europe
En 2001, Science-Po ouvre un campus dédié à l'étude des pays d'Europe centrale et orientale.
Aujourd'hui, le campus accueille 180 étudiants dont la moitié vient de l'étranger. Parmi eux, des étudiants venus d'Ukraine, de Russie, de Pologne, de Bulgarie et évidemment de République Tchèque. Le directeur de Science-Po Dijon, Lukáš Macek, fait d'ailleurs partie des étudiants tchèques venus au lycée Carnot.
Cette longue coopération éducative a rendu les Bourguignons très sensibles au conflit actuels, et les étudiants du campus de Science-Po au premier chef.
Nos étudiants se sont mobilisés dès le premier jour car ils sont très préoccupés par la situation en Ukraine.
Pauline Couteau, Responsable de la coopération avec l'Europe centrale et orientale de Science Po Dijon
"Qu'ils soient originaires d'Ukraine ou de pays limitrophes ou non, il y a forcément un grand intérêt pour ces pays" ajoute-t-elle. Tous les étudiants français étudient le hongrois, le polonais ou le tchèque à leur entrée sur le campus dijonnais.
Les actions de mobilisation se multiplient : "Nos étudiants ont demandé de mettre les drapeaux en berne dès le jour de l'invasion russe. Ils ont lancé une collecte au profit de la Croix-Rouge et créer un site internet qui centralise toutes les initiatives à Dijon."
A Science-Po Dijon, les liens se sont aussi créés grâce à un jumelage avec NauKMA, la National University of Kyiv-Mohyla Academy, l'université basée à Kiev, la capitale ukrainienne. "Nos étudiants peuvent y passer leur 3ème année explique Pauline Couteau. Nous avons contacté notre homologue sur place pour savoir quelle aide apporter et nous projetons d'accueillir des étudiants ukrainiens à Dijon si nécessaire."
Des jumelages pour la paix
Au-delà des échanges estudiantins, les Dijonnais ont noué des liens depuis un demi-siècle avec de nombreuses communes situées à l'Est du Danube. La capitale bourguignonne est jumelée Skopje en Macédoine (1961), Cluj-Napoca en Roumanie (1962), Pecs en Hongrie (1966), Opole en Pologne (2009) et Volgograd en Russie (1959).
La maire de Dijon, François Rebsamen, a annoncé dans la matinale France Bleu/France 3 ce jeudi 10 mars : "J'ai contacté mon homologue de Cluj-Napoca, une ville située à la frontière ukrainienne qui accueille de nombreux réfugiés pour savoir quelles étaient les besoins. Ils manquent de médicaments et de nourriture."
Le chanoine Kir, l'ancien maire de Dijon et ancien résistant, croyait aux jumelages pour rétablir le dialogue entre les peuples et maintenir la paix. En mars 1960, il avait même prévu de recevoir Khrouchtchev alors chef du gouvernement soviétique, visite annulée sous la pression de l'épiscopat.
A Dijon et en Bourgogne, l'idée de bâtir une Europe de la paix et de la coopération est donc très ancrée depuis l'après-guerre. Est-ce un autre élément pour expliquer la réaction immédiate des Bourguignons ?
Sladana Zivkovic, l'adjointe au maire de Dijon en charge des relations internationales, confirme que cette tradition de coopération entre les cités est très vive à Dijon : "Je crois beaucoup, en parallèle à la diplomatie entre Etats, je crois beaucoup à la diplomatie des villes."
L'invasion russe en Ukraine vient ébranler ce système de pensée.
Nous ne pensions pas connaître une guerre de notre vivant ce qui explique en partie cet élan de solidarité.
Pauline Couteau, philosophe de formation
"L'invasion russe en Ukraine bouleverse les équilibres internationaux et fait revenir le spectre de la guerre dans les esprits alors que nous pensions que l'Europe était unie" ajoute-t-elle.
Un effet-miroir
Les récents conflits au Yémen ou en Syrie n'avaient pas suscité la même vague d'émotion. Comment expliquer cette différence de sensibilité y compris dans l'attitude des pays de l'Union européenne ?
Pour Pauline Couteau, "il y a un effet-miroir. Le Moyen-Orient peut paraitre plus loin, séparé par la Méditerranée."
Il est difficile d'expliquer l'identification immédiate à laquelle on semble assister mais il est possible d'avancer quelques pistes :
Les Français se reconnaissent dans les Ukrainiens qui sont des Européens. Il y a une histoire commune, la proximité géographique et un sentiment d'amitié nait naturellement.
Pauline Couteau, Responsable de la coopération avec l'Europe centrale et orientale de Science Po Dijon
Par ailleurs, la Russie est un pays très clivant.
"Le spectre de la Guerre froide est aussi très présent dans les esprits. La soudaineté de l'attaque russe a choqué beaucoup de Français pour qui nous vivions dans une Europe unie où les frontières étaient abolies complète Pauline Couteau. Même si l'Ukraine n'appartient pas à l'Union européenne, cela semblait inimaginable."