80% des hommes exercent une centaine de métiers tandis que 80% des femmes exercent 15 métiers ! Elles sont femmes de ménage, esthéticiennes, secrétaires, auxiliaires de vie... alors que dans le même temps des secteurs plus valorisés manquent de bras. Comment changer la donne ?
Pourquoi les femmes sont-elles plus souvent secrétaires qu’ingénieures ?
Toutes les études le montrent : jusqu’au bac, les filles réussissent mieux à l'école que les garçons. Mais ensuite, celles qui poursuivent leurs études dans l'enseignement supérieur sont peu nombreuses à choisir les secteurs scientifiques, techniques, industriels… Ingénieur(e), pilote d'avion, informaticien(ne), etc : elles se disent que ces métiers sont "masculins", qu'ils ne sont pas pour elles et elles s'auto-censurent, expliquent les professionnels de l'orientation.
Résultat : en France, les femmes représentent moins de 20% des dirigeants d’entreprises. En revanche, elles sont majoritaires chez les assistantes maternelles ou les secrétaires.
Cela n’est pas sans conséquence pour leur avenir : outre le fait d’exercer des métiers moins qualifiés, à temps partiel et moins payés, les femmes sont davantage confrontées au chômage.
Alors bien sûr, la situation s’améliore, mais "cela va très lentement" et "il y a une marge de progression importante", résume Pauline Lalle, chargée de mission égalité professionnelle en Côte-d’Or chez FETE, une structure qui a pour but de faire progresser l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. L’association FETE a vu le jour en Bourgogne en 1991 : au départ, elle s’appelait Femme et Emploi Technologique, avant de devenir Féminin Technique et d'élargir son rayon d'action jusqu'à la Franche-Comté, mais aussi le Grand Est et les Hauts-de-France
Près de 30 ans ont passé et l’objectif est toujours le même : faire prendre conscience aux adolescentes et aux femmes en reconversion que de nombreux métiers s'offrent à elles et qu'elles ne doivent pas limiter leurs choix d'orientation.
"Parmi les secteurs qui ont fait des progrès, il y a par exemple les transports et la logistique", dit Pauline Lalle. Mais, il reste de nombreux domaines qui ne sont toujours pas investis par les femmes, alors que la demande de main-d’œuvre est forte. C’est le cas par exemple du BTP où les préjugés ont la vie longue, tant du côté féminin que masculin.
C’est parce que je suis une femme que vous ne voulez pas m’embaucher ?
Marylène Scotti en sait quelque chose. Elle a commencé par travailler dans la grande distribution en Bourgogne. Puis, à 41 ans, elle décide de changer de métier et de région. Au début des années 2000, parmi les métiers en tension, il y avait déjà la soudure qui ne l’attirait pas vraiment et la chaudronnerie où on lui a expliqué qu’on ne prenait pas de femme car c’était trop difficile. Restait la plomberie.
Elle entame alors une formation dans un centre AFPA à Saint-Nazaire où elle avait déménagé. Elle était la seule femme au milieu des hommes et garde le souvenir d’un véritable parcours du combattant : "j’ai dû faire le forcing pour être admise dans la formation car on me disait que je n’allais pas tenir le coup et que j’allais abandonner. Puis, il a fallu que je me batte pour décrocher les stages en entreprise qui sont obligatoires pour le cursus."
Marylène s’accroche et au bout de 11 mois, elle est la première femme à obtenir un diplôme de plombier à l’AFPA de Saint-Nazaire.
C’est alors que le plus difficile commence : trouver un emploi dans une entreprise ! "Comme je ne recevais jamais de réponse aux CV que j’envoyais, je passais en revue toutes les petites annonces. Un jour, j’en vois une qui dit : « Cherche plombier, même débutant ». Je me rends sur place, mais la personne qui m’accueille me dit que ce ne sera pas possible. Quelque temps plus tard, je vois l’annonce repasser. Je décide alors d’y aller à 7 heures du matin pour parler directement au patron. Mais, rien à faire. A la fin, je lui ai demandé : « Est-ce que vous ne voulez pas m’embaucher parce que je suis une femme ? » « Oui », m’a-t-il répondu. Marylène décide alors de tourner la page et se lance dans un tout autre secteur d’activité.
De toute façon, il n’y a que toi sur le marché !
Mais, trois ans plus tard, elle reçoit un appel : "c’était un patron qui avait entendu parler de moi par un de mes anciens camarades de l’AFPA et qui voulait m’embaucher. Je lui ai dit que j’étais débutante et que je n’avais pas pratiqué depuis longtemps. "De toute façon, il n’y a que toi sur le marché", m’a-t-il dit. Une réponse qui avait le mérite de la franchise. D’ailleurs, "même si tout s’est bien passé, ensuite quand il a créé un emploi quelque mois plus tard, il a embauché un homme".
Finalement, c’est en passant par une agence d’intérim que Marylène arrivera à atteindre son objectif. Alors qu’on lui confie uniquement des missions dans une entreprise de préparation de plats cuisinés, elle rappelle régulièrement qu’elle est plombière diplômée.
C’est ainsi qu’elle arrive un jour chez STX (les ex Chantiers de l’Atlantique). Elle y passera quatre ans avant d’être embauchée par Airbus où elle travaille actuellement. "Dans ces grandes entreprises, qui emploient des milliers de salariés, les syndicats se battent pour que l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes soit respectée. Résultat : il y a beaucoup d’ingénieures et de femmes cadres, mais aussi des soudeuses, des électriciennes, etc". C’est comme ça que Marylène a réussi à trouver un emploi de plombière ou plutôt de "tuyauteuse" qui assemble des tuyaux pour les systèmes d’alimentation ou d’évacuation d’eau.
Quant aux plombières traditionnelles, elle n'en connaît que deux ... qui ont créé leur propre entreprise !
Pourquoi les femmes se cantonnent-elles à une poignée de métiers ?
"Il y a de grandes différences dans l’éducation des filles et des garçons : au niveau des jouets, des sports pratiqués, des lectures… Dès leur plus jeune âge, les filles sont conditionnées à faire certains choix. Ensuite, sous l’influence de la télé et des séries, elles veulent travailler dans la déco ou les soins aux animaux", explique Claire Duchet, chargée de mission égalité professionnelle dans l’Yonne pour l’association FETE."Quand on les rencontre, elles nous parlent tout le temps des mêmes métiers : ceux de la petite enfance, de l’enseignement, de l’esthétique… On leur répond qu’à court terme de nombreuses professions vont disparaître et qu’il ne faut pas opter pour des voies de garage.
On essaie de leur expliquer qu’aujourd’hui, il faut surtout apprendre à être polyvalent pour évoluer en même temps que la société. Il y a des métiers en tension dans des secteurs qui ne connaissent pas la crise : le BTP, la viticulture, la soudure, la chaudronnerie, l’armée, le numérique…
Dans le domaine du numérique et de l’informatique, il y a même de moins en moins de femmes et c’est problématique car c’est un secteur d’avenir. Ce n’est pas un métier dur physiquement, il n’y a pas d’horaires décalés, on ne travaille pas dans un environnement bruyant, etc. C’est clairement une question de stéréotype. Quand on dit "numérique", on voit souvent le côté « geek » connoté masculin, scotché sur son écran toute la journée. "On veut un métier de contact", nous disent beaucoup de jeunes filles. On se bat pour leur expliquer que travailler dans l’informatique ne veut pas dire travailler seul et qu’on est en contact avec des clients, avec d’autres services."
Comment en finir avec les idées reçues ?
Pour montrer que ces idées reçues ne correspondent pas à la réalité et que "les métiers n’ont pas de sexe", FETE organise des Carrefours des Carrières au Féminin.Lors de ces rencontres, on présente à des jeunes filles en cours d’orientation (et à des femmes en recherche d’emploi ou en reconversion professionnelle) des métiers auxquels elles ne pensent pas. On demande à des femmes qui occupent des métiers dits "masculins" de venir témoigner.
Parmi les intervenantes, il y a des menuisières, des biologistes, des militaires, des chefs d’entreprise, des pompières… Il y a beaucoup de femmes qui viennent parler de leur reconversion après un métier "féminin" où elles avaient un statut précaire et où elles étaient mal payées.
Ce n’est pas le cas de Barbara Chevret, 30 ans, qui viendra raconter son parcours lors du prochain Carrefour des Carrières au Féminin qui aura lieu à Dijon. Elle a exercé avec passion dans le BTP avant de créer son entreprise dans le domaine de l’informatique, deux secteurs boudés par les femmes.
Barbara Chevret a créé la plateforme internet metiway il y a deux ans. Ce site internet permet à des apprentis, des patrons, des salariés… de partager des vidéos de 20 à 30 secondes pour faire connaître leur métier.
"Un carreleur, par exemple, peut se filmer en train de préparer un devis avant d’aller chez un client pour tenter de décrocher un marché : cela permet de se rendre compte qu’être carreleur, ce n’est pas uniquement être à quatre pattes sur le sol pour poser des dalles. De plus, en regardant des vidéos postées par plusieurs carreleurs, on s’aperçoit que le métier n’est pas le même si on travaille dans un grand groupe ou dans une petite entreprise, si on exerce dans le sud de la France ou dans le nord, etc", explique la jeune femme.
Barbara Chevret a eu cette idée quand elle travaillait dans le bâtiment. Les gens lui demandaient tout le temps : « tu es conductrice de travaux, mais c’est quoi ce métier ? » C’est pourquoi elle a décidé de créer cette plate-forme qui permet aux jeunes ou aux personnes à la recherche d’une reconversion de se renseigner sur la réalité des métiers.
"Je pense que peu de femmes choisissent de travailler dans le bâtiment, soit parce qu’elles ne connaissent pas tous les métiers qui existent, soit parce qu’elles ont une fausse idée de ces professions. Avec Metiway, je veux prouver qu'une femme peut être maçonne et un homme coiffeur !"
"Les entreprises ont pris conscience des avantages des équipes mixtes. Mais, les filles continuent à se mettre des freins"
Grâce à tous ses partenaires, FETE propose un large panel d’actions : mise en place de plans égalité dans les lycées, accueil de femmes victimes de discrimination au travail, etc.
"Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont pris conscience des avantages qu’il y avait à constituer des équipes mixtes. Mais, les filles continuent à se mettre des freins", notent les spécialistes de la mixité professionnelle. "Les choses avancent donc, mais très lentement, car la déconstruction de stéréotypes, ça prend du temps."
En tous cas, une chose est sûre, "il faut que les filles soient amenées à réfléchir à leur orientation le plus tôt possible et il faut qu’elles soient accompagnées par leurs familles, leurs enseignants, leurs amis… C’est toute la société qui doit s’y mettre."
Le Carrefour des Carrières au Féminin
Le Carrefour des Carrières au Féminin est organisé par FETE, en collaboration avec de nombreux partenaires de l’emploi, de l’orientation et de l’insertion professionnelle.
Chaque année, un Carrefour des Carrières au Féminin est organisé dans les 4 départements de Bourgogne. Cela permet à des centaines de femmes et de jeunes filles de découvrir gratuitement toutes sortes de professions.
Des intervenantes, qui exercent des métiers dits « masculins », présentent leur activité et font part de leur expérience aux visiteuses.
Les prochains Carrefour des Carrières au Féminin auront lieu samedi 18 janvier 2020 :
-en Côte-d’Or : à Dijon de 9h à 12h, salle Devosge
-dans l’Yonne : à Appoigny de 9h30 à 12h30 à l’Espace culturel de la ville