Après un premier week-end « code noir » de mobilisation massive des sages-femmes, la profession lance un nouveau week-end de grève, de quatre jours cette fois-ci. La profession fait face à une crise jamais vécue.
« On a l’impression d’être invisibles ». Isabelle Maignien, sage-femme dans le Nord-Franche-Comté et coordinatrice régionale de l’ONSSF, soupire. « C’est désespérant ». Depuis le début de l’année, la profession multiplie les actions pour améliorer ses conditions de travail. Recrutement dans les maternités, revalorisation des tarifications à l’acte des sages-femmes libérales, élargissement et reconnaissance de leurs compétences, amélioration des prises en charge des patientes… Les carences dénoncées, et les revendications, sont nombreuses.
Quasi systématiquement oubliée des discours autour du Ségur de la santé, la profession a durci le ton au fur et à mesure des mois. Après un premier week-end « code noir » où 60% des cabinets libéraux de sages-femmes ont fermés leurs portes, et une grande manifestation à Paris le 7 octobre, la profession s’apprête à renouveler l’opération, ces 22, 23, 24 et 25 octobre.
M.Véran clame au Sénat et à l’Assemblée Nationale qu’on a eu beaucoup d’avancées, mais on a beaucoup de choses erronées
Isabelle Maignien, coordinatrice Bourgogne-Franche-Comté de l’ONSSF
Des annonces insuffisantes
Les discussions avec le ministère de la Santé sont loin d’avoir convaincu les sages-femmes. « J’ai l’impression qu’on essaie de nous faire passer pour des femmes capricieuses, et jamais satisfaites. Mais ça n’est pas ça ! ». « Quand on dit que 20.000 sages-femmes auront une augmentation de 300 euros, ça n’est pas vrai, et toutes les sages-femmes ne l’auront pas » commence Isabelle Maignien. « Le ministre nous dit ‘la sixième année d’études, c’est bon !’ et le lendemain, les conseillers nous disent que ça doit être étudié, que c’est pas du tout fait ». « On se mobilise pour les effectifs dans les maternités, ça il n’est pas question que ce soit revu ».
Les annonces non-suivies de décisions ne sont pas les seuls sources d’agacements pour la profession. « Au printemps, il y a eu la loi RIST », explique Isabelle Maignien, « certains amendements sont appliqués, et d’autres non. Les décrets d’applications ne sont pas placés ». Il n’est par exemple toujours pas possible pour les sages-femmes libérales de dépister et de traiter les partenaires de leurs patientes. « Je dois me battre pour travailler plus facilement, et pour économiser des consultations à la sécurité sociale » s’agace-t-elle. Des avancées qui peuvent sembler techniques, mais qui mises bout à bout, pèsent lourd dans le quotidien des maïeuticiennes.
Une crise jamais vue dans la profession
« J’ai des collègues en Nord Franche-Comté qui se réorientent » se désespère Isabelle Maignien. « Moi-même, pour la première fois cette année je me demande ‘est-ce que ça en vaut la peine ?’ ». « C’est tellement dur, on sait qu’on y laisse notre santé ». En arrêt, elle se demande combien de temps elle pourra continuer à ce rythme. « Accompagner les femmes, ça prend beaucoup d’énergie. Elles ne vivent pas toujours des faciles, raconte-t-elle, Il faut en plus justifier notre place auprès de certains professionnels, il faut souvent justifier nos compétences, et en plus il faut se battre avec le ministère pour être reconnues ».
Au cœur de leurs préoccupations : leurs patientes. « On y pense tous les jours ». « On sait qu’une des premières causes de mort chez les femmes, dans la première année qui suit leur accouchement, c’est le suicide ». Pour celles qui sont chargées de les accompagner, le jour de leur accouchement dans les maternités, pendant la grossesse et après leur sortie de maternité pour les sages-femmes libérales, la responsabilité est énorme, et les moyens déployés pour les soutenir, trop faibles.
« C’est très difficile pour nous, d’accepter que dans les maternités, ça continue à être l’enfer, et que pour nos patientes qui accouchent, ça continue à être difficile d’être accompagnées » raconte la sage-femme libérale. « On en est à espérer que ça leur arrive un jour calme, une garde calme, qu’elles aient la chance d’être bien accompagnées. Mais il y a de moins en moins de jours calmes ». Alors, Isabelle Maignien a adapté sa pratique à ces conditions difficiles. « Pendant le suivi de grossesse, ou les préparations à l’accouchement, j’essaie de rendre mes patientes autonomes ». « J’explique qu’elles auront peut-être de la chance, mais que ça risque d’être compliqué. On en est là ». Au cours de ce nouveau week-end « code noir », la fin des sous-effectifs dans les maternités sera d’ailleurs l’une des principales revendications de la profession.