Alors que le texte sur le droit à mourir dans la dignité doit être à nouveau examiné à l'Assemblée Nationale à partir du 27 janvier 2025, Antoine décide de témoigner. Il a accompagné sa maman atteinte de maladies neurodégénératives pour avoir recours au suicide assisté, en Suisse.
Fin juillet 2023, Françoise, une habitante de Côte-d'Or, apprend le diagnostic. Elle est atteinte de deux maladies neurodégénératives incurables, dont Alzheimer. Âgée de 84 ans, elle l'annonce à ses deux enfants et le lendemain, elle demande à son fils de "l'accompagner à partir". "J'ai fait comme si je n'avais pas entendu, confie Antoine, son fils. Et le lendemain, elle me redit qu'elle a envie de partir en Suisse." Antoine n'a pas besoin de temps de réflexion, et dit à sa maman qu'il va l'aider à réaliser son projet.
“Cela faisait longtemps qu'une nouvelle ne m'avait pas procuré autant de plaisir”
Françoise était médecin. Elle savait parfaitement comment les pathologies dont elle était atteinte allaient évoluer. "Elle ne voulait pas finir comme mon père, un légume en Ehpad, décédé il y a six ans. Elle a aussi perdu deux de ses meilleures amies des mêmes maladies. Elle ne voulait pas vivre ça", se souvient Antoine. Françoise savait ce qu'elle ne voulait pas, mais aussi ce qu'elle voulait : le suicide assisté en Suisse, à Zurich grâce à l'association Dignitas. En tant que médecin, elle ne voulait pas d'euthanasie, précise son fils.
Si la fille de Françoise était plutôt contre l'idée, Antoine, lui, décide d'accompagner sa maman dans sa dernière volonté. Un saut dans le vide. En août, elle commence à écrire des lettres prouvant son état de santé. Une fois le dossier jugé recevable, le processus se poursuit pendant de nombreux mois. Le 20 février, on lui propose une date : le 13 mars 2024. "Cela faisait longtemps qu'une nouvelle ne m'avait pas procuré autant de plaisir", confie-t-elle à son fils. Depuis le diagnostic, la maladie a déjà progressé. "Maman s'est rapidement dégradée. Il y a des personnes qu'elle ne reconnaissait pas, elle perdait l'équilibre... mais l'orthophoniste et la kiné, la stimulaient pour qu'elle ne glisse pas trop vite. Elle mettait aussi toute son attention sur son projet de partir en Suisse", se souvient Antoine.
“On a continué de profiter de la vie comme on le faisait avant”
Entre la mère et le fils, pas de tabou. Tous les sujets sont abordés, tout est préparé. Une dernière photo prise, elle fait enregistrer les morceaux qu'elle joue au piano qui seront diffusés lors de l'enterrement, rien n'est laissé au hasard. "Avec maman, on était pareil", lâche-t-il, la gorge nouée. Durant ces derniers mois, Antoine accompagne sa maman à tous ses rendez-vous médicaux, organise son maintien à domicile avec le passage d'une infirmière et d'une auxiliaire de vie, la livraison des repas... "C'était un temps plein, j'étais très occupé. Mais c'est ça qui m'a aidé à tenir. C'était ma fuite en avant", détaille Antoine. Pourtant, rien n'avait changé entre eux.
On a continué de profiter de la vie comme on le faisait avant, sans excès, sans en faire plus.
Antoine, fils de Françoise
Les derniers mois de vie de Françoise, Antoine incite sa sœur à venir voir sa maman plus régulièrement. La veille du grand départ, Françoise dit à son fils "84 ans, c'est un bel âge. J'ai eu une belle vie, une belle carrière", comme pour regarder une dernière fois dans le rétroviseur. Le jour J, les deux enfants ont accompagné leur maman jusqu'à son dernier souffle. Même si sa fille n'était pas pour, elle a fait le déplacement en Suisse. "Je n'aurais pas pu y aller seul de toute façon", insiste Antoine.
La famille rentre dans l'appartement dans lequel Françoise va partir, accompagnée par deux personnes de l'association. Cinq minutes avant de rentrer dans le logement, Françoise regarde sa fille et lui demande "Est-ce que tu es avec moi ?", cherchant son approbation, comme pour partir en paix. Elle restera sans réponse.
Mourir dignement
Les enfants de Françoise ne souhaitaient pas la voir mourir, simplement l'accompagner jusqu'à l'endormissement. Ce qu'ils ont fait. La femme boit "son petit verre" et est très descriptive auprès de ses enfants, sur ce qu'elle ressent.
Depuis plusieurs jours, je cherchais la dernière chose que j'allais pouvoir lui dire. Impossible.
Antoine, fils de Françoise
Puis ses yeux se ferment. Les enfants quittent alors l'appartement. Un dernier regard sur leur maman apaisée et la porte se referme. Après 20 minutes de trajet pour rejoindre leur domicile, le téléphone sonne. Au bout du fil, les deux femmes de l'association. C'est terminé. Le cœur de Françoise s'est arrêté.
En France, le suicide assisté n'est toujours pas autorisé
Si Françoise a dû aller en Suisse pour mourir dignement, c'est parce qu'en France, le suicide assisté n'est pas autorisé. Dès qu'elle a eu connaissance de la fameuse date de sa mort, la dame de 84 ans a écrit au président de la République. Une lettre ayant pour objet : une fin de vie dans la dignité. Dans cette lettre, elle explique le diagnostic et souligne connaître l'évolution de sa pathologie, ayant perdu son mari et deux amies proches. "Je les ai vus se dégrader jour après jour et mettre trop longtemps à partir, sans aucune mémoire et conscience apparente", peut-on lire.
Aujourd'hui, je souhaite mourir dignement. Malheureusement, ce choix n'est pas possible en France et je suis obligée de me tourner vers un pays limitrophe.
Françoise, dans une lettre au président de la République
Elle énonce également les difficultés administratives rencontrées, le stress engendré. "J'espère qu'enfin, en France, on puisse mourir dans la dignité", ponctue-t-elle.
Antoine confie que le fait d'attendre une réponse arriver a maintenu sa maman tous les jours. Une réponse que Françoise ne verra jamais. Et tant mieux, car jugée "hors-sujet" par son fils. Il tient à préciser une chose : pour aller au bout du projet, il faut du courage, et seulement 20 % des dossiers aboutissent. Il souligne également que le coût se rapproche de celui des "obsèques classiques", et le transport médical jusqu'en Suisse représente le coût principal. De mémoire, Antoine estime avoir déboursé entre 3 000 et 4 000 euros.
Un livre sur la fin de vie
Antoine ne regrette pas d'avoir rendu possible le choix de sa maman. Peut-être aurait-il souhaité être accompagné par une personne ayant déjà vécu ce parcours du combattant. Mais il a su trouver un soutien auprès de l'association France Alzheimer, qu'il remercie et dans laquelle il souhaite s'investir.
Celui qui écrit des livres sur l'architecture envisage d'en écrire un sur la fin de vie. Maintenant que sa sœur a vécu tout cela, elle est pour le suicide assisté et lui a proposé qu'ensemble, ils écrivent cet ouvrage. "Tant qu'on ne l'a pas vécu, c'est difficile de se positionner", assure-t-il. Comme sa mère, il espère que ce chantier du droit de mourir dans la dignité va bouger en France et que l'on puisse avoir accès au suicide assisté si on le souhaite. "Nous avons parlé de ce projet à personne, de peur que quelqu'un s'y oppose. On a l'impression qu'il faut se cacher", ponctue-t-il.