Ce jeudi 12 décembre 2024, les professeurs du collège Jouffroy d'Abbans de Sochaux (Doubs) organisent une journée "collège mort". Une manière de soutenir leur collègue, placé en garde à vue la semaine dernière après la plainte d'un élève pour violences.
Les parents ont été prévenus, les élèves aussi. Ce jeudi 12 décembre 2024, le collège Jouffroy d'Abbans de Sochaux (Doubs) n'accueillera aucun élève. Les enseignants organisent une opération "collège mort" pour soutenir un professeur d'EPS, accusé de violences par un élève.
Une semaine plus tôt, le mercredi 4 décembre, une altercation a eu lieu entre un collégien en classe de quatrième et son professeur. L'élève ira porter plainte au commissariat de Montbéliard avec sa mère dans la foulée, accusant l'enseignant de l'avoir frappé.
Ce jour-là, l'élève doit assister à un cours de sport dans un gymnase, en intérieur. Sauf que lui et un de ses camarades n'ont pas l'équipement adéquat et se le font signifier par leur professeur. Depuis, les versions entre l'élève et l'enseignant sont profondément différentes et l'affaire a pris une telle ampleur que le procureur de Montbéliard a convoqué la presse.
Que reproche l'élève à son professeur ?
Au commissariat, l'élève explique que son professeur l'aurait conduit de force dans le vestiaire et qu'il l'aurait enfermé. "Il raconte que son professeur lui aurait assené plusieurs coups de poing au visage, environ six ou sept", relate Paul-Édouard Lallois, le procureur de Montbéliard.
Toujours selon le mineur, son enseignant l'aurait laissé seul dans le vestiaire, après quoi l'élève se serait réfugié dans les toilettes tout au long du cours de sport.
Ensuite, l'enfant est retourné chez lui. Avec sa mère, ils se sont rendus chez leur médecin traitant et un dentiste pour faire constater les blessures sur le visage de l'enfant. Ces derniers ont ainsi constaté une rougeur au niveau de la joue de l'élève avec à l'intérieur une marque de son appareil dentaire.
Quelle est la version du professeur ?
Son enseignant, qui est également son professeur principal, offre une version très différente de l'histoire. "Il conteste avoir porté le moindre coup sur l'élève", énonce le procureur.
En garde à vue, l'enseignant confirme le point de départ de la dispute. Il explique ensuite que ce n'est pas la première fois que cet élève ne vient pas avec ses affaires de sport en intérieur et qu'il lui a demandé à lui et son camarade de prendre une feuille et de recopier le règlement intérieur.
Il reconnaît un geste d'agacement
Paul-Édouard Lallois, procureur de MontbéliardAu sujet du professeur mis en cause
"L'élève lui demandait sur le ton de la rigolade ce qu'il devait recopier et l'enseignant a commencé à perdre patience. Ensuite, il a commencé à tutoyer son élève (il le vouvoie le reste du temps, NDLR.) qui a fait pareil envers lui. Face à cette attitude provocante, il reconnaît un geste d'agacement", continue le procureur.
Le professeur raconte avoir saisi son élève par le t-shirt pour le conduire plus loin, avant de lui demander "ce qu'il n'a pas compris" et de pointer sa tête avec son doigt et de lui demander d'écrire sa punition. "Il va t'arriver des problèmes", lui aurait lancé l'élève.
Pourquoi l'affaire prend-elle une telle ampleur ?
Le lendemain du dépôt de plainte de l'élève et de sa mère, jeudi 5 décembre, le professeur s'est présenté au commissariat pour livrer sa version des faits. Occupé à garder ses enfants toute la journée en raison de la grève des enseignants, il n'a pu se présenter que le soir. Placé en garde à vue, il en est ressorti le lendemain à la mi-journée.
Depuis, les enseignants du collège dénoncent cette décision. "La façon dont tout cela s'est déroulé a été très traumatisante", nous fait part un des collègues du professeur. Ce dernier est d'ailleurs en arrêt maladie depuis la fin de sa garde à vue.
Sur ce point, le procureur de Montbéliard tient à rappeler la procédure. "La garde à vue permet de garantir le maximum de droits à une personne qui est mise en cause. L'objectif était de ne pas laisser les choses traîner et avoir rapidement la version de l'enseignant. S'il avait pu se présenter le matin, il serait sorti l'après-midi. Mais ce monsieur a fait ce qu'il a pu", justifie Paul-Édouard Lallois qui "peut tout à faire comprendre que la garde à vue ait pu marquer l'enseignant".
Pourquoi les professeurs se mobilisent-ils ?
Après l'expérience traumatisante de la garde à vue de leur collègue et les faits rapportés par l'élève qu'ils qualifient de "diffamatoires", les enseignants de Jouffroy d'Abbans n'accueilleront pas les élèves ce jeudi 12 décembre en soutien envers leur collègue.
Tout est de l'ordre de la rumeur
Un collègue du professeur
Un des collègues du professeur mis en cause décrit "une ambiance très lourde" au sein du corps enseignant depuis le début de cette affaire. "On se sent en danger, de moins en moins en sécurité. Surtout, on est conscient que le climat scolaire est de plus en plus pesant", poursuit l'enseignant, très ému. "On se dit que si un élève a une dent contre nous, on peut se retrouver dans la même situation."
Cette affaire a donc secoué l'établissement qui regroupe environ 750 élèves. "Le plus dur à vivre, c'est qu'on ne sait pas grand-chose au final. Tout est de l'ordre de la rumeur. Et j'ai beau aimer ce métier, je ne vais plus au travail avec le même entrain", continue le professeur.
Quelles sont les suites ?
S'il n'y a pas de témoins directs de la scène entre l'élève et son professeur, plusieurs collégiens ont été entendus. "Il ressort des premières auditions que s'ils ont assisté à une altercation verbale avec des mots forts et un tutoiement mutuel, aucun ne corrobore la version des coups de poing", fait savoir le procureur pour qui "tout semble concorder avec les déclarations de l'enseignant" décrit comme "investi, bienveillant et à l'écoute de ses élèves".
Si j'avais vraiment donné tous ces coups de poing, l'élève aurait d'autres traces que celles décrites
Le professeur mis en causePendant sa garde à vue
D'autres élèves et un enseignant doivent encore être entendus. Aussi, un médecin légiste doit juger de la compatibilité des actes décrits par l'enfant avec les constatations médicales faites sur sa joue. "En fonction de cela, nous aurons à réentendre le mineur", indique Paul-Édouard Lallois. Le procureur ajoute par ailleurs qu'aucune trace de coups n'a été retrouvée sur les mains de l'enseignant. "Si j'avais vraiment donné tous ces coups de poing, l'élève aurait d'autres traces que celles décrites", a d'ailleurs jugé le professeur pendant sa garde à vue.
Depuis, une mesure conservatoire a été émise à l'encontre du collégien, qui est invité à rester chez lui avant un conseil de discipline. Contacté, le rectorat apporte "son soutien" au professeur. "Nous prendrons les mesures nécessaires en fonction des décisions prises par la justice", nous fait-on savoir.