Mardi 14 janvier, le Premier ministre François Bayrou a exprimé sa volonté de "réétudier" ces documents dans lesquels les citoyens français ont exprimé en mairie leurs doléances entre fin 2018 et début 2019. Une occasion de se replonger dans ces précieux témoignages d'une France en détresse.
Cela va faire six ans qu'ils prennent la poussière dans des sous-sols. Sur les 18,5 kilomètres linéaires de documents que les archives départementales de la Haute-Saône collectent à Vesoul depuis le Xe siècle, 40 cm sont des doléances exprimées entre fin 2018 et début 2019 par l'intermédiaire des cahiers citoyens, et émanant de 152 communes identifiées du département.
Des documents historiques
Initiés par l'Association des maires ruraux de France, ces cahiers étaient l'occasion pour les Français de venir en mairie exprimer sur le papier leur vécu et leurs difficultés du quotidien, au plus fort de la crise des "Gilets jaunes", qui a débuté en novembre 2018. Une référence aux cahiers de doléances de 1789, qui avaient précédé la Révolution Française, et dans lesquelles les administrés mettaient notamment en cause les privilèges de la noblesse.
Consultables sur demande pour l'essentiel, ils sont le reflet d'une détresse populaire toujours d'actualité, malgré l'instauration du "Grand débat" qu'ils avaient inspiré au président Emmanuel Macron. Raison pour laquelle le Premier ministre François Bayrou s'est engagé mardi dernier, le 14 janvier 2025, à les "réétudier", l'occasion de se replonger dans ces précieux documents qui resteront probablement dans l'Histoire.
"Parmi les thèmes qui reviennent le plus fréquemment de la part des habitants du département, on trouve la fiscalité, le pouvoir d'achat, la revalorisation des retraites, les conditions matérielles d'existence...", énumère Vincent Boully, directeur des archives départementales de la Haute-Saône.
En dépit du fort sentiment de colère qui transparaissait des manifestations populaires fin 2018, le ton de ces doléances reste très cordial. "Ces cahiers ne sont pas des défouloirs, c'est une expression de témoignages, dont certains très poignants, et de propositions pour améliorer le Vivre ensemble."
Des revendications et des profils récurrents
Parmi les contributeurs, on trouve beaucoup de retraités, de mères célibataires ou encore de petits patrons et artisans. Dans une de ces lettres manuscrites déposées en mairie, on peut lire, par exemple, une personne qui propose de diminuer de 50% le salaire des parlementaires, d'augmenter le Smic de 25%, de comptabiliser le vote blanc, ou encore d'instaurer un référendum d'initiative citoyenne, ce qui était une des principales revendications des "Gilets jaunes". Les doléances liées à l'immigration et la sécurité sont en comparaison assez rares.
Ces cahiers sont un révélateur des éléments de la vie socio-économique sur les territoires et des enjeux de notre société contemporaine.
Vincent Boully, directeur des archives départementales de la Haute-Saône
Ces documents n'ont jamais été mis à disposition du public en ligne, pour des raisons d'anonymat et de vie privée. Certains sont, en effet, très personnels, voire touchants. "Parmi ceux qui m'ont marqué, il y a celui d'une femme dont l'enfant est handicapé et dont on sent le cumul des difficultés socio-économiques, poursuit le conservateur en chef du patrimoine. C'était intéressant de voir comment elle exprimait à travers ses mots à elle sa réalité et ses difficultés à boucler les fins de mois."
Ces documents papier n'ont toutefois pas vocation à être déplacés, puisqu'une copie numérique existe déjà dans les archives nationales à Pierrefitte, au nord de Paris. Plus de 200 000 contributions nationales que le Premier ministre songe à sortir des oubliettes pour faire face aux fractures de la société française.