Le sport féminin toujours terrain d'inégalités : "On est toujours dans la comparaison entre homme et femme comme outil de dénigrement"

En ce 24 janvier journée internationale du sport féminin, les femmes dans le sport sont mises à l'honneur. Même si des évolutions sont notables, parler d'égalité entre les hommes et les femmes reste encore illusoire.

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Elles ont entre 30 et 40 ans. Pratiquent du football, du biathlon, du CrossFit ou encore du VTT en amateur ou à haut niveau. Leur point commun : elles sont des femmes qui évoluent dans le sport, un milieu empreint d'inégalités entre les hommes et les femmes. À l'occasion de la journée internationale du sport féminin ce 24 janvier, elles racontent les difficultés auxquelles elles sont confrontées et témoignent d'un espoir pour les années à venir. 

Créée en 2014, la Journée internationale du sport féminin a pour objectif de lutter contre la sous-médiatisation du sport pratiquée par des femmes et de promouvoir la pratique sportive sous toutes ses formes. Aujourd'hui encore, la place des femmes dans le sport est remise en question quant à leur légitimité et leurs performances, inférieures à celles des hommes.

Des clichés persistants

"T'es pas inquiète que ton corps se transforme trop et que tu perdes ta féminité ?", "Vu la taille de tes cuisses, j'aimerais pas être ton mec". Sophie Bez en a vu passer des commentaires sexistes quand elle a commencé le CrossFit il y a deux ans. Un sport de musculation, de force et d'endurance, loin des stéréotypes de la féminité. Pourtant, aujourd'hui le CrossFit attire presque autant de femmes que d'hommes, mélangés en entraînement et en compétition. "C'est un peu le pays des Bisounours parce que c’est mixte. C'est une culture de la camaraderie, avec beaucoup d’acceptation de la différence, explique la Bisontine de 37 ans, finalement les remarques viennent de l'extérieur, d'hommes qui n'ont pas cette culture."

Si aujourd'hui, les femmes pratiquent autant le sport que les hommes, elles restent confrontées au conditionnement de genre. "Nos représentations sociales ont du mal à évoluer. Il y a des frémissements, mais ce sont toujours les mêmes injonctions à la féminité : une femme ne doit pas avoir de muscles, ne peut pas faire le même effort physique qu'un homme, etc.", explique Anne Tatu, docteure en sociologie spécialisée dans les questions de genre dans le sport et professeure agrégée en EPS à l'université de Bourgogne-Franche-Comté.

À ceux qui critiquent ma pratique sportive, je réponds : "J'ai pas envie d’être une Barbie, je veux être plus forte que Ken." Et cela ne regarde que moi.

Sophie Bez, amatrice bisontine de CrossFit

Alors comment bouger les lignes et inverser la tendance ? Pour l'universitaire, il faut des modèles. "Prenez le dernier Vendée Globe par exemple. On a pu voir une jeune skippeuse [Violette Dorange, 23 ans. ndlr] partir sur son bateau en dépoussiérant les clichés d'un sport réservé aux hommes habituellement. Elle peut devenir un modèle pour les petites filles." Dans la sphère familiale, à l'école, les lignes restent à bouger, mais c'est surtout dans la médiatisation et la publicité que tout se joue pour la visibilité du sport féminin.

Des évolutions à deux vitesses 

Une médaille d'or et deux en bronzes aux Jeux Olympiques d'hiver en 2018, championne du monde en 2016, ou encore cinq autres médailles d'argent aux championnats du monde. Le palmarès d'Anais Bescond, biathlète franc-comtoise, fait rêver. Nul doute que son parcours a pu être un modèle, dans un sport aujourd'hui considéré comme l'un des plus égalitaires en termes de genre. "J'ai eu la chance d'évoluer dans un sport où la fédération a impulsé une véritable équité. Elle y a porté une importance particulière avec des primes égales pour les hommes et les femmes, des épreuves mixtes parmi les premières de l’histoire du sport, etc. Je pense que je n’étais pas à plaindre", reconnaît l'athlète de 37 ans, aujourd'hui à la retraite. 

Pour la sociologue Anne Tatu, le biathlon est un parfait exemple de la possibilité d'atteindre une égalité entre hommes et femmes dans le sport. "Il y a d'un côté la politique volontariste d'une fédération sur l'égalité de traitement, et de l'autre une pratique compétitive similaire pour les hommes et les femmes", explique-t-elle. Sans oublier la médiatisation, véritable enjeu de la promotion du sport féminin. "L'atout du biathlon, c'est que les compétitions masculines et féminines ont lieu en même temps donc bénéficient de la même exposition médiatique", avance Anne Tatu. Anaïs Bescond a suivi cette évolution et n'hésite pas à en féliciter les médias. "L'essor du biathlon commence vraiment quand il apparaît sur les écrans de télévisions. Aujourd'hui, certaines chaînes sportives font le choix d'avoir des femmes commentatrices, invitées sur les plateaux. C'est ce qui fait que les partenaires se sont intéressés à nous."

Les évolutions sont poussives et il n'y a rien de définitif. Il peut y avoir des progrès dans une activité sportive qui ne se traduiront pas du tout dans d'autres sports.

Anne Tatu, docteure en sociologie et professeure agrégée en EPS

Le football toujours milieu de discriminations

Malheureusement, tous les sports ne peuvent pas se féliciter d'une telle égalité de traitement. Claire Bart-Salvi a commencé à jouer au football à 24 ans à l'ABC Foot, un club regroupant les villes d'Amancey, Bolandoz et Chantrans, dans le Doubs. Le club n'a alors pas d'équipe féminine. La jeune femme veut alors en créer une. "À l’époque, j’ai eu l’impression, au niveau de la légitimité, qu’il n'y avait pas une grande confiance. C'était "oui faites, mais on verra bien ce que ça donne". On a joué une année, il n'y avait rien de bien cadré." Pour Anne Tatu, le football est l'exemple du sport typiquement masculin. "Longtemps, le football a été interdit aux femmes au niveau de la fédération. Quand elles ont pu y accéder, les femmes ont dû prouver qu'elles étaient à la hauteur", explique la sociologue.

Aujourd'hui encore, les femmes footballeuses subissent des discriminations dans leur sport. "À partir du moment où il y a une séparation hommes/femmes, il y a un impact sur la sociabilisation. On ne parle pas de mêmes compétences techniques et physiques donc dans la représentation, ce n'est pas aussi intéressant", remarque Anne Tatu. L'encadrement sportif est en cause. "Notre équipe était à la dérive. Puis un jour, deux coachs hommes ont repris en main l'équipe. Tout de suite, il y a eu une plus grande confiance", raconte Claire Bart-Salvi. Pour autant, la footballeuse amatrice veut souligner que son club a évolué en dix ans. "Aujourd'hui, notre club est à fond derrière nous. Cette année, nous voulions obtenir un label alors, nous avons créé une seconde équipe féminine et tout le monde nous a fait confiance pour cela."

Malgré une légère évolution, le football est toujours un milieu de discrimination, notamment au niveau de sa médiatisation. "Les matchs féminins ne bénéficient pas des mêmes moyens techniques que ceux des hommes. La mise en scène du match n'est pas la même en fonction du placement des caméras, des ralentis d'actions. On ne raconte pas la même histoire, donc ça paraît moins intéressant ou impressionnant pour les téléspectateurs", explique Anne Tatu. 

"On va quand même vers le beau"

Le sport représente la société selon la sociologue. "C'est un miroir grossissant de la société. Les freins observés dans la vie sont les mêmes dans le sport. Mais c'est un milieu populaire, donc il peut faire bouger les lignes", souligne Anne Tatu. Ainsi, les inégalités salariales dans la société s'observent aussi dans le sport. En décembre dernier, l'Allemande Selina Freitag, championne du monde de saut à ski, dénonce une discrimination édifiante. Pour sa qualification lors d'une compétition, elle se voit offrir une trousse contenant un shampooing, un gel douche et quatre serviettes de toilette, quand, pour la même performance, son homologue masculin a empoché 3 200 €. "Voilà pourquoi parler d'égalité dans le sport est très compliqué", remarque Anne Tatu. 

Il n'y a jamais trop d'actions en faveur du sport féminin. C'est pour ça qu'une journée internationale comme celle du 24 janvier reste très importante

Anne Tatu, docteure en sociologie et professeure agrégée en EPS

Pour autant, les sportives, amatrices ou de haut niveau, témoignent d'avancées qu'elles ont pu observer au fil des années grâce à la promotion du sport féminin. "Tous les dimanches, il y a autant de monde à nos matchs que lors de ceux des hommes. C'est motivant et cela donne de l'espoir pour la suite", raconte Claire Bart-Salvi, footballeuse amatrice à Amancey. De son côté, Sophie Bez, amatrice de CrossFit et pratiquante de VTT de descente, met en avant une nouvelle génération plus au fait des discriminations de genre. "Quand je pars en colonie de vacances de VTT, je suis avec des hommes de 18 à 25 ans. Pour eux, ce n’est pas un problème que je sois une femme, car ils ont grandi dans une société où les discriminations sont sans cesse dénoncées. Au final, ils sont plus étonnés de mon âge", s'amuse la Bisontine de 37 ans. 

Pour Anais Bescond, nul doute qu'elle a été privilégiée grâce à la mise en avant des femmes et de l'égalité dans son sport. La biathlète refuse de croire à une discrimination. "Je ne dis pas que je n’ai pas connu d’injustices de genre. Durant toute ma carrière de haut niveau, j’ai eu Martin Fourcade dans mon équipe. Certes il a parfois été mis plus en avant, mais je pense que c'est plus une histoire de mérite que de genre", reconnaît-elle.

Chacune de ces sportives est optimiste pour un avenir plus juste mais souligne la nécessité d'une journée comme celle du 24 janvier pour ne pas abandonner un combat initié depuis plusieurs années. "Il faut continuer de mettre en avant une boucle vertueuse entre la pratique sportive féminine et sa représentation dans la société. Le sport peut vraiment initier des changements majeurs alors la Journée internationale du sport féminin est très importante", conclut Anne Tatu. 

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