Le crash de l’Émeraude, enquête sur un scandale d’État autour de la première catastrophe aérienne de la compagnie Air France

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Le 15 janvier 1934 à 19h40, l’avion l’Émeraude, fleuron de l’aviation française, s’écrase à Corbigny, dans la Nièvre, avec à son bord dix passagers. Aucun survivant.
Le 15 janvier 1934 à 19h40, l’avion l’Émeraude, symbole de l’innovation aéronautique française, s’écrase près de Corbigny, dans la Nièvre. ©PLR productions

Le 15 janvier 1934 à 19h40, l’avion l’Émeraude, fleuron de l’aviation française, s’écrase à Corbigny, dans la Nièvre, avec à son bord dix passagers. Aucun survivant. Dans le documentaire "L'Émeraude, cold case sur un scandale d’État" de Vincent Robert, découvrez l’enquête menée sur ce crash où se mêlent raisons politiques nationales et internationales.

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"Sommes dans la neige – altitude 1 700 mètres – je vous rappellerai" seront les derniers mots prononcés depuis l’Émeraude ce 15 janvier 1934.

Le 15 janvier 1934, l’Émeraude, fleuron de l’aviation française parti de Saïgon, connaît une fin tragique à Corbigny, dans la Nièvre.

Pourquoi cet avion, alors qu’il venait de traverser une partie de la planète, s’est-il écrasé si près de son but ? Et si cet accident masquait un scandale d’Etat qui aurait pu coûter la vie à la République Française ?

Comme le raconte le documentaire 'L'Émereraude, cold case sur un scandale d’Etat" c’est une partie de notre Histoire commune qui s’est jouée sur la bute de La Linarde, ce 15 janvier 1934. La montée du nazisme, l’antisémitisme des années 30, les déboires du colonialisme apportent un éclaircissement fondamental pour comprendre cette tragédie.

Retour sur le 15 janvier 1934, jour du crash de l’Émeraude

L’Émeraude part de Saïgon en direction de l’aéroport du Bourget le 5 janvier 1934 avec à son bord, dix passagers, dont Pierre Pasquier, gouverneur d’Indochine, Emmanuel Chaumié, directeur de l’aviation civile, et Maurice Noguès, pionnier de l’aviation. Tous périssent dans l’accident.

Le retour se fait avec quelques escales dont une à Damas due aux fortes pluies. L’avion redécolle le 14 janvier.
Lundi 15 janvier l’Émeraude arrive à Marignane avec plus d’1h de retard en raison de fortes intempéries.

C’est à Marignane, l’aéroport de Marseille que tout commence, il est 15h ce lundi 15 janvier 1934 lorsque le service météo apporte son dernier bulletin, et il est épouvantable !

Michèle Kahn, romancière et auteure de "La tragédie de l'Emeraude"

L’Émeraude fait une dernière escale technique à Lyon, ce même jour.
Le bulletin météo sur le Morvan est déjà plus qu’alarmiste et les moteurs de l’avion ont connu de graves problèmes techniques… Et pourtant, il redécolle vers 18h20 en direction du Bourget. !

L’avion et l’aéroport du Bourget échangent par radio :

  • 18h24 - tout va bien, nous allons au Bourget
  • 18h33 - Ici, tout va bien, dans les nuages, pluie et orage
  • 18h58 : Tout va bien – SVP transmettez pendant 2 minutes, ici grains orageux
  • 19h15 : l’Émeraude appelle le Bourget pour faire une émission et pour donner son tour d’horizon actuel.
  • 19h34 - Sommes dans la neige – altitude 1700 mètres - je vous rappellerai

20h11, 20h12, 20h13… 20h36 – une série d’appels du Bourget restent sans réponse.
20h54 : Message officiel du Bourget : L’Émeraude, se serait posé à Corbigny !
À 22h30, c’est un appel de M. Naudin, maire de Corbigny, qui met un terme à tout espoir.

Le rapport préliminaire de la commission d’enquête établira que le crash résulte de la rupture de l’avion en vol dû aux conditions météorologiques exécrables au-dessus du Morvan.

90 ans plus tard, de nombreuses questions restent encore sans réponse car aucun rapport définitif n'a été publié.

Qui a ordonné ou du moins autorisé ce départ vers une mort quasi certaine ?

Selon le député Etienne Riché, président à la commission de l’aéronautique dans une lettre ouverte au ministre de l’Air, il est hors de doute que le départ de l’Émeraude de l’aérodrome de Lyon, en pleine nuit, alors que les renseignements météorologiques étaient nettement défavorables, constituait une lourde imprudence.

Tout le monde savait que le danger était immense et qu’ils prenaient tous des risques qui les conduiraient à une mort quasi certaine.

À bord se trouvait un des plus célèbres aviateurs du monde, Maurice Noguès, devenu depuis peu le nouveau directeur général adjoint d’Air France.

Un article de presse du 26 janvier 1934 l’accuse directement d’avoir pris seul cette décision.

Je ne peux pas imaginer que ce soit Noguès qui ait pris cette décision, il était très respectueux de la hiérarchie et son supérieur était Launay.

Bernard Bacquié, ancien commandant de bord Air France et auteur

Il semble peu probable que Launay ait pris seul cette décision insensée et suicidaire.

Car si c’est la tempête qui a jeté l’appareil au sol, c’est un ordre supérieur, venu de Paris qui l’a obligé à affronter de nuit cette tempête écrira l’épouse de Maurice Noguès.
Elle certifiera avoir fait l’objet de menaces dès le mois de juin 1934 "on m’a envoyé un émissaire qui, suivant une sorte de chantage déplacé, m’a conseillé de me taire – sinon vous le regretterez -".

Le 9 mars 1934 à la Chambre des députés, Emile Périn, député-maire de Nevers et membre de la commission de l’aéronautique, interpelle le général Denain, ministre de l’Air, sur ces pressions qu’aurait subi l’équipage à Bron ce soir-là. Le général Denain écourte vite sa réponse et coupe court à toute rumeur.

Le ministre a fait plus que ça : il a menti à la représentation nationale, c’est un véritable mensonge d’Etat. Qui le ministre protège-t-il en mentant à la Chambre des députés ?

Etienne Riché, député à la Chambre, va mener sa propre enquête.

À sa mort, quelques mois plus tard, la visite d’un émissaire du ministère à son domicile, fera disparaître tous les éléments qu’il avait récoltés.

La "prédation" du système bancaire indochinois en pleine tourmente de l’affaire Stavisky, la clé de l’énigme ?

Toute cette pression qui pèse sur l’Émeraude ne date pas du 15 janvier 1934. Elle remonte en réalité en décembre 1933 lorsqu’un ordre inattendu du Ministère est donné de raccourcir la période d’essai de l’avion de près d’un mois, alors que 311 heures étaient encore jugées nécessaires avant une exploitation commerciale avec passagers.
L’Émeraude n’en a effectué que 198 heures quand il est parti pour Saïgon.

Et si c’était le besoin urgent de faire revenir Pierre Pasquier, le gouverneur d’Indochine, qui était le prétexte pour avancer le vol inaugural de l’Émeraude ?

La situation en Indochine semble politiquement et économiquement explosive. Le bureau des représentants à Hanoï demande expressément le 12 septembre 1933, que Pierre Pasquier soit rapidement remplacé.

Le 16 septembre, ce sont les conseillers coloniaux, des conseillers municipaux et la Chambre d’agriculture à Hanoï qui parlent de "ruine générale de l’Indochine" après 5 ans de pouvoir du gouverneur général et ils accusent "ce marasme ne serait pas dû à la crise mondiale mais bel et bien aux fautes du gouvernement et la politique bancaire et monétaire contraire aux intérêts indigènes" et "exigent une politique qui ne soit plus inféodée aux puissances financières."

Progressivement, les grands trusts métropolitains vont prendre les meilleures affaires au niveau de l’Indochine et tous les Annamites et les Chinois vont se retrouver écartés des affaires les plus intéressantes.

Patrice Morlat, Docteur en histoire, spécialiste de la colonisation

Tout ce système va être articulé autour des banques qui vont soit contrôler directement les grandes sociétés, soit les contrôler par le biais du service financier.
Ce sont donc elles, les banques en Indochine, ces puissances financières accusées dans les télégrammes. Pasquier, en tant que gouverneur général d’Indochine, est tenu responsable également de cette situation.

S’ajoute à cela la crise de 1929 et la mise en place en Indochine d’une politique de déflation.
Dans le rapport Lasserre, il apparaît clairement que la banque de l’Indochine s’est enrichie grâce à la crise. Elle a considérablement enrichi son patrimoine immobilier en Indochine.
La personne présidente de la succursale chargée de l’immobilier au sein de cette banque (président du Crédit Foncier de l’Indochine) n’est autre qu’Ernest Roume, le président de la toute nouvelle compagnie Air France.

Pierre Pasquier, en tant que gouverneur d’Indochine, dépend directement du ministre des Colonies de l’époque, Albert Dalimier, qui est également son ami.

Ce dernier est cité depuis la mi-décembre 1933 dans une affaire politico-financière de la plus haute importance, l’Affaire Stavisky.
Stavisky se serait appuyé sur des personnages haut placés, dont des politiques, et l’un des hommes politiques épinglé par la presse dès fin décembre 1933 n’est autre que Albert Dalimier.

Il est l’auteur du télégraphe d’urgence, classé confidentiel, du 5 décembre envoyé à Pierre Pasquier, lui demandant de rentrer à Paris au plus vite.

En quoi Pasquier, pouvait être d’une quelconque "utilité" pour son ami ministre touché par un scandale politique ? 

Des liens entre l’Indochine et l’affaire Stavisky ?

Il existe des liens très étroits entre Ernest Roume, le nouveau président d’Air France et la banque de l’Indochine. Celui-ci était administrateur et président de la succursale chargée de l’immobilier au sein de cette même banque. Roume était lui-même ancien gouverneur d’Indochine entre 1914 et 1917.

Il peut être clairement établi l’hypothèse suivante et évoquée par certains journaux de l’époque : Pasquier transportait avec lui des documents importants et certains journaux précisent "des papiers compromettant pour son prédécesseur". Est-ce en lien avec le scandale Stavisky ?

Le ministre Cot va se rendre sur le lieu du crash dès le 16 janvier au matin mais, fait étrange, il dépêche avant, et en pleine nuit Volpert, pour qu’il se rende sur le lieu du drame dès le 15, minuit. Pour récupérer des documents ?

Il fallait à tout prix défendre les intérêts de quelques-uns, protéger la réputation d’autres, en ordonnant ce 15 janvier à l’Émeraude de décoller de Bron ?

Si le scandale de la banque de l’Indochine n’a finalement pas éclaté, il va renforcer le fort ressentiment des Français en Indochine et ce, un peu plus de 10 ans avant la guerre qui aboutira aux accords de Genève en 1954.

Les dix victimes dont les stèles sont encore présentes au mémorial sur la commune de Corbigny sont a minima bien plus que des victimes d’une simple catastrophe aérienne.
Ce sont des victimes d’un terrible destin lié à des enjeux financiers, commerciaux, nationaux et internationaux, des victimes collatérales du scandale financier des années 30 qui a failli conduire au crash de la République.

"L’Émeraude, cold case sur un scandale d’État", un documentaire en deux parties de Vincent Robert.
Coproduction : PLR production et France 3 Bourgogne-Franche-Comté

→ Disponible sur la plateforme france.tv

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