Noureddine Adda, mystérieusement disparu en 2013 : malgré la relance de l'enquête, "la justice n'a rien fait, le néant"

Pourquoi une affaire de disparition vieille de 11 ans n'a-t-elle toujours pas été résolue ? Les proches de Noureddine Adda, "le disparu de la gare de Chalon-sur-Saône", en veulent à la justice. Malgré la nomination d'une nouvelle juge d'instruction, "il ne s'est rien passé", déplorent-ils.

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"C'est peut-être la fin d'une longue traversée du désert", écrivions-nous le 16 janvier 2024. Ce jour-là, la famille de Noureddine Adda était reçue par la nouvelle juge d'instruction nommée pour reprendre le dossier de leur frère, disparu sans laisser de traces en novembre 2013 alors qu'il devait prendre un train à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). À l'époque, l'avocat des Adda se réjouissait : "Aujourd'hui, on a un magistrat qui prend le dossier à bras-le-corps."

"Je relis cette interview et j'ai presque honte"

Un an après, "je relis cette interview et j'ai presque honte", confie maître Bernard Boulloud. "On était tous plein d'espoir ; on sentait la juge déterminée, emballée. Aujourd'hui, je suis consterné. Pendant un an, il ne s'est rien passé. Le néant", déplore l'avocat que nous avons joint par téléphone. 

Début janvier, il a formulé une demande d'information pour savoir où en était l'enquête. Résultat : depuis un an, seul un retour de commission rogatoire de 2023 a été rajouté au dossier. "C'est une seule pièce et il n'y a rien dedans. En clair, depuis notre audition, il n'y a rien eu", fulmine Bernard Boulloud.

On a encore perdu une année sans qu'il ne se passe rien.

Bernard Boulloud

avocat des Adda

Pourtant, l'avocat avait procédé à plusieurs demandes d'actes. "Entre 5 et 7 personnes à réentendre, plusieurs personnes particulièrement suspectes aux yeux de la famille ; j'avais demandé d'approfondir certaines recherches comme l'exploitation du téléphone, des photos à retravailler ; il y avait des recherches à relancer dans les hôpitaux, auprès des pompes funèbres, pour retrouver les personnes enterrées sous X..." Il cite une affaire récente, autour de Grenoble, où la justice a ordonné l'exhumation de plusieurs corps non identifiés afin d'en analyser, avec succès, l'ADN.

La famille dit même avoir eu lecture du compte rendu d'un enquêteur auprès de la juge d'instruction, disant que "tout a été fait" et que les policiers n'ont "pas les moyens d'aller plus loin".

Est-ce que la police nationale traîne les pieds ? Est-ce que les enquêteurs ont suffisamment de compétences ?

Bernard Boulloud

avocat des Adda

"Est-ce que la police nationale traîne les pieds ? Est-ce que les enquêteurs ont suffisamment de compétences ? Je ne sais pas. Je m'interroge", tance Bernard Boulloud. L'avocat est pourtant habitué des affaires de disparitions et de "cold cases" : il a notamment assisté les proches du caporal Arthur Noyer, tué par Nordahl Lelandais, et de Marie-Thérèse Bonfanti, livreuse de journaux dont le meurtrier a été retrouvé 36 ans plus tard.

L'un des frères de Noureddine Adda, Me Bernard Boulloud (l'avocat de la famille), Khoka et Nabila Adda, mère et sœur du disparu. © Lisa Guyenne / France Télévisions

"Mon frère, c'est devenu le fantôme du train"

L'une des sœurs de Noureddine Adda, Ghania, se dit "très choquée". "Mon frère, c'est devenu le fantôme du train. On sait que ça va être très dur pour la suite, tellement de choses n'ont pas été faites." Elle et son entourage redoutent le temps qui passe, pire ennemi de l'enquête. Elle rappelle que déjà, à l'époque, des erreurs ont été commises : "L'ADN n'a pas été pris sur les valises, la vidéosurveillance du train n'a pas été exploitée, le bornage du téléphone de mon frère non plus..."

Noureddine Adda, dit Samir, en 2011 © DR / Famille Adda

"Je suis très en colère, parce que c'est aussi l'image de la justice qui en prend un sérieux coup alors qu'on n'a pas besoin de ça", ajoute Bernard Boulloud, qui compte tenter de nouveaux recours. "Je vais saisir la chambre de l'instruction pour faire dessaisir la juge, et ordonner les actes que j'avais demandés."

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L'avocat espère aussi que l'enquête puisse être confiée à une autre direction. "Si les services enquêteurs ne sont pas compétents, il ne faut pas leur confier le dossier. Il faudrait demander qu'un autre service s'en charge, comme la gendarmerie par exemple, qui dispose de sections spécialisées, avec plus de personnel et de moyens." Mais la partie civile n'a pas ce pouvoir : cette décision ne peut qu'être ordonnée par un juge d'instruction.

Impossible aussi de faire appel au pôle "cold cases" de Nanterre, chargé notamment des crimes de Michel Fourniret et de Monique Olivier. "Il faudrait une suspicion de crime sériel ; on ne remplit pas vraiment les cases", explique l'avocat. Qui s'interroge : "Est-ce que la famille doit s'en remettre au privé pour pouvoir élucider cette affaire ?"

Noureddine Adda, dit Samir, sur la dernière photo prise de lui par sa famille © DR / Famille Adda

Noureddine, dit "Samir", évaporé entre Chalon-sur-Saône et Lyon

Le 10 novembre 2023, Noureddine Adda, surnommé Samir par tous ses proches, quitte son appartement du quartier des Aubépins en taxi, direction la gare de Chalon-sur-Saône. Il doit se rendre en train à l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry pour rejoindre son épouse en Algérie.

Samir s'arrête à mi-chemin, vers 7 heures du matin, chez l'une de ses sœurs pour récupérer des produits cosmétiques, cadeaux pour sa femme. Il en profite pour appeler sa mère, dont il est très proche, comme il le fait tous les jours. "Les crèmes, ça risque de couler. Je les mets plutôt en bagage cabine ou en soute, tu penses ?" lui demande-t-il. C'est la dernière fois que Khokha Adda entendra la voix de son fils. 

► À LIRE AUSSI : ENQUÊTE. Noureddine Adda, le disparu de la gare de Chalon-sur-Saône : "Ça fait 10 ans, et toujours rien"

Trois jours après, l'épouse de Samir signale que celui-ci n'est jamais arrivé en Algérie. Au même moment, ses frères et sœurs apprennent que les bagages de Samir ont été retrouvés... dans un autre train, à Venarey-les-Laumes, au nord de Dijon. Un trajet que Samir n'avait jamais prévu d'emprunter.

La douane confirme que le quadragénaire n'a jamais quitté le sol français. La police est contactée, une plainte déposée... Et c'est le début d'un long calvaire pour les Adda. Depuis novembre 2013, aucune nouvelle de Samir. Pourtant, "c'était quelqu'un de vulnérable, et normalement, toute disparition d'une personne fragile doit être considérée comme inquiétante", rappelait maître Bernard Boulloud il y a un an. 

Samir est en effet considéré par son entourage comme "un peu fragile". Depuis une quinzaine d'années, il souffre des séquelles d'un traumatisme crânien mal soigné dans son enfance : il prend des médicaments assez lourds qui le rendent souvent fatigué, somnolent. Il perçoit l'AAH (l'allocation adulte handicapé) et son cercle social se résume à sa (grande) famille. "Mais il a toujours été autonome, j'insiste. Il habitait tout seul, se faisait à manger. Il aimait voyager, il prenait les transports seul", martèle sa sœur Ghania.

Depuis 2013, trois juges d'instruction se sont succédé à la tête de cette affaire. Mais le clan Adda ne veut pas baisser les bras. Ghania Adda résume : "On est démunis, mais on ne va pas lâcher l'affaire. C'est mon frère, c'est un être humain."

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