Le projet de pont "Jacques Chirac", censé relier la Saône-et-Loire et l'Ain, est à l'arrêt. Dans une décision rendue le 10 mars dernier, le tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté interpréfectoral qui autorisait les travaux. Retour sur un feuilleton qui a déjà fait couler beaucoup d'encre.
Nouveau revers pour les Conseils départementaux de Saône-et-Loire et d'Ain. Le 10 mars dernier, le tribunal administratif de Lyon rendu publique sa décision d'annuler l'arrêté préfectoral qui autorisait la construction du pont Jacques Chirac. Censé relier les deux départements, l'ouvrage se trouve au point mort depuis le 21 octobre 2021.
Pour rappel, le pont Jacques Chirac devait, à terme, remplacer le pont de Fleurville. Cette structure, qui relie les communes de Fleurville (Saône-et-Loire) et Pont-de-Vaux (Ain), voit circuler environ 6 700 véhicules par jour.
Mais la construction du nouvel édifice entraînerait la destruction et la perturbation de l'aire de repos d'une trentaine d'espèces, dont certaines protégées. Une conséquence inacceptable pour l'association Bien vivre à Replonges, principale opposante au projet.
Pour y voir plus clair, France 3 Bourgogne vous propose de revenir sur cette affaire.
Des restrictions sur le pont de Fleurville depuis 2013
Le pont de Fleurville est un ouvrage à ossature métallique, long de 185 mètres. S'il a été érigé à la fin du 19ème, il a également été reconstruit après la Seconde guerre mondiale.
Avec l'âge, le pont s'est fragilisé. Résultat, il fait l'objet de plusieurs restrictions depuis 2013 :
- la circulation se fait en alternance.
- la vitesse est limitée à 50 km/h.
- le tonnage des véhicules qui l'empruntent ne doit pas dépasser les 26 tonnes.
À noter qu'une étude préliminaire d'ouvrage d'art, réalisée la même année, conclut à "la possibilité technique et la pertinence d'une reconstruction du tablier sur les appuis existants", comme précisé dans la décision de justice rendue le 10 mars dernier.
Malgré tout, les départements de l'Ain et de la Saône-et-Loire envisagent l'érection d'un nouveau pont en amont de celui déjà existant, qui doit être supprimé. Longueur prévue : 272 mètres.
Plusieurs expertises conduites en 2019 et 2020
Le projet du nouveau pont, tel que caractérisé à l'époque, doit accomplir un certain nombre d'objectifs. Il doit permettre de "rétablir une liaison sécurisée" entre les deux départements, tout en améliorant "les circulations locales et notamment douces". Il doit également rendre possible le croisement de deux véhicules et "faciliter l'entretien ultérieur de l'ouvrage".
À cette fin, une demande d'autorisation environnementale est déposée mi-2019 auprès des préfets de de l'Ain et de Saône-et-Loire, par le Conseil du premier département. Des avis favorables, quoique agrémentés de conditions et autres préconisations, sont fournis par le conseil national de protection de la nature et l'autorité environnementale, début 2020.
La première désillusion se produit en septembre 2020. Le commissaire enquêteur chargé de l'enquête publique, qui vise à assurer la participation et l'information du public sur le projet, se déclare défavorable à la construction d'un nouvel ouvrage en amont de celui déjà existant. En outre, le futur pont Jacques Chirac entraînerait "la destruction ou la perturbation de quatorze espèces de mammifères, d'une espèce de reptiles et de vingt-et-une espèces d'oiseaux sauvages protégées".
Un arrêté préfectoral autorisant le début des travaux...
Loin d'abandonner, le Conseil Départemental de l'Ain réitère sa demande d'autorisation environnementale début 2021. Par un arrêté en date du 28 juin, les préfets de l'Ain et de Saône-et-Loire accordent ladite autorisation.
À ce stade, les travaux peuvent donc commencer. Le coût du projet est estimé à 18 270 000 euros par le commissaire enquêteur.
... annulé provisoirement en octobre 2021
Le 21 octobre, le tribunal administratif de Lyon rend une première décision suite à un recours déposé par l'association Bien vivre à Replonges. Cette décision annule, de façon provisoire, l'arrêté préfectoral de juin.
Ni une, ni deux, les deux départements décident de se pourvoir en cassation. Du côté des automobilistes, on soutient plutôt la construction d'un nouveau pont.
Pour se croiser, un nouveau pont ça irait mieux, parce que là c’est quand même dangereux.
Un usager du pont de Fleurville
"J'ai peur qu'un jour, il y ait un accident et que le pont s'effondre", ajoute une autre automobiliste.
14 novembre : un rassemblement de 1 000 personnes, en faveur de la reprise des travaux
La décision du tribunal de Lyon doit alors être rendue au premier trimestre 2022. Mi-novembre, 1 000 personnes se réunissent à Fleurville sur l'initiative des présidents des Conseils Départementaux.
Pour André Accary, président du Conseil Départemental de Saône-et-Loire, une crainte : que se produise un accident comme celui de Gênes (Italie) en 2018. Un pont s'était alors effondré, provoquant la mort de 48 personnes.
Il y a urgence. Ce pont est surveillé 24 heures sur 24. Pour des raisons de sécurité, on le fermerait si tout ça dure trop longtemps.
André Accary, président du Conseil Départemental de Saône-et-Loire
"Si ce pont ferme un jour, ce que je ne souhaite pas, il faudra que les véhicules légers fassent un détour de 40 km en amont, de 40 km en aval. Venez m’expliquer comment la couche d’ozone va être supportée", ironisait de son côté Jean Deguerry, le président du Conseil Départemental de l'Ain.
Finalement, comme évoqué au début de cet article, l'annulation de l'arrêté autorisant les travaux a bel et bien été confirmée jeudi 10 mars. Cela ne signifie pas pour autant la fin de ce feuilleton.
"On n'arrive pas à comprendre pourquoi le département de l'Ain n'arrête pas"
Contactée, l'association Bien vivre à Replonges a exprimé sa satisfaction quant à la décision de justice. "On est satisfait, on a eu raison dans notre démarche", admet Michel Mellon, membre du regroupement. "Mais on ne l'est pas sur toute la ligne, car on embête tout le monde."
Il faut que les gens sachent qu'il existe une meilleure solution que celle proposée par le département de l'Ain, approuvée par les juges et le commissaire enquêteur.
Michel Mellon, membre de "Bien vivre à Replonges"
La rénovation du pont de Fleurville s'avère aussi être plus économique que la construction d'une nouvelle structure. La solution proposée par le commissaire enquêteur est estimée à 18 600 000 euros, soit un peu plus que pour une construction de toute pièce. Sauf qu'il est bien précisé que ce montant comprend le coût d'un pont provisoire, jugé inutile par le tribunal administratif de Lyon.
"Au total, si l'on enlève le coût de l'entretien sur un siècle, qui est estimé à un million d'euros, la rénovation du pont de Fleurville reviendra environ 3,5 millions moins cher", explique Michel Mellon. "Avec tout ce qu'ont dit les experts, on n'arrive pas à comprendre pourquoi le département de l'Ain n'arrête pas."
Celui-ci compte par ailleurs réclamer une nouvelle étude environnementale. L'objectif, à terme, semble de faire appel de la décision de justice.