"Aucune femme ne recourt de gaîté de cœur à l’avortement, il suffit d’écouter les femmes" déclarait Simone Veil, ce jour de 1974 pour défendre sa loi sur l'IVG. C’est ce qu’a fait Sonia Gonzales dans un documentaire. Écouter ces jeunes filles d'hier pour qu’elles disent la peur, la honte, les souffrances. Et parmi elles, Catherine.
"Je n’ai pas eu envie de témoigner, mais je veux le faire", prévient tout de suite Catherine. Et elle prononce sa phrase comme si elle écrivait les lettres en capitales d’imprimerie." "JE VEUX. IL FAUT LE FAIRE", dit-elle, "pour faire comprendre aux gens comment ça se passait concrètement."
On la devine discrète, réservée, mais elle a décidé de passer outre.
Parler pour briser le silence d'alors
Un matin, Catherine a entendu l’appel à témoigner. L’INA souhaitait donner la parole aux femmes qui avaient vécu ces années de silence et de honte, où on avortait dans les cuisines ou des arrières chambres. Avant 1975, alors que la contraception n'existait pas encore, 800 000 femmes subissaient chaque année un avortement clandestin, un délit pénal alors sévèrement réprimé.
Catherine a pris son téléphone. "J’ai raconté mon histoire, dit-elle, et ça s'est fait comme cela."
Elle est devenue une des voix, un des visages du documentaire, Il suffit d’écouter les femmes diffusé sur France 5 ce 14 janvier 2025.

"Ma mère m’a dit, je suis enceinte et ça ne peut pas être"
"Un jour, ma mère m’a dit, je suis enceinte et ça ne peut pas être, ça ne peut pas être ! " se souvient Catherine.
C’est le mois d’août se remémore Catherine. "On habite au 6ème étage. On a un petit balcon. Ma mère s’avance sur ce petit balcon et me dit, je n’ai plus qu’à passer par-dessus". J’ai dit, Maman, Maman, arrête !". Je me revois encore la tirer et refermer la porte."
A 17 ans, Catherine n’est encore qu’une toute jeune femme, mais elle a compris. "Je vois ma mère déterminée à ce que cela n’aboutisse pas. Je le vois, je le sens, je le sais."
Elle a compris aussi que sa mère "aidait" parfois d’autres femmes. "Un jour, je rentre avec ma mère dans notre immeuble et la concierge arrive et dit, Oh Madame, Madame, il faut que je vous dise, je suis enceinte. Ma mère a répondu, Violette, ne vous inquiétez pas, on en reparle et on est montées dans l’ascenseur. Ensuite, cette femme, je l’ai vue chez moi en train de faire du ménage. Je pense qu’elle payait ma mère de cette façon. "
"J'ai personne ! "
La mère de Catherine ne veut pas de cet enfant à naître. Elle se tourne vers sa fille. "Moi je lui dis "Maman, t’as des copines, t’as plein de copines". Elle me dit : "J'ai personne. C’est ta grand-mère qui me faisait ça, et grand-mère, elle ne peut plus le faire, elle ne veut plus le faire. Elle tremble. Ça va pas, ça peut pas."
Ce jour-là, dans l’appartement familial, elle a initié sa fille.
"Elle me montre un speculum, parce qu’elle en a un, elle me montre les sondes, parce qu’elle en avait plusieurs et elle me dit, il faut que tu voies clair et elle m’attache une pile Wonder sur le front !"
"Elle me dit, je vais t’expliquer, ça va bien se passer, ne t’inquiète pas. Ça va bien se passer. Là, il n’y a que toi, il n’y a que toi !"
Sa mère lui montre le fil de fer et lui indique comment l’introduire dans la sonde. "Elle me dit, tu vas l’enfoncer, alors j’enfonce… " décrit Catherine.
L'hémorragie
Mais, les choses ne se passent pas comme prévu. Sa mère saigne abondamment. Catherine commence à s’affoler. "Je changeais les serviettes, les draps, et je disais, "maman, maman, tu ne peux pas rester comme ça"".
Par chance, dans l’immeuble, se trouve un médecin, et "à un moment, ma mère m’a dit, va le chercher".
Presque 60 ans après, Catherine tremble encore. "C’était horrible. Quand vous voyez la vie s’écouler comme cela. Le sang se répandre. Le sang… J’en ai encore la bouche sèche."
Le médecin est arrivé et n’a posé aucune question. "Il a tout de suite compris, analyse aujourd’hui Catherine. Il n’a rien dit, mais il a agi." Sa mère part aussitôt allongée dans une civière.
"Quand elle est rentrée de la clinique, je l’ai trouvée pâlichonne. Mais elle est rentrée, sur ses deux pieds !"
Catherine et sa mère n’ont jamais reparlé de ce jour-là…"mais un jour, elle m’a dit Je n’oublierai jamais ce que tu as fait pour moi !"
"J’ai porté secours à ma mère"
"Je veux que les gens entendent que quand quelqu’un crie au secours, il faut lui apporter de l’aide."
Catherine ne s’est jamais sentie coupable. "Je ne suis pas coupable, J’ai porté secours à ma mère, j’ai aidé et j’ai fait quelque chose de juste, au sens du mot justice."
"C’est pour cela que je parle, c’est une nécessité et c’est important parce qu’à l’époque, le silence régnait, confie Catherine. Tout le monde savait plus ou moins. Il n’y a pas une famille qui n’a pas été confrontée à cela, dans n’importe quel milieu social."
"L’interdiction d’avorter n’empêchait pas d’agir. Une femme qui a décidé cela, elle le fera par n’importe quel moyen. Elle essayait tout, avalait des tisanes, sautait, dévalait les escaliers… Au risque d’y laisser sa vie, d’être traumatisée, d’avoir des séquelles gynécologiques…"
"Les femmes étaient prêtes à tout. Celles qui avaient un peu d’argent partaient pour l’Angleterre ou la Belgique. Il y avait de vrais réseaux. On est une société hypocrite. Tout le monde savait, mais on se bouchait les oreilles et on fermait les yeux."
Lire : 50 ans de Planning Familial de Rennes : retour sur les années de lutte
"C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame"
Avant 1975, chaque jour, une femme mourait des conséquences d'un avortement clandestin. "C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame, disait Simone Veil à l’Assemblée nationale ce 26 novembre 1974 pour défendre la loi qui autoriserait les interruptions volontaires de grossesse. "C’est toujours douloureux, on ne peut pas faire autrement que de ressentir de la douleur de ce qu’on a vécu," confirme Catherine.
Aujourd’hui, le droit à l’avortement est inscrit dans la loi, et même dans la Constitution."Mais cela reste fragile et tellement compliqué, s’inquiète Catherine. Pour moi, on n’est jamais à l’abri. Les lois peuvent changer et puis, il y a toujours ces histoires de délais. Aujourd’hui, l’IVG peut être pratiquée jusqu'à la fin de la quatorzième semaine de grossesse… Mais le temps de s’apercevoir qu’on est enceinte, ce n’est pas évident, surtout pour une très jeune fille, c’est compliqué, et même maintenant, il faut pouvoir aller dire, Maman, je suis enceinte. C’est pour cela que je ne suis pas tranquille."
Catherine ne masque aucune des cicatrices que cette histoire a inscrite dans sa chair. Elle a souffert et refuse que d’autres aient à endurer les mêmes choses. "Je témoigne pour mes petites-filles, conclut-elle. Elles ont 16 ans. Je ne suis pas courageuse, je témoigne pour qu'elles ne connaissent jamais cela."