Crêperie, hôtel mais aussi et surtout boîte de nuit, le Moulin de Poulhanol, dans le Finistère, en a fait tourner des têtes et des coeurs pendant trente ans. La fille de la maison a ressuscité la bâtisse qu'elle ouvre au public ce dimanche.
A l’intérieur, rien n’a bougé. Comme si le lieu était figé dans le temps. Sur les murs, des affiches délavées qui vantent les mérites d’une marque de bière. Au sol, des banquettes en moleskine rouge. La piste de danse carrelée et son plafond orangé façon seventies. Dans un bac, près du bar, une vieille platine et des 45 tours d’époque. Mais surtout, entre ces murs, une myriade de souvenirs. Un premier rencard, un anniversaire, une demande en mariage, un premier baiser, une première cuite.
Le Moulin de Poulhanol, à Hanvec, recèle des tonnes de récits. Ce fut, pendant près de trente ans, l'adresse où la jeunesse du Finistère venait s’amuser. "C’est ici que j’ai grandi, sourit Aurore Louarn. C’était le dancing-crêperie-hôtel de mes parents".
Une affaire de famille
Cette Finistérienne, "têtue comme une mule", s’est battue, "comme une lionne", pour sauver la bâtisse qui ouvre au public, ce dimanche, à l’occasion des journées du patrimoine. "Je suis très émue parce que ce fut un sacré combat pour maintenir le moulin debout".
Poulhanol, c’est une affaire de famille et une histoire familiale. Elle commence avec le père d’Aurore, Richard Roc’hongar. L’homme se rêve acteur de cinéma. Il décroche des petits rôles ici et là. Il passe régulièrement devant ce moulin à l’abandon et délabré. "Il a toujours dit qu’il l’achèterait et qu’il en ferait quelque chose, relate sa fille. Je ne sais pas pourquoi cet endroit l’attirait, même quand il était enfant. Il n’en a jamais démordu". Il va jusqu’à faire une proposition d’achat en 1969 mais les propriétaires ne sont pas prêts à vendre.
C’était ouvert tous les jours. A l’époque, on faisait vraiment bien la fête
Deux ans plus tard, Richard, désormais marié à Gratienne, tente à nouveau sa chance. Cette fois, c’est la bonne. "Mes parents ont commencé l’aventure ensemble. Ils ont fait plusieurs rajouts à la bâtisse d’origine entre 1980 et 1985". La crêperie à l’étage, la discothèque au rez-de-chaussée. Pour passer de l’un à l’autre : un escalier intérieur. "C’était ouvert tous les jours. A l’époque, on faisait vraiment bien la fête" souligne Aurore.
On y croisait aussi musiciens, poètes, chanteurs. "Et mon père, évidemment, qui faisait l'acteur".
"La grande Catherine"
Derrière le comptoir enroulé autour des engrenages d’origine du moulin, Catherine, la grand-mère paternelle. "Une femme à poigne, se souvient Aurore. Il lui en fallait de la poigne avec tous les piliers de bar qu’elle devait gérer".
Lorsque sa grand-mère rend son tablier et prend sa retraite, Aurore, alors âgée de 18 ans, se colle au service. "J’en ai essuyé des remarques de la part de ceux qui venaient boire un coup au moulin. ‘Tu feras pas long feu, toi, t’es pas comme la grande Catherine’, voilà ce que j’entendais. Et à chaque fois, je répondais : ‘je la connais mieux que toi, c’est ma grand-mère’. Ca leur clouait le bec en général !".
Ma mère, elle a travaillé très dur. Si cette affaire a tenu, c’est grâce à elle. Mon père, il jouait les artistes et ce n’était pas toujours facile.
En cuisine, pour la crêperie, Gratienne qui assure également la gestion administrative du moulin. "Ma mère, elle a travaillé très dur. Si cette affaire a tenu, c’est grâce à elle. Mon père, il jouait les artistes et ce n’était pas toujours facile. C’était l’œuvre de sa vie et ma mère n’avait pas souvent voix au chapitre".
Derrière les mots, la tristesse quand Aurore évoque l'envers du décor. Elle-même finira par prendre ses cliques et ses claques "parce que travailler avec mon père, c'était impossible". Elle devient assistante maternelle tout en gardant le moulin en tête. "Ce moulin, ce n'est pas que sa vie à lui, c'est la mienne aussi. Et ça, il a toujours eu tendance à l'oublier".
Nico Luiz aux platines
Ce qui distingue le Moulin de Poulhanol des autres boîtes de nuit, c'est la musique. On n'y danse pas forcément la gavotte. On y pratique plutôt le pogo. Certes, on y entend parfois des chants de marins, mais la tonalité dominante pointe vers le rock et le hard-rock.
Je kiffais la musique de mon tonton. Grâce à lui, j'ai découvert plein de morceaux qui ne passaient pas à la radio
Et pour cause : aux platines, Nicolas Louise, l'oncle d'Aurore, plus connu des rockers brestois sous le patronyme de Nico Luiz. Avec ses "Loups noirs", dans les années 60, le saxophoniste a marqué l'histoire du rock à Brest. "C'est lui qui a créé l'univers musical du moulin. Il était incroyable. Je kiffais la musique de mon tonton. Grâce à lui, j'ai découvert plein de morceaux qui ne passaient pas à la radio. Il me fascinait".
La platine, les vinyles, tout est là, dans son jus. "Je n'ai touché à rien, confie Aurore. L'idée, c'est que les gens qui ont connu le moulin autrefois puissent le retrouver comme il était".
Sauver le moulin
Le moulin de Poulhanol ferme définitivement ses portes en 2001. "La nouvelle génération n'était plus du tout dans la même énergie. Avant, c'était plus familial, plus chaleureux, explique Aurore. D'autres discothèques dans les environs ont elles aussi fermé. Le moulin n'a pas échappé à ce changement".
Elle entend encore les rires, les voix, "les gens en train de discuter et de rigoler dans la cuisine avec mes parents". Gamine, elle observe tout ce petit monde en cachette, depuis les escaliers. "J'avais le droit de venir à la crêperie mais pas au dancing. Mais j'y allais quand même" s'amuse-t-elle. C'est d'ailleurs sur le dancefloor que, bien des années plus tard, elle rencontre son futur mari. "Tous mes potes proches, je les ai connus ici. Ma vie a toujours tourné autour de ce lieu".
Alors pas question de baisser les bras quand le rideau tombe. Aurore va mettre neuf ans pour sauver ce patrimoine. "Personne n'y croyait, on me conseillait de tourner la page, on me parlait de cause perdue, vu que la situation était compliquée".
Elle vend les terres achetées par son père pour avoir de quoi éponger les dettes et garder le bâti. Elle traverse des moments de doutes. "Un jour, j'ai dit : 'bon, je vais le vendre'. Mais rien que de le dire, ça m'a rendue malade, confie Aurore. Renoncer, impossible ! En mémoire de ma mère qui n'a jamais abandonné quand elle a dû faire face à des menaces de fermeture".
Aurore Louarn n'a pas l'intention de rallumer les spotlights ni de rejouer les soirées du passé. Dans ce moulin qu'elle a ressuscité petit à petit, épaulée par son mari et ses amis, elle veut y accueillir des soirées contes, de la musique, "de temps en temps, sous forme associative" précise-t-elle.
L'ouverture du lieu pour les journées du patrimoine est un clin d'oeil à celles et ceux qui ont écrit l'histoire de Poulhanol. "Quand j'ai ouvert au public, en 2020, il y a pas mal d'anciens habitués qui sont venus, certains couples se sont même pris en photo à l'endroit où ils se sont embrassés pour la première fois".
> Le Moulin de Poulhanol sera ouvert aux visites dimanche 19 septembre, de 14 h à 18 h. Entrée libre. Spectacle de contes avec Michel Lidou