Témoignage. Soumission chimique, "j’avais 19 ans, je pensais que ça n’arrivait qu’aux autres"

Depuis le procès des viols de Mazan, l’expression "soumission chimique" est entrée dans notre vocabulaire. Mais le phénomène reste encore très méconnu. Léa avait 19 ans quand elle a été soumise et abusée. Son cas est encore à l'instruction. Elle a décidé de prendre la parole pour avertir et mettre en garde.

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Ce devait être une soirée de fête. Léa et ses copines célébraient la fin des examens. "C'était un des derniers moments toutes ensemble, entre nous, avant de partir en stage", commence la jeune femme. 

Les étudiantes se retrouvent dans une boîte de nuit brestoise qu’elles connaissent. "On a rencontré un groupe de jeunes qui fêtaient un anniversaire. Ils avaient pris une table et une bouteille, ils étaient sympas, ils nous ont proposé un verre."

Et tout a basculé.

Léa témoigne dans le documentaire  de France 2, Soumission chimique, pour que la honte change de camp qui sera diffusé le 21 janvier 2025.

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Bande annonce du documentaire Soumission chimique, pour que la honte change de camp ©France 2

Des trous noirs

En mars 2022, Léa avait 19 ans. "Dans certains bars, on nous proposait des capotes de verre, se souvient-elle, on avait déjà entendu parler du GHB, acide gamma-hydroxybutyrique, souvent baptisé drogue du viol, mais en fait, pour moi, c'était quelque chose qui n’arrivait pas, ou qui n’arrivait qu’aux autres. Ce n’était même pas imaginable. J’étais très jeune…"

A partir de là, tout est un peu flou, j'ai des trous noirs, des souvenirs qui ne sont pas clairs, pas forcément dans l’ordre, comme une mémoire brouillée

Léa

Dès les premières gorgées, Léa commence à se sentir mal. "À partir de là, tout est un peu flou, décrit-elle, j’ai des trous noirs, des souvenirs qui ne sont pas clairs, pas forcément dans l’ordre, comme une mémoire brouillée, mal à la tête." La jeune femme ne sait pas ce qu'il y avait dans ce verre. Un  médicament ? Une drogue ? 

"J’étais un cadeau d’anniversaire. Un cadeau volé !"

Léa décide de partir, dit au revoir à ses amies et se dirige vers la sortie de la boîte de nuit. Bizarrement, les garçons partent aussi à ce moment-là et proposent de me déposer. "J’étais en confiance, j’ai accepté et là, ça devient très flou."

Léa est emmenée dans un appartement et violée par deux jeunes gens. "J’étais leur cadeau d’anniversaire. Un cadeau volé ! Ensuite, j'ai été libérée, déclare Léa, libérée, parce qu’il y a vraiment une séquestration, j’ai été contrainte de rester dans cet appartement contre mon gré."

Léa s’enfuit, prend le tram et rentre chez elle, choquée.

Pendant toute la journée qui suit, elle occulte ce qui vient d’arriver. Elle n’a qu’une chose en tête, aller chercher sa valise chez ses parents pour pouvoir partir en stage. "Je me suis mise en pilotage automatique, confie-t-elle et c’est le soir, quand mes amies m'ont appelé que j'ai craqué et que j'ai réalisé ce qui s’était passé."

Aussitôt, elle se rend à l’hôpital puis au commissariat, rencontre un médecin légiste. Mais il est trop tard. Pour trouver des traces de soumission chimique, dans le sang, "il faut être plus rapide". Le GHB disparaît en 6 à 8 heures.  

Parole contre parole

"La première chose qu'on m'a dite au Commissariat, c’est que seuls 6% des viols étaient reconnus par la justice… 6% ! "s’étonne encore Léa.

Mais, par un mystérieux réflexe qu’elle ne s’explique pas, en sortant de l’appartement où elle a été abusée, elle a mis en place une sorte d’automatisme : "j’ai enregistré tous les détails géographiques dont je savais que j’aurais besoin un jour."

Les deux hommes ont été retrouvés, auditionnés. L’enquête est encore à l’instruction. Mais Léa n’en peut plus d’attendre.

Image d'illustration. Du GHB est versé dans le verre d'une femme dans un bar. © VALLAURI NICOLAS / MAXPPP

"Je me suis retrouvée dans ce que disait Gisèle Pélicot, livre-t-elle, on doit vraiment prouver qu'on est victime. On nous montre du doigt et pour se faire entendre, c'est extrêmement compliqué. Au commissariat, on ne m'a écoutée que quand ma mère est arrivée," s’agace-t-elle.

"Et puis, ensuite, on te demande tout et son contraire. On te conseille de passer à autre chose pour aller mieux mais en même temps de pas trop aller mieux. Parce qu’on te demande d'avoir des souvenirs aussi intacts que le jour où c'est arrivé. On te demande de tout connaître sur le bout des doigts jusqu'au contenu du verre que tu as bu au détail près. Et si tu dis quelque chose qui va contre ce que t'avais dit avant ou si tu ne te souviens plus trop clairement, ça se retourne contre toi".

Besoin de se pardonner

La jeune femme reconnaît qu’elle a traversé des périodes extrêmement sombres où elle avait des crises de panique et des terreurs nocturnes.

Il faut que je me reconstruise et que je me pardonne avant de pouvoir pardonner à un homme.

Léa

"On m'a tellement montrée du doigt, dit-elle, on m'a tellement humiliée. Avec des questions inutiles ? Est-ce que vous avez pris du plaisir ? Il faut que je me reconstruise et que je me pardonne avant de pouvoir pardonner à un homme."

La jeune femme se retrouve parfois confrontée à des sentiments de culpabilité :" je me dis, et si ce soir-là, j'avais été ou si j'avais fait ou si j’avais dit…"

J’ai peur de ne jamais connaître la vérité. Et ça, c'est extrêmement dur à accepter !

Léa

"Ce qui est très dur, c’est d’avoir tant de trous de mémoire dans cette soirée." Elle se demande souvent ce qui s'est passé et est obligée d’interpréter avec les bribes de souvenirs qui lui restent pour essayer de se reconstruire. "En fait, c'est eux qui ont la clé et ils ne me diront jamais. J’ai peur de ne jamais connaître la vérité. Et ça, c'est extrêmement dur à accepter !"

Boite de nuit ( image d'illustration) © Vincent Isore/ IP3 PRESS/MAXPPP

Un combat

Mais Léa a décidé de ne pas baisser les bras. Elle milite dans des associations, rêve de créer quelque chose qui pourrait accompagner les femmes, pourquoi pas un détecteur de GHB et de substances actives dangereuses qui permettrait de tester le contenu des verres et de dire "s’il y a un truc ou pas."

Je n’ai pas pu me sauver moi, j’aimerais sauver les autres"

Léa

"Je n’ai pas pu me sauver moi, j’aimerais sauver les autres" souffle Léa.  Mais la chose est difficile, elle le sait. Le plus souvent, les agresseurs utilisent les médicaments qu’ils ont pu trouver dans leur pharmacie, des antihistaminiques, des sédatifs, des antidépresseurs ou des opioïdes. Autant de molécules qui provoquent somnolences, vertiges, pertes de mémoire… Qui vont réduire ou anéantir les capacités de défense des victimes et faciliter le passage à l’acte.

Et surtout Léa prend la parole pour que les gens prennent conscience : "Il ne faut pas se laisser gouverner par la peur, tempère-t-elle, par contre, il faut faire attention, bien regarder  quand quelqu'un te sert un verre, être sur ses gardes."

Les associations, comme "M’endors pas", dispensent les mêmes conseils :  "rester en groupe, être accompagné par des amis qui "veillent" et peuvent réagir en cas de danger ; avoir un membre du groupe qui ne boit pas ou ne consomme pas de substances et pourra ramener ses amis et amies ; ne pas quitter son verre des yeux, ne pas accepter de verre de la part d’un inconnu ou d'une inconnue."

Et puis surtout martèle Léa, "il ne faut jamais laisser une amie rentrer toute seule. Peu importe qu'elle le veuille ou non. Parce que si ce soir-là, j’avais été accompagnée, même si j'avais été droguée, il n'y aurait jamais eu ça !"

En 2022, l’enquête annuelle, réalisée par le Centre d’Évaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance et d’Addictovigilance a enregistré 1 229 cas d’agressions facilitées par les substances. Une augmentation de 69 % par rapport à 2021. Plus de 80 % des victimes étaient des femmes et des filles. Les victimes étaient âgées de 9 mois à 90 ans.

Le CRAFS, le Centre de Référence sur les Agressions Facilitées par les Substances (CRAFS) a mis en place une ligne téléphonique dédiée : le 01 40 05 42 70 du lundi au vendredi de 9h à 13h et de 14h à 18h.

 

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