Un syndicaliste brestois visé par une plainte du ministre de l’Intérieur : "on cherche à nous faire taire"

Ce 19 avril 2024, Olivier Cuzon était convoqué pour une audition au commissariat de Police de Brest. Le syndicaliste brestois y a appris qu’une plainte avait été déposée contre lui pour diffamation et injure publique envers la Police et la Gendarmerie et que cette plainte émanait du ministre de l’Intérieur en personne, Gérald Darmanin. En cause, un article dans le journal de Sud éducation du Finistère.

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"Le journal de Sud éducation Finistère, c’est un tout petit journal qui est envoyé dans les salles des professeurs des écoles, collèges, lycées du département, ironise Olivier Cuzon. C’est une feuille de chou sans prétention. C’est quand même très étonnant qu’un ministre de l’Intérieur prenne la peine de déposer une plainte contre le directeur de rédaction que je suis pour un journal qui a une audience très modeste et limitée, c’est beaucoup d’honneurs qu’il nous fait."

Des classes défense qui interrogent l’enseignant

 

Dans cette "feuille de chou", en octobre 2023, l’enseignant brestois s’étonnait de l’apparition des Classes défense sécurité globale. "Après les attentats de 2015, explique l’article, un protocole a été signé entre le Ministère de l’Education nationale et celui de la défense". Des militaires sont donc appelés à venir dans les salles de classe pour enseigner aux élèves les principes et valeurs de la République.

Le professeur persiste et signe : "C’est un article qui questionne la légitimité des policiers et des gendarmes à intervenir devant nos élèves. Je considère qu’en tant qu’enseignant cela fait partie de nos missions".

Lire : "Liberté, égalité, laïcité", quand l'école redonne du sens aux valeurs de la République et à la laïcité

Et il s’étonne, "l’éducation civique, ce n’est pas forcément à des gens en uniforme de s’en occuper et de faire quelque chose qui pourrait être assimilé à une forme d’endoctrinement ou de militarisation. C’est avant tout aux enseignants de travailler avec les élèves sur ces questions qui sont importantes."

Une forme de militarisation de la jeunesse ?

 

Olivier Cuzon fait le lien avec le Service national universel que le ministère souhaite étendre à l’ensemble d’une classe d’âge. Il y voit une volonté d’une forme de militarisation de la jeunesse. "Ces 15 jours où les élèves font le lever du drapeau, apprennent à tirer, pourraient être pris sur du temps scolaire. Nous, on pense que ces 15 jours à l’école sont au moins aussi importants que 15 jours pour aller faire un petit service militaire dans les casernes."

Il rappelle que dans tous les cours, les enseignants abordent les notions d’instruction civique, d’éducation à la citoyenneté, de valeurs de la République. "On n’a pas besoin de policiers ou de militaires dans les écoles pour ça. On remet en cause leur légitimité, ils ne sont pas formés pour cela. Ils sont formés pour d’autres missions, qui sont toutes aussi importantes, mais pas pour des missions d’éducation auprès des élèves."

Entendu pendant une heure par les policiers

Une remise en cause qui n’aurait donc pas été du tout au goût du ministre de l’Intérieur, mais c’est surtout le paragraphe sur des dérives des membres des forces de l’ordre qui l’aurait fait sortir de ses gonds. Il y est écrit : " Ce questionnement est important quand on connaît la culture droitière, misogyne et homophobe sous de trop nombreux képis. Les enquêtes de Médiapart révélant l’existence de groupuscules nazis dans certaines casernes, les groupes de discussions racistes des policiers et gendarmes, ou la participation récente de militaires en civil à la répression des dernières émeutes de banlieues ne plaident pas en faveur du républicanisme des militaires."

Sollicité, le cabinet du ministre explique que "l' auteur de cet article accuse des militaires de la gendarmerie nationale d'appartenir à des "groupuscules nazis", de participer, ainsi que des policiers, à des "groupes de discussions racistes " et leur attribue une culture"misogyne" et "homophobe". De telles allégations ou imputations sont de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de l'ensemble des militaires de la gendarmerie nationale et des fonctionnaires de la police nationale", et justifie la plainte, "ces propos rendus publics caractérisent le délit de diffamation publique à l'encontre des administrations publiques de la gendarmerie nationale et de la police nationale, délit prévu et réprimé par le premier alinéa de l'article 29 et l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse."

Lire : Violences urbaines à Lorient. Gérald Darmanin reconnait que des militaires "ont prêté main-forte" aux forces de l'ordre

Olivier Cuzon a été entendu pendant plus d’une heure par les policiers. "La plainte voudrait laisser penser qu’on s’attaque à l’institution, s'agace-t-il. Ce n’est pas le cas de l’article qui cible un certain nombre de dérives individuelles, racistes, sexistes ou homophobes. C’est un travail qui a été documenté par des journalistes, des sociologues et on ne fait que rapporter quelque chose qui existe."

Lire : Rennes : commission de discipline pour des policiers ayant tenu des propos racistes, homophobes et sexistes

"Je trouve particulièrement dommage que le ministre, au lieu d’essayer de faire le ménage et de faire la chasse à ces groupuscules qui entachent l’image de la Police, s’attaque à des syndicalistes qui dénoncent des faits qui sont avérés et connus."

Atteinte à la liberté syndicale

Le procureur de la République de Brest devra décider de poursuivre l'enseignant ou de classer la plainte du ministre de l'Intérieur. Mais quoi qu’il arrive, pour Olivier Cuzon, le mal est fait. Il parle d’atteinte à la liberté syndicale et de pressions.

"On a tendance à penser que le ministre de l’Intérieur a d’autres chats à fouetter. C’est déstabilisant de se voir infliger une plainte par le ministre de l’Intérieur, on se demande ce qu’on a fait de vraiment très mal pour subir cela."

"On cherche à faire taire une liberté de parole syndicale alors que c'est un pilier de notre démocratie. On voudrait nous empêcher de parler de choses qui fâchent. Et au-delà de cette atteinte aux libertés fondamentales, c’est un petit coup de pression. On utilise la diffamation comme une arme pour faire taire des syndicalistes, parce que c’est vrai que la prochaine fois qu’on rédigera un article, on aura forcément ça en tête, comme une épée de Damoclès, en se disant, mais attention, là, est ce que je ne vais pas être attaqué".

"On a l’impression qu’il y a une police politique qui cherche à museler un peu une presse libre. C’est une presse d’opinion la presse syndicale, mais on ne s’en cache pas, elle a le mérite d’exister et ça fait partie des grandes libertés constitutionnelles."

"On ne se laissera pas intimider, on ne va pas se laisser faire, on va se bagarrer parce qu’on tient à ces libertés et ce n’est pas un ministre qui fait la loi en France, j’ai toute confiance dans la justice de mon pays et à l’Etat de droit pour que les faits soient rétablis et que justice soit faite."  

De nombreux soutiens

Le syndicaliste a reçu de nombreux soutiens, politiques, associatifs. La Ligue des Droits de l’homme de Brest Métropole évoque une atteinte à la liberté de la presse. Pierre Bodenez son président n’hésite pas lui aussi à parler de "coup de pression" et de "risque d’autocensure."

Un contexte liberticide

Olivier Cuzon ne cache pas une certaine inquiétude. "Il y a une dérive liberticide dans ce pays, déclare-t-il. Dans la semaine, un syndicaliste de la CGT du nord de la France a été condamné pour un tract sur la Palestine, des meetings sont interdits, des libertés associatives sont remises en cause par des subventions qui sont supprimées du jour au lendemain parce que le discours de telle ou telle association ne plaît pas, regrette-t-il. On sent un Etat qui veut s’immiscer de plus en plus dans la vie associative, dans la vie syndicale et qui aimerait bien que les associations soient plus le doigt sur la couture du pantalon."

Mais il l’affirme, cela ne sera pas le cas. "On garde notre liberté, ça fait partie des libertés fondamentales et on se bagarrera pour les faire vivre. "

(avec Florence Malésieux)

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