Jean le Cam s'apprête à boucler son 6ᵉ Vendée Globe. Il est resté tout au long de la course "dans le coup", au point de mener pendant plus de 65 jours la flotte des bateaux à dérives. Et jusqu'à l'arrivée, il pourrait encore nous réserver des surprises. Ses proches et le médecin de la course analysent cette longévité.
Ce n'est sans doute pas un hasard si Jean le Cam s'est vu attribuer le surnom de "Roi Jean" à la fin des années 90, du temps de ses nombreuses victoires dans l'une des courses au large les plus mythiques, la Solitaire du Figaro.
Vingt ans nous séparent de sa 1ʳᵉ participation au Vendée Globe, c'était en 2004. Depuis, à chaque édition, Jean le Cam n'a jamais rien lâché, y compris pour sauver sa peau lorsqu'il chavire en 2009 ou pour être lui-même sauveteur en 2021 lorsqu'il récupère Kevin Escoffier dans un canot de survie.
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La retraite ? Impossible.
À 65 ans passés, il s'est donc engagé pour la 6ᵉ fois sur le Vendée Globe, et personne n'aurait osé l'arrêter. Son ami de longue date et ancien coureur au large Jacques Caraes nous le confirme :
Dire à Jean de prendre sa retraite, c'est quelque chose d'impossible. Il aime toujours innover et il aime être en mer. On ne peut pas lui retirer ça.
Jacques Caraes
La confiance est forte entre Jean Le Cam et Jacques Caraes, longtemps directeur de course du Vendée Globe et aujourd'hui adjoint :
"Sur cette dernière édition du Vendée Globe, il a toujours appelé sur mon téléphone personnel, jamais sur le téléphone de la direction de course. Ça, c'est Jean" raconte en riant Jacques Caraës avant de nous livrer son analyse sur les capacités impressionnantes du marin.
"Jean est toujours dans le coup, grâce à son incroyable connaissance de la course au large. Il sait mesurer son effort et calcule les choses pour ne jamais faire une manœuvre de trop. Il en fait deux fois moins que certains marins. Il parvient à ne jamais se mettre dans le rouge, même si sa préparation physique par rapport à d'autres concurrents n'est pas une priorité. Il est à l'aise partout. Quand je l'ai vu grimper au mat à plusieurs reprises durant ce Vendée Globe, je peux dire qu'il m'a impressionné. On aurait dit qu'il était seulement à deux mètres de haut."
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Un sens marin "hors norme"
Jacques Caraes pourrait parler pendant des heures des qualités multiples et du sens marin "hors norme" de Jean le Cam, comme ces routes "tendues et directes" que l'on observe en regardant le parcours du doyen de la flotte.
"Il a des qualités de stratège indéniable. Le don de Jean, c'est de faire des degrés supplémentaires, en étant toujours dans la performance. Ses routes sont toujours très tendues, cela veut dire qu'il parvient à descendre très bas dans le lit du vent en restant rapide".
Polyvalence et autonomie
Le navigateur Bernard Stamm, ami de Jean, a, lui aussi, été en contact durant le Vendée Globe avec le marin. Pour Stamm, l'un des secrets de Jean le Cam concernant cette longévité réside dans sa polyvalence et son autonomie.
"C'est un vrai technicien. Il aime bricoler. Il sait quasiment tout faire tout seul. Il est très impliqué dans la préparation du bateau, plus que dans sa préparation personnelle. C’est un pragmatique, il va à l’essentiel tout de suite et n’aime pas s’encombrer du superflu. Comme il a pensé et construit son bateau, il a fait en sorte de minimiser au maximum les efforts et il le connaît de fond en comble."
Comme il a pensé et construit son bateau, il a fait en sorte de minimiser au maximum les efforts.
Bernard Stamm
Bernard Stamm ne manque pas de rappeler au passage le côté redoutable de Jean le Cam dans le "petit temps", "il ne s'énerve pas, ce qui est un atout considérable pour rester lucide et trouver les solutions les plus efficaces".
Un marin "dur au mal"
Anne le Cam qui vit aux côtés de Jean depuis ses débuts en Vendée Globe évoque la capacité du marin à rebondir :
Quand un imprévu lui tombe dessus, il ne va pas ruminer pendant des heures. Il sait faire le deuil des choses pour avancer. Il est d'une patience incroyable
Anne le Cam
Elle poursuit l'entretien en évoquant la force mentale de son compagnon : "Il ne se plaint jamais. Lors du précédent Vendée Globe, je voyais bien qu'il avait un souci à l'œil, mais Jean fait en sorte d'enfouir ses problèmes physiques. Il est vraiment dur au mal."
Un témoignage que l'on peut recouper avec ce constat : durant le Vendée Globe 2024-2025, Jean le Cam n'a jamais fait appel au service des médecins de la course, contrairement à la très grande majorité des marins engagés dans le tour du monde en solitaire.
Laure Jacolot, l'un des quatre médecins de la course (qui précise bien ne pas être proche de Jean), raconte : "Plusieurs choses peuvent expliquer l'absence de sollicitation de Jean. Il a énormément d’expérience, il se gère très bien tout seul et il a eu, avec tous les Vendée Globe qu'il a courus, beaucoup de formations médicales. Il a toujours pris cela très au sérieux et je l'ai vu à chaque stage parler avec les autres marins de cas concret qu'il a eu à gérer tout au long de sa carrière. Cela plaît beaucoup aux bizuths de la course (ceux qui participent pour la première fois NDLR)."
Au-delà de cette expérience et bien qu'elle précise qu'aucun test ne permet de le vérifier, la médecin de course voit chez Jean le Cam des capacités physiologiques peu communes et une capacité de récupération très élevée :
"Jean sait parfaitement placer le curseur pour sa récupération. C'est un facteur très important pour la prévention de tous les traumatismes, mais aussi d'autres pathologies comme les problèmes digestifs que l'on a pu observer sur ce Vendée Globe. Quand on n’est plus à l’équilibre, en dette de sommeil, il y a des répercussions sur les sécrétions hormonales qui régulent le métabolisme. Jean sait se préserver de tout cela".
Le médecin et Anne Le Cam sont d'accord sur l'importance que Jean accorde aux "aliments plaisirs" durant sa course, ce qui est loin d'être un détail pour trouver un élément de réponse à "l'énigme Jean Le Cam" en matière d'endurance.
"Il a beaucoup de beurre à bord"
Le réalisateur Xavier Beauvois, qui admire depuis longtemps le marin et qui l'a fait participer à son dernier film "La Vallée des fous" complète cette théorie : "Sur la nourriture, il aime embarquer des choses à cuire, pour avoir l’odeur et que cela lui remonte le moral. Il a beaucoup de beurre à bord, ce qui n'est plus très commun chez les marins de course au large" ajoute en riant Xavier Beauvois.
Le réalisateur et le marin s'apprécient. Xavier Beauvois a eu l'occasion et "la chance" de naviguer à une ou deux reprises avec Jean. Il poursuit son récit:
Jean le Cam, c'est un extraterrestre. On sait qu'en mer, c'est une emmerde par jour et lui, il semble ne jamais perdre le plaisir. Il suit son instinct. Il est très malin. Je ne le vois pas raccrocher le ciré...Il va continuer la course au large
Xavier Beauvois
À la question "Jean le Cam serait-il prêt à retourner sur un Vendée Globe ? " tous sourient. Et alors que le roi Jean tire ses derniers bords à quelques milles de l'arrivée, son ami Jacques Caraes n'hésite pas à nous confier cet élément de course, essentiel sans doute pour comprendre le marin doyen de la flotte :
"Je pense que ce n’est pas fini. Il est encore dans une "sur énergie" et pourrait bien chercher à rattraper quelques-uns de ses concurrents. Jusqu’au bout, il va régater, ça l’amuse beaucoup".
Et Jean Le Cam pourrait bien franchir la ligne d'arrivée dès ce lundi soir, au bout de 85 jours de course.
Une arrivée que vous pourrez suivre en direct, sur le site de France 3 Bretagne, sur France.tv, sur Youtube et sur Facebook.