Pour la première fois, le musée de Pont-Aven dans le Finistère expose une artiste contemporaine. Corinne Vionnet explore depuis 20 ans notre relation aux images numériques. Notre perception de la réalité serait-elle standardisée par les photographies répétées à l'infini sur le web ?
De loin, on pourrait penser à des peintures impressionnistes. Pourtant aucune trace de peinture à l’huile ni d’acrylique. Les tableaux de Corinne Vionnet sont des superpositions d’images numériques d’un même lieu touristique, glanées sur la toile. Les clichés sont ensuite empilés en transparence, calqués par centaines les uns sur les autres. Pour parvenir à l'atmosphère floue d'un paysage mille fois photographié.
J'utilise les images comme une palette de peinture.
Corinne VionnetArtiste
Pourquoi photographions-nous sous le même angle, avec le même cadrage, la Tour Eiffel, la pointe de Pen Hir ou Monument Valley ? Comment se fait-il que nous connaissions le Taj Mahal sans y être jamais allés ?
Corinne Vionnet ne prétend pas apporter une réponse définitive à ces interrogations. L'artiste explore depuis vingt ans le flux infini des images de sites touristiques publiées sur le Net. Elle collecte ces clichés par milliers pour parvenir à un seul tableau photographique. L'aspect final de ces superpositions rappelle la peinture impressionniste. "Cette connotation à la peinture m'interpelle" reconnaît l'artiste.
On fait des photos sans même le voir, ça fait une sorte de masque ou de barrière entre le lieu et nous. On n'interagit plus avec le lieu mais avec une image du lieu.
Corinne VionnetArtiste
Sa démarche remonte à un voyage en Italie à Pise en 2005.
"Lorsqu'on va à Pise, on va voir la tour de Pise. Et on a tous tendance à faire la même photo du même lieu", raconte Corinne Vionnet.
De retour chez elle en Suisse, l'artiste observe les images de la tour de Pise publiées sur internet. Il y en a des centaines. Toutes se ressemblent.
"Je me suis demandé pourquoi on a besoin de faire ces images. Pourquoi on tente de faire une image que tout le monde connaît ? Puis de la partager sur les réseaux ?" explique l'artiste franco-suisse.
60 000 photos prises chaque seconde dans le monde
Comment voyage-t-on ? Quel est notre rapport aux images ? Que fait-on de toutes ces images ? L'artiste nous invite à une réflexion sur le partage et la répétition des images à l'heure du numérique, des réseaux sociaux et du tourisme de masse.
"Il y a 60.000 images dans le monde qui sont faites par seconde. Et 95% seraient faites avec un smartphone. Le problème c'est que je vais toutes les voir !", plaisante l'artiste.
Se basant sur des statistiques touristiques, Corinne Vionnet a choisi quelques-uns des lieux les plus emblématiques du tourisme mondialisé, du Taj Mahal au Mont Fuji, en passant par les pyramides d'Égypte ou le Parthénon d'Athènes.
"La démarche nous a séduites" explique Camille Armandary, responsable des expositions au musée de Pont-Aven, "mais il y a aussi l’esthétisme de son travail qui nous a semblé intéressant, il fait écho à nos collections, aux questionnements que les artistes de l’école de Pont-Aven ont eus ici".
Pour cette première exposition d'art contemporain dans ce musée consacré à l'école de Pont-Aven (Paul Gauguin, Émile Bernard, Paul Sérusier...), la volonté était d'exposer une œuvre à la fois accessible et qui soulève aussi des interrogations selon Sophie Kervran, directrice du musée.
Ecran Total. Une exposition à découvrir au musée de Pont-Aven jusqu'au 4 mai 2025
(Avec Gwénaelle Bron et AFP)