Il y en a qui ferment, d'autres qui ouvrent. Le marché des brasseries artisanales ne cesse d'être en évolution. Sont-elles trop nombreuses ? La question fait débat depuis plusieurs années en Bretagne. À la fête des bières bretonnes de Landrévarzec (Finistère) nous avons posé la question à trois brasseurs. Selon eux, le débat n'est pas sur le nombre de brasseries, mais plutôt sur les marchés à conquérir.
Combien sont-elles exactement ? Pas si simple à savoir. Alors qu'elles étaient une centaine au début du siècle, il y a eu une explosion des brasseries artisanales dans les années 2010. Elles étaient 150 en 2019 et 260 en 2023 selon le site collaboratif bieresbretonnes.fr (où peuvent se signaler tous les brasseurs des cinq départements de la Bretagne historique, NDLR).
Mais les dernières années ont été difficiles pour de nombreuses entreprises. Les hausses du prix des céréales, du prix de l'énergie et de celle du verre ont mis à mal les trésoreries. Certaines brasseries indépendantes ne s'en sont pas sorties et ont dû mettre la clef sous le fût. Pour autant, de jeunes amoureux du breuvage ou des moins jeunes en reconversion professionnelle se sont lancés dans l'aventure et ont ouvert de nouvelles brasseries indépendantes, présentant de nouvelles saveurs houblonnées.
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Trouver sa place
Une de nos équipes (Enora Quellec et Bleuen Leborgne) s'est rendue ce week-end à la 8ᵉ édition de La fête des bières bretonnes à Landrévarzec pour avoir l'avis de brasseurs sur le nombre trop important ou pas de brasseries en Bretagne.
Sur place, le chiffre que notre équipe a pu recueillir auprès des participants est celui d'environ 300 brasseries indépendantes en Bretagne historique. Un chiffre qui peut sembler conséquent, mais qui ne doit pas faire oublier qu'en France, 16 industriels font 90% des ventes de bières.
Les trois brasseurs que notre équipe a interviewés sur ce salon ont tous des vécus et des arguments différents, mais un discours commun : ce n'est pas le nombre de brasseries qui pose problème, mais la concurrence des industriels auxquels ils veulent prendre des parts de marchés. Reste juste à chacun "de trouver sa place" en jouant surtout sur la diversité des goûts.
Voici donc les avis de ces trois brasseurs.
Antonin Gourdault-Montagne, directeur de production de la brasserie Smash à Rennes
Ouverte depuis un peu plus d'un an, la brasserie Smash est sur un secteur géographique, la métropole rennaise où il y a plus de 25 micro-brasseries, avec des ouvertures qui continuent d'être d'actualité.
Depuis que nous on a ouvert, il y a quatre nouvelles brasseries qui ont ouvert.
Antonin Gourdault-MontagneDirecteur de production de la brasserie Smash
Pour ce brasseur, le point fort, c'est que le marché existe bien en Bretagne et permet de nouvelles aventures brassicoles : "En Bretagne, les gens ont envie de boire de la bière. Et les gens ont envie de boire de la bière locale. Du coup, on peut continuer à ouvrir de nouvelles brasseries, je pense, parce que c'est un marché qui continue de fonctionner. De toute façon, depuis que nous on a ouvert, il y a quatre nouvelles brasseries qui ont ouvert. Et pourtant, on ne se marche pas dessus du tout".
Et d'enfoncer le clou : "Il y a de la place pour tout le monde, et on se soutient, on fait des collabs, on se donne des tips (conseils, ndlr) tout le temps. Et on est dans la même ville. Franchement, en Bretagne, c'est l'endroit pour ouvrir une brasserie, pour le coup".
Quand ce brasseur s'est lancé, il s'est associé à un patron de bars de l'agglomération, de manière à vendre sa production dans ces établissements, un plus pour démarer selon lui : "Alors, nous, on a la chance d'avoir déjà des bistrots. Après, l'idée, c'est de ne pas vendre que dans nos bistrots. On essaie d'aller ailleurs. C'est pour cela qu'on fait des salons, c'est pour se faire connaître. Là, on est à Landrévarzec, mais le mois prochain, je suis à Amiens, ensuite à Saint-Malo, ensuite à Bordeaux. Et on fait des salons partout".
Comme les deux autres brasseurs rencontrés, il insiste sur le fait que la création de nouvelles bières est indispensable : "Nous, notre truc, c'est d'inventer des nouvelles recettes en permanence. Donc, on a une gamme permanente de 6 bières et on en a 5 éphémères par mois. En un an, on a créé 70 recettes différentes. Et je pense qu'en 2025, on va en faire une centaine de plus. C'est ça notre ligne de conduite. C'est toujours de se réinventer, se réinventer, se réinventer".
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La concurrence, elle existe bien pour Antonin Gourdault-Montagne mais elle se situe surtout au niveau des industriels : "Les difficultés, ce sont les distributeurs et les gros industriels. En vrai, ce ne sont pas les autres brasseries artisanales. C'est Heineken, Kronenbourg et tous ceux qui, en fait, ont les moyens de venir voir des petits bars et de faire ce qu'on appelle un contrat brasseur et de leur donner beaucoup d'argent en échange. En fait, quand tu ouvres un bar, tu as besoin d'argent. Eux, ils arrivent avec de l'argent et après, ils les ferrent pendant des années. Alors que nous, on n'a pas les moyens de leur donner de l'argent. Par contre, on leur vend de la bonne bière à un bon prix. Mais sur le moment de l'ouverture, quand on leur signe un gros chèque, ça fonctionne. Le problème, ça reste les industriels".
Pour ce brasseur, le constat est partagé par la majorité des brasseurs indépendants : "Tous ici, on se bat contre les industriels. C'est pour ça qu'il n'y a pas de concurrence entre brasseries artisanales parce qu'on se soutient tous contre les industriels".
Smash a misé aussi sur la différence en privilégiant la canette comme contenant. La petite entreprise qui comptait deux salariés il y a un peu plus d'un an, en a maintenant sept pour une production de 3 800 hectolitres.
Julien Plégades, gérant de la brasserie "L'Urbaine"
Ouverte il y a sept ans, la brasserie "L'Urbaine" est installée en plein centre-ville de Brest, emploie deux personnes "et demi" et a produit 400 hectolitres en 2024.
Pour Julien Plégades, le gérant et fondateur de la brasserie, le discours est plus nuancé sur la venue de ces nouvelles brasseries. "On part toujours du principe que quand une nouvelle brasserie se crée, elle va apporter de nouveaux clients. L'idée, c'est de propager l'amour de la bière artisanale. Potentiellement, quand une brasserie va s'installer, elle va amener des personnes à découvrir la bière artisanale. Les gens qui consomment de la bière artisanale ne boivent pas qu'une seule bière d'une brasserie. Ils vont goûter un peu partout. Ces deux dernières années, il y a eu beaucoup de brasseries qui se sont créées. On sent chez les cavistes que c'est un peu plus compliqué. Les étagères ne sont pas extensibles. Ils ont tendance à prendre un peu moins de références pour chaque brasserie".
L'un des défis est de garder sa place sur le marché. Et pour cela, il faut "aller chercher des bières incongrues ou qui changent de l'ordinaire, qui permettent de faire parler de nous et de se démarquer".
Se démarquer par les saveurs, mais aussi multiplier les marchés : "Il ne faut pas se limiter à la bouteille, mais faire du fût pour les bars, travailler avec les restaurants".
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Lucie Kerdevez, salariée-associée de la brasserie Tri Martolod
La brasserie Tri Martolod existe depuis 25 ans, d'abord à Bénodet puis à Concarneau, avec "des hauts et des bas" comme le dit Lucie Kerdevez, salariée-associée de la brasserie.
L'objectif pour la brasserie, afin de continuer à exister, c'est d'étoffer sa gamme pour les clients : "On a commencé avec des bières traditionnelles, de type allemande", des blondes, des brunes, des rousses et des blanches. Puis la société a suivi les tendances : "On voit aussi le monde de la bière qui évolue en France. On prend le train en marche, on a plusieurs références. On a fait des IPA, des doubles IPA, des bières acides, des bières noires".
Mais là aussi, la brasserie cherche à se distinguer par des saveurs uniques : "On arrive à avoir des recettes qui sont assez uniques. Par exemple une bière qu'on brasse avec du chanvre, qui nous est fournie par notre chanvrier à Quimper. C'est une bière assez unique, parce qu'on met beaucoup de chanvre dedans, on y met des pellets, et ça fait une bière vraiment très aromatique et un petit peu particulière".
L'un des enjeux de Tri Martolod est de réduire les coûts : "Depuis 2-3 ans, les coûts de l'énergie ont beaucoup augmenté. Pour pallier un petit peu à ça, on a fait quelques modifications au niveau de la salle de production qui vont nous permettre de faire des économies d'énergie".
Quant à la concurrence des autres brasseries, ce n'est pas un problème pour Lucie Kerdevez : "Non, ce n'est pas une concurrence, c'est plus de l'inspiration. En général, nous, ce sont plutôt les copains brasseurs que de la concurrence. D'ailleurs, dans notre magasin, on vend nos produits, mais on vend également quelques bières des brasseries du coin, avec lesquelles on s'entend bien et dont on aime les produits".
C'est plus des bières de dégustation que des bières de soif.
Une amatrice de bières
Les 18 brasseurs présents sur le salon de La fête des bières bretonnes ce week-end peuvent compter sur leurs clients fidèles. Des clients convaincus du succès de ces brasseries artisanales, comme cette dame venue avec son conjoint : "On est sur des produits de qualité avec des choix très différents et très assumés. C'est plus des bières de dégustation que des bières de soif. Ce n'est pas le côté désaltérant qu'on cherche, mais la dégustation".