Un après-midi par mois, les salariés et les retraités de PSA vendent leur voiture achetée à prix d’usine, à des particuliers. Une tradition qui perdure sur le parking du site, l’enthousiasme en moins.
Emmitouflés et groggys par le froid, ils attendent l’acheteur, parfois à l’abri dans leur voiture mise en exposition. Sur le parking de l’usine, ouvert aux quatre vents, les salariés et retraités de PSA se sont donnés rendez-vous pour exposer leur véhicule en vente. Chaque premier samedi du mois, le comité d’entreprise (CE) de PSA Rennes-La Janais organise la vente de voitures collaborateurs. Une initiative propre au site breton, qui perdure depuis près de 25 ans et qui est devenue une institution.
Depuis 1983, année de son embauche à PSA, Michel Douabin a roulé avec plus d’une centaine de voitures différentes. « J’ai toujours un véhicule neuf, sans frais, et je peux essayer tous les modèles. » Son visage rondouillard et rougi par le froid s’illumine quand il parle de ses voitures. « Je suis devenu passionné », confie-t-il. « J’ai vendu ma DS3 ce matin, elle brillait certainement plus que si elle avait été dans une concession ! » Son autre véhicule mis en vente, une 508 SW blanche, intérieur cuir, toutes options, est nickel chrome. Michel Douabin est là tous les samedis, en tant que membre du CE. Les ventes aux particuliers font son affaire, même s’il ne parvient pas toujours à maintenir son capital de départ.
Ils s’appellent les « collaborateurs » de PSA. Ces salariés et retraités ont l’avantage de pouvoir acheter une Peugeot ou une Citroën neuve, deux fois par an, quatre s’il sont mariés, au prix d’usine ultra compétitif. A la remise structurelle de base de 16,5 % s’ajoutent des primes en fonction du marché. Comme Michel Douabin, certains en font un vrai commerce, renouvelant tous les six mois leur véhicule, tout en gardant leur capital de départ. En 2012, 2800 véhicules ont été directement vendus de l’usine aux collaborateurs. C’est moins qu’en 2011 (3500 ventes) mais la pratique reste très ancrée dans les mœurs de l’entreprise.
« L’ambiance est plus froide »
Les journées de ventes sont l’occasion de se retrouver : Entre collègues, entre anciens. Jean-Claude Bodiguel est retraité depuis 2006, après une carrière à PSA, dont 28 ans au comité d’entreprise. Il continue de participer aux ventes, pour « revoir les copains », même si l’ambiance a bien changé, devenue « plus froide », selon les mots de son ami Michel Douabin. « Avant, on organisait des buffets, des tombolas avec des gros lots comme des caméscopes. Les salariés venaient avec leur famille, les enfants, c’était très convivial. Et y’en avait de la bagnole ! » se remémore fièrement le jeune retraité.
Au début des années 1990, les ventes aux particuliers avaient lieu seulement trois fois par an, pendant tout un week-end. « Il y avait des centaines de bagnoles, si bien qu’on les exposait par catégories ! » s’exclame Jean-Claude Bodiguel. Chaque premier samedi du mois, entre 150 et 180 voitures sont mises en vente, surtout des Citroën. « 70 à 75 % des ventes sont orientées vers cette marque. La tradition Citroën perdure », observe Arnaud Sénéchal, le responsable des ventes collaborateurs. A la tête d’un service spécialement dédié à ces transactions, composé de sept personnes, il analyse la pratique. « Un tiers de la clientèle est retraitée, car même s’ils ont quitté l’entreprise, ils restent ayants droit à vie. Certains n’ont connu que Citroën ici et ont le chevron dans le cœur. Ils sont très précautionneux avec le véhicule pour pouvoir ensuite le revendre. Ils ont l’impression d’appartenir à PSA. »
Une pratique réglementée
Les ventes collaborateurs sont connues dans tout le Grand Ouest. Le budget du CE ayant fortement diminué, l’heure n’est plus aux cotillons ni à la fête. La presse locale ne relaie plus l’information, seuls les habitués restent fidèles au rendez-vous. Les acheteurs sont d’ailleurs beaucoup moins nombreux que les vendeurs PSA, rassemblés par petits groupes pour discuter. Ce samedi, le froid écourte les négociations entre collaborateurs et particuliers. Certains acheteurs potentiels se contentent seulement de prendre les coordonnées des propriétaires des véhicules qui les intéressent. Marie-France Goudet, 64 ans, retraitée de PSA depuis 2009, viendra tous les premiers samedis du mois jusqu’en juin pour espérer vendre sa Citroën C3, achetée à l’usine en janvier dernier. Elle doit respecter le délai de garde de six mois, en deçà duquel elle s’expose à des sanctions.
L’entreprise veille au grain sur ce commerce. Les ventes sont encadrées par un règlement strict, autrefois géré par les ressources humaines, aujourd’hui par le service voiture de l’entreprise. « Le collaborateur est libre de fixer son prix de vente, mais celui auquel il a acheté sa voiture est confidentiel » souligne Arnaud Sénéchal, du service voiture. « Les sanctions sont appréciées par les ressources humaines. Des collaborateurs peuvent être exclus à vie des ventes ou contraints de rembourser l’avantage qu’ils ont eu à l’achat. »
Une buvette est improvisée à l’arrière d’un camion, au bout du parking et tenue par les membres du CE. Les vendeurs s’y réchauffent autour d’un café. Didier Guérin, employé au ferrage depuis 1976, vend pour mille euros moins cher que le prix d’achat sa Peugeot 3008 mais apprécie de pouvoir « rouler avec un véhicule neuf quasiment gratuitement ». C’est l’une des premières fois qu’il participe à la vente. Aujourd’hui, il sait que si l’usine est vouée à la fermeture, ces ventes s’arrêteront. Le personnel qui choisit le plan de départs volontaires n’a plus le droit, à terme, d’accéder à ces ventes privilégiées. Avec les mesures qui pèsent sur l’emploi, le cercle des « collaborateurs PSA », qui représente 115 à 120 000 personnes en France, risque de sérieusement se restreindre. Et les ventes de disparaître.