Maude Lacarte, directrice d'école, désirait rendre les élèves, les enseignants et les parents heureux. Elle voulait que tous travaillent dans de bonnes conditions. Un objectif compliqué à atteindre. Ses 70 heures d'effort par semaine ne suffisaient pas à gérer les situations compliquées. Sa vie privée n'existait plus. Sa vie n'avait plus de sens. Et pour sauver sa peau, elle a tout quitté pour ouvrir une boutique. Rencontre.
Envahie, épuisée, elle étouffait sous le poids des responsabilités, prisonnière d’un système trop rigide. Inexorablement, elle se sentait couler. "Je portais 500 personnes tous les jours sur mes épaules, cherchais à satisfaire tout le monde, mais n'y arrivais pas. Il fallait que je construise quelque chose qui me ressemble. C'était une question de survie, pas de courage." Elle se tourne alors vers la BGE 35, une association qui l'aide à créer son entreprise.
"Depuis longtemps, dans un petit coin de ma tête, je rêvais d'ouvrir une boutique de décoration d’intérieur." Cette envie date d'une expérience en tant que fille au pair en Allemagne à l’âge de 18 ans. "J'avais été séduite par l'attention que les gens portaient à aménager leur intérieur, notamment leurs rebords de fenêtres. Contrairement à la France, les boutiques de décoration y étaient nombreuses et j'adorais y passer du temps".
L'absolue nécessité de bouger la ramène à ce vieux rêve enfoui. À 45 ans, le temps était venu pour elle de se lancer.
Le parcours
Mais le parcours n'est pas de tout repos. Pour prétendre à une rupture conventionnelle de la part de l'éducation nationale, elle doit présenter un business plan. Alors, en parallèle de son métier, accompagnée par la BGE, elle prépare, un an durant, son projet. Elle se surprend à trouver des ressources qu'elle n'imaginait pas avoir en elle et obtient son licenciement à l'amiable.
Je voulais trouver un autre confort de vie sur le plan émotionnel, intellectuel et relationnel, avoir la satisfaction personnelle d'un travail accompli par moi-même.
Maude Lacarte
"Ma vie aujourd'hui me ressemble, rien ne pourrait me plaire davantage que ce que je fais actuellement" poursuit-elle. Un membre de la BGE lui dira : "Ton parcours est bien plus qu'une reconversion professionnelle, tu as créé une entreprise unique et à ton image". Aujourd'hui, avec du recul, elle se rend compte de la ténacité et de la persévérance dont elle a fait preuve. Elle dit se sentir très fière d'elle-même.
"Cette boutique est le fruit de mon travail et ça, personne ne pourra me l'enlever."
Son projet démarre avec la signature du bail de son local. Une première visite et un gros coup de cœur." Même si c'est étroit et que je joue tous les jours à Tétris, je n'ai aucun regret." L'emplacement hyper centre de Rennes, le métro à deux pas et la forme atypique du local lui plaisent. La petite surface l'empêche d'exposer beaucoup de meubles. Son garage en déborde. Cette contrainte, un obstacle ? Pas vraiment. Pour y remédier, elle redouble de créativité, prend cela comme une chance pour mettre à profit sa fibre artistique.
Créer l'âme de la boutique
Les bouquets de fleurs séchées, c'est elle, les bougies dans les tasses en porcelaine et les serviteurs muets créés à partir d’assiettes chinées, c’est elle, l'agencement de la boutique, l’approvisionnement en produits chinés et la sélection des produits neufs, la mise en avant, c'est elle aussi.
L'émotion, passe par tous les objets. Rien n'est fait, ni choisi au hasard.
Maude Lacarte
Le lieu est unique, l'atmosphère y est chaleureuse. On entre dans un jardin d'objets dont la mise en scène crée des coins et des recoins. Là, vous vous imaginez boire un thé, de la vaisselle ancienne est dressée sur une petite table ronde surplombée d'une nappe de lin brodée, un peu plus loin, vous faites face à un vaisselier qui croule sous divers objets dont vous ne soupçonniez pas l'existence ni l'utilité et quelques pas plus loin vous voilà plongé dans une grosse caisse à consulter des gravures anciennes, ainsi que des illustrations contemporaines. La lumière est douce, les créations d'une abat-jouriste rennaise colorent l'atmosphère. On entend le bois craquer. Les objets neufs s'entremêlent à la décoration vintage. "Les objets anciens apportent du cachet. Ils ont une âme, une histoire passée, originale, authentique. Je mange tous les jours dans les assiettes de mes grands-mères, Etiennette et Joséphine, nom de ma boutique, et je pense à elles tous les jours" confie-t-elle.
Une boutique qui ne sert à rien, mais qui rend heureux
"Je dis souvent que je tiens une boutique de choses qui ne servent à rien, mais au final tout cela rend heureux". Elle ne s'attendait pas à recevoir une clientèle aussi large. Dans son business plan, elle avait ciblé des citadins âgés entre 30 à 50 ans, finalement, elle reçoit une clientèle bien plus large allant de 16 à 99 ans. À cette agréable surprise s'ajoutent tous leurs retours positifs. De nombreuses personnes lui témoignent prendre plaisir à flâner chez elle. Elles ont la sensation de faire un petit voyage hors du temps, nous relate-t-elle.
"J'ai fait un bond dans le passé, j'ai revu des choses de chez ma grand-mère, je suis ému, j'ai envie de pleurer" exposent certains. Des personnes âgées aux armoires déjà bien achalandées viennent toutes les semaines voir ce qu'elle a de nouveau. Quant aux jeunes, ils sont sensibles aux choses qui ont vécu, et auxquelles on propose une seconde vie. Ils ont à cœur de consommer de façon responsable, éthique et locale. Ils choisissent les objets de façon très ciblée, cherchent le cadeau précis qui va faire plaisir.
Des objets, des rencontres
Trouver des choses anciennes n'est plus très facile. "Au départ, j'ai eu des ratés, puis j'ai appris à chiner" avoue-t-elle. Lors de vide-greniers, elle apprend à reconnaître les différentes matières, la provenance de leur manufacture, et ainsi à détecter les objets qui ont de la valeur. Un dimanche, un monsieur lui apprend par exemple qu'un cristal qui porte une croix sur son verso a été gravé à la main. Au fur et à mesure, elle affine son expertise et étoffe son réseau. Je pense aujourd'hui trouver de plus en plus de jolies choses, car je sais où aller chiner, y compris chez des particuliers, et je sais ce qui plaît à mes clients.
La grosse saison est d'avril à octobre. Tous ses week-ends y passent, et cela crée du lien avec sa famille et ses amis qui souvent l'accompagnent. Au fil du temps, l'attachement avec les créateurs qu'elle commercialise s'est renforcé. "Nous nous soutenons, il y a une vraie connivence". Elle se rend désormais à l'atelier de l'abat-jouriste, choisit des pièces et co-crée avec elle. Dans le quartier, la solidarité entre les commerçants est de mise. Mutuellement, ils se font de la publicité. Ils décident d'évènements communs, comme un jeu-concours sur Instagram pour faire gagner des produits. Maude offrira un vase et la fleuriste fera gagner un bouquet de fleurs... Ainsi, ils se partagent leur communauté d'abonnés de leurs réseaux sociaux.
Vivre de sa passion
Au final, son quotidien est toujours aussi chargé qu'auparavant. Le lundi, la boutique est fermée, mais elle le consacre au dépôt des objets, à faire des courses ou à honorer des rendez-vous. Elle prend rarement une journée pour elle, mais, admet savourer cette vie qui n'a plus rien à voir avec la charge mentale et les contraintes de sa vie d'avant.
Cependant, cette liberté présente des dangers. On peut procrastiner, ne pas savoir s'arrêter ou encore ne pas oser demander de l'aide.
"Il n'y a plus de compte à rendre à personne, il faut donc être prudent" poursuit-elle.
Son point noir, les chiffres. Vendre ni trop cher, ni trop au rabais, l'exercice est délicat. "Je vends ce service à thé en porcelaine 99 €. Cet ensemble date probablement des années 30 ou 50, n'a pas loin de 100 ans. Les chances de retrouver un objet similaire en aussi bon état sont extrêmement faibles" observe-t-elle.
Elle s'inquiète parfois, se questionne beaucoup sur la bonne marche à venir de son entreprise.
"Le prix tient compte de l'essence que j'ai dépensée, du salaire que je dois me verser, de mes charges, de mon loyer indexé sur le coût de l'inflation et qui ne cesse d'augmenter, expose-t-elle. Pour finalement conclure : "qu'il faut juste mettre en place les actions nécessaires pour que les problèmes n'arrivent pas."
Il faut être confiant et croire en son projet.
Maude Lacarte
"Si un jour l'ancien passe de mode, ou si les ressources deviennent trop faibles, je basculerai vers une vente plus importante d'objets neufs et de créateurs." Elle s'imagine aussi créer une friperie, trouver un local plus grand pour proposer davantage de meubles, ouvrir une boutique en ligne, embaucher pour disposer de plus de temps et partir à l'extérieur proposer des conseils en décoration, chez les particuliers ou encore dans les restaurants ou les commerces. Elle se dit en autoformation continue et chanceuse d'être entourée d’aussi nombreuses personnes-ressources : marketing, commerce, informatique... Mes amis et ma famille sont toujours prêts à me rendre service, à me conseiller, mais aussi, ils me surveillent, sont mes garde-fous (petit sourire). "Je parle facilement de ce que je fais ou voudrais faire et lorsque rien n'avance, ils me disent gentiment de me secouer, ils me remettent dans le droit chemin." Elle bénéficie également de l'accompagnement de la BGE au besoin, nous précise-t-elle. Celui-ci dure trois ans après la date de la création de l'entreprise.
" J'apporte à ma manière une petite touche de bonheur à la vie des gens. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais si je devais faire autre chose, je garderais toujours la satisfaction d'avoir tenté cette aventure" conclut-elle.