Depuis le début de manifestations contre la réforme des retraites, plusieurs journalistes ont été victimes d’agressions ou d’actes d’intimidation par les forces de l’ordre. L’association Reporters sans frontières alerte et demande au ministre de l’Intérieur de rappeler aux forces de sécurité qu’elles sont dans l’obligation de protéger les journalistes et leurs droits pendant les événements publics.
Soudain, ce soir-là, Angeline Desdevises se retrouve plaquée au sol par deux CRS, matraque à la main. Elle hurle, "Presse, Presse". "Ça a duré une trentaine de secondes, témoigne-t-elle. Ça m’a paru une éternité. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans leurs têtes."
Ce 16 mars, quelques heures après que la Première Ministre a décidé de faire passer la réforme des retraites par le 49.3, la photographe Angeline Desdevises couvre la manifestation dans les rues de Rennes. Plusieurs centaines de jeunes se sont rassemblés Place Sainte-Anne. Ils sont en colère. Très vite, des feux de poubelles sont allumés, du mobilier urbain, des abris bus sont détruits. La situation est tendue.
La journaliste travaille à Rennes depuis cinq ans. Pour être facilement identifiée par les forces de l’ordre, elle a pris l’habitude d’accrocher sa carte de presse à son appareil photo, de se signaler par des regards et de toujours s’installer en retrait pour ne pas gêner les interventions des policiers.
Mais depuis le début des manifestations contre la réforme des retraites, elle a été victime à plusieurs reprises de violences verbales ou physiques de la part des forces de l’ordre. Elle a alerté l’association Reporters sans frontières qui a recueilli son témoignage et celui de plusieurs confrères en France.
"Ça ne m’était jamais arrivé avant, mais ces derniers jours, c’est de la folie, et beaucoup de mes collègues journalistes ont vécu la même chose. Le même soir, juste avant d'être jetée au sol, on a été mis en joue avec un lanceur de LBD. Il y a un problème."
Les mots sont aussi des armes de répression
"Être plaquée à terre, c’est traumatisant, explique-t-elle, mais on se relève et on retourne faire son travail, mais le pire, ce sont les remarques sexistes. Honnêtement, c’est ce qui m’a fait le plus peur. "
Le 14 mars, un policier la traite de "Grosse pute" alors qu’elle venait de lui signaler qu’elle était journaliste. D’autres policiers lui assènent un "Tu aurais dû rester dans la capote de ton père." "Des mots qui blessent autant que des coups, des mots qui rabaissent", explique la photographe.
Une semaine plus tard, Angeline Desdevises photographie une action de blocage économique. Un agent lui demande ses papiers. Elle lui donne sa carte de presse et raconte la suite :
"Il l’observe recto, verso puis me regarde en me disant 'Je te regarde dans toutes les manifestations, tu as un corps magnifique' ".
La jeune femme est tétanisée. "Je ne crois même pas qu’il le pensait exprime-t-elle encore secouée par les propos, je pense que c’était juste un moyen d’intimidation, parce que là, effectivement, dans un premier temps, tu as peur de retourner faire ton travail, et puis, en fait, je me suis dit que ça donnait encore plus de sens à mon travail et qu’il fallait qu’on continue à parler de ce qui se passe, à le montrer."
Cette violence sexiste, c’est une arme.
Angeline Desdevises,photographe de presse
"Il savait qu’en me tenant ce genre de propos, il était intouchable. C’est parole contre parole. Mais il faut faire tomber cette loi du silence. Cette violence sexiste, c'est une arme. Une arme de répression. " La jeune femme envisage de déposer plainte.
Le droit d’informer, liberté fondamentale
"La présence des journalistes lors des manifestations revêt une importance primordiale. Elle permet de rendre compte des opinions et revendications des manifestants (…) ainsi que de l’intervention des autorités publiques et des forces de l’ordre" rappelle Reporters sans Frontières.
"Les manifestations se tiennent; les reporters les couvrent, ils sont là pour documenter ce qui se passe sur le terrain, c'est la base", détaille Pauline Adès-Mével, porte-parole de Reporters sans Frontières.
À Paris, un photographe a été placé en garde à vue, d'autres ont été agressés. L'association rapporte l'histoire d'un autre journaliste visé par une bombe lacrymogène et menacé d’un coup de matraque.
Christophe Deloire, le secrétaire général de RSF demande au Ministre de l’Intérieur de "rappeler aux forces de l’ordre leur obligation de respecter le droit des journalistes et de les protéger, conformément aux dispositions prévues par le Schéma national de maintien de l’ordre (SNMO)."
"Ce schéma, on l'a élaboré avec le ministère pour trouver un compromis sur la façon de travailler, argumente Pauline Adès-Mével, et là, tout ce qu'on voit, ça va à l'encontre de tout ce travail."
La France se situe à la 26e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.