Face à l’annonce de 1400 suppressions de postes à PSA La Janais et dans un contexte de crise de la filière automobile, les collectivités, de la commune à la région, font entendre leur voix. Mais ces prises de positions ne sont que rarement accompagnées d’actions concrètes.
Dans la grande salle de réunion de la préfecture de Rennes, la place de chaque acteur de la réunion tripartite sur l’avenir de PSA La Janais ne doit rien au hasard. Comme un symbole, les représentants de l’Etat et de la direction de PSA président la séance ; sur les côtés les syndicats font face aux représentants des collectivités territoriales comme Daniel Delaveau. La mine triste, le maire de Rennes se refuse d’ailleurs à tout commentaire ce jour-là et s’échappe dès la fin de la réunion, tandis que les syndicats et la direction sollicitent les quelques journalistes présents.
Cette réunion, voulue par Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, est l’aboutissement d’une longue histoire d’étroites relations entre PSA et les pouvoirs publics. Dans les colonnes de Place Publique, Loic Richard relate le travail de Joseph Martray, secrétaire général du Celib (Comité d’études et de liaison des intérêts bretons). Dès 1955, il mentionne en fin de repas « comme si de rien n’était », à Pierre Bercot, alors PDG de PSA, les exonérations fiscales et les aides au logement social que proposait le maire de Rennes, Henri Fréville. Les négociations durent finalement trois ans et le maire, en liaison étroite avec le PDG, s’active pour obtenir des aides de l’État, et résoudre pour PSA des problèmes logistiques comme l’approvisionnement en eau ou un tarif électrique préférentiel ; c’est le premier temps, celui d’un activisme public fort visant à l’implantation d’un immense site industriel en Bretagne.
De la coopération à l’affrontement
Vingt ans plus tard, les relations de bonne entente économique et d’intérêts communs laissent place à une opposition plus politique. En 1977, la gauche remporte les élections municipales « grâce à Citroën » selon un élu qui fait référence au vote ouvrier et à la solidarité affichée par Edmond Hervé avec les travailleurs de Citroën. Cet affrontement entre la direction et les responsables politiques de l‘époque trouve son paroxysme quand le futur maire de Rennes vient tracter à la sortie de La Janais sur la liberté syndicale et se heurte violemment aux « gros-bras » du syndicat maison. La très forte répression qui sévit dans l’usine tranche avec la tradition politique locale, démocrate-chrétienne. Quelques années plus tard, Citroën va même jusqu’à prendre la tête du patronat local en 1982 pour s’opposer de front à la municipalité de gauche sur sa politique de transport (taxe et projet de métro).
Il faut attendre 1997 et l’arrivée de Jean-Martin Foltz à la tête de PSA pour changer d’ère. Il met fin aux pratiques de l’ancienne direction et souhaite renouer un dialogue syndical normal. Pour le journaliste de Place Publique, « à compter de ce moment, il y a mobilisation conjointe des autorités publiques et des responsables de l’usine pour le développement de l’entreprise ». Rennes Métropole crée ainsi de nouvelles zones industrielles spécialement pour PSA ou met en place des lignes de bus de Rennes vers Chartres-de-Bretagne. Dans un contexte économique bien différent de celui qu’elle connaît aujourd’hui, l’usine de La Janais développe également un partenariat privilégié avec l’ANPE (Agence Nationale Pour l’Emploi, désormais Pôle Emploi) pour trouver rapidement un millier de CDD en moins de six mois.
Toutes les collectivités sont dirigées par des socialistes
La crise de la filière automobile et plus particulièrement celle qui touche le groupe PSA serait-elle de nature à ouvrir une nouvelle page dans les relations entre PSA et les pouvoirs publics ? A voir le peu d’annonces concrètes à la sortie de la réunion tripartite, tout porte à le croire. Certains syndicalistes regrettent d’ailleurs que, pour les salariés, « ces réunions sont des non-événements », qu’elles se cantonnent à « un lieu d’information où il n’y a pas de décision », et craignent que la tripartite ne soit finalement qu’un « outil médiatique ».
Pourtant tous les élus concernés, de la commune à la région, portent haut et fort un discours volontaire et disposent d’une cohérence au moins politique : toutes les collectivités sont dirigées par des socialistes. Philippe Bonnin, maire de la petite ville de Chartres-de-Bretagne qui héberge l’usine, s’empare du dossier dès qu’il le peut : communiqués, appel au gouvernement, réunions publiques. « On ne peut se désintéresser des grands groupes et des PME qui sont sur nos territoires », répète-t-il, ajoutant qu’il est selon lui « moins onéreux d’investir et d’aider la filière que d’en créer une nouvelle en Bretagne ». Quand on lui demande quelles actions concrètes il compte mettre en place pour venir en aide à PSA, il avoue une forme d’impuissance liée à la taille modeste de sa commune : « Cela passe par la prise de parole, par le suivi du dossier… », souffle-t-il.
Philippe Bonnin est régulièrement accompagné de Jean-Louis Tourenne, président du conseil général d’Ille et Vilaine et tous deux affichent une forte proximité, voire une complicité. Quand le maire organise une réunion de ses homologues du département, le président lui succède à la tribune et les deux hommes se congratulent à l’envie. Jean-Louis Tourenne l’assène en public, « il est des périodes où la collectivité doit mettre en œuvre sa capacité contributive, quitte à récupérer l’argent investi après. » Il souligne toutefois en aparté que le budget d’environ un milliard d’euros du département ne lui laisse que peu de possibilités d’intervention directe, une situation à laquelle « la décentralisation devrait remédier ». Un rapide coup d’œil au budget prévisionnel de la collectivité dénote l’absence de toute mention de la filière automobile dans les subventions directes, réservées en priorité « aux entreprises du BTP ». Le président apporte une condition à toute autre forme de soutien, via la recherche ou la formation par exemple : la transparence. Il regrette ainsi certaines attitudes du groupe PSA et notamment l’opacité de sa stratégie pour le site de Rennes. Philippe Bonnin tempère toutefois ces propos, pour lui, « il ne sert à rien d’accabler les responsables de PSA ».
Nuances de rose
Mais la particularité du rose socialiste, en Bretagne encore plus qu’ailleurs, est qu’il a autant de nuances que de personnes. Certains élus de la ville de Rennes réclament au contraire que « PSA prenne ses responsabilités » et « respecte ses sites et les hommes qui y travaillent », pointant du doigt une situation du groupe moins dramatique que celle présentée par ses dirigeants. « Notre rôle est d’être aux côtés des salariés », tonne l’un deux, de sensibilité communiste. Concernant des interventions concrètes ? « La ville n’a pas de moyens directs d’action ». Plus on s’éloigne du centre de gravité du problème, La Janais, plus les élus semblent déjà travailler sur « l’après-PSA ». A la ville de Rennes comme à la région, le principal est de sauvegarder le bassin d’emploi, via l’implantation de nouveaux projets.
Le président du conseil général les met en garde contre le risque important d’effet d’aubaine, où des entreprises profiteraient des avantages accordés en temps de crise pour s’installer alors qu’elles l’auraient fait de toute façon. Il raille aussi les « grands projets » évoqués pour le site, comme l’installation de la SNCF, qui se cantonnerait selon lui à des « ateliers de relooking de rames » qui emploieraient 50 à 60 personnes. Il assure toutefois travailler en « bonne intelligence » avec la région et le gouvernement.
Seul Philippe Bonnin reconnaît explicitement des divergences sur la question, en déclarant qu’il « regrette que les deux collectivités [Rennes Métropole et la région] n’aient pas pris la mesure de la crise que traverse le territoire » et en se démarquant assez fortement de la position gouvernementale. A la région, dont la direction économique refuse tout commentaire sur le dossier PSA, ce positionnement surprend : « Il n’a sûrement pas voulu dire ça. Nous sommes particulièrement contents du travail accompli par le ministre Montebourg sur le dossier et tous les acteurs nationaux et locaux travaillent de concert avec nous ». Mais si elle se targue d’une cohésion forte autour de sa position économique, on peut s’étonner d’une demande récente de la région. Dans le cadre de la prochaine loi de décentralisation, elle propose de rendre contraignante sa stratégie économique, pour l’imposer aux collectivités concernées : les communes et les départements bretons.