Ce sauvetage intense et éprouvant à Cancale ce vendredi 17 janvier, Morgane Perri s'en souviendra longtemps. Cette chargée de mission scientifique n'avait jamais vu 15 dauphins échoués en même temps au même endroit. Récit d'une opération épique de plus de 2h30 d'efforts pour remettre à l'eau ces mammifères en groupe, afin de ne pas séparer les mères de leurs petits.
"Un groupe complet de 15 dauphins qui s'échouent. Pour nous, en 20 ans, c'est la première fois". Au lendemain d'un sauvetage épique de 15 dauphins au lieu-dit La Houle à Cancale (Ille-et-Vilaine), le directeur de l'association Al Lark n'en revient toujours pas, 15 dauphins échoués en même temps, c'est rarissime. Quand nous le contactons, il est occupé à faire une nécropsie sur les cadavres de deux des dauphins échoués qui n'ont pas survécu.
Pris par ses analyses, il nous passe sa collègue Morgane Perri, chargée de mission scientifique. C'est elle, aidée de 9 pompiers et d'ostréiculteurs, qui a effectué le sauvetage des dauphins ce vendredi après-midi durant près de trois heures.
15 dauphins, un échouage exceptionnel
Il est 15h environ lorsque l'association Al Lark, habituée à intervenir sur des sauvetages animaliers, est prévenue de cet échouage massif de dauphins.
On n'a jamais eu à avoir à traiter autant d'animaux en simultané.
Morgane PerriChargée de mission scientifique, association Al Lark
Morgane Perri se rend vite compte que cet échouage est "exceptionnel". "On n'a jamais eu à avoir à traiter autant d'animaux en simultané. Il faut savoir qu'on parle d'échouage massif à partir de deux individus en simultané par rapport au réseau national d'échouage. Donc là, 15, c'est vraiment énorme, c'est vraiment un événement très, très conséquent. La plupart du temps, on n'a qu'un seul individu parce qu'en fait, souvent, ce sont des animaux déjà morts, des cadavres qui sont ramenés à la côte."
Au-delà de l'association, les pompiers et la mairie de Cancale sont également prévenus par les ostréiculteurs, les dauphins s'étant échoués à marée basse au milieu des parcs à huîtres de la Houle.
"On nous a d'abord signalé un groupe de cinq dauphins, ce qui est déjà conséquent, avant que l'on nous précise qu'il y avait 12 puis 15 individus" explique Morgane Perri. "Il nous a fallu du temps pour s'approcher d'eux à 800 mètres du rivage. Heureusement qu'un ostréiculteur, Alexandre Prod'homme, nous a emmenés avec ses deux remorques sur place car dans la vase, on aurait mis un temps indéfini, alors qu'il faut agir vite" précise la scientifique.
"Une vision apocalyptique"
Arrivés sur zone au milieu des parcs ostréicoles, les pompiers et la scientifique se trouvent face à des animaux englués dans la vase.
Le fait qu'ils soient sur l'estran très vaseux, ça faisait un peu une vision apocalyptique parce que certains animaux s'étaient complètement enfouis dans la vase.
Morgane PerriChargée de mission scientifique, association Al Lark
"C'est toujours bizarre et triste de voir des dauphins échoués, explique Morgane Perri, mais là, le fait qu'ils soient sur l'estran très vaseux, ça faisait un peu une vision apocalyptique. Certains animaux s'étaient complètement enfouis dans la vase. Leurs yeux étaient pleins de vase. Ils avaient du mal à respirer. Et puis surtout, on a constaté qu'il y avait six bébés".
Ne pas séparer les mères des petits
Le nombre important d'animaux échoués et la présence dans le groupe de mères avec leurs petits va complexifier la tâche des sauveteurs. "La présence des bébés a complètement modifié notre approche, parce qu'il ne fallait pas séparer les mères de leurs petits. Ça a nécessité une organisation particulière pour remettre les animaux à l'eau avec l'impératif que tout le monde reparte en même temps. D'habitude, quand on n'a qu'un ou deux individus, en fonction des moyens et en particulier des moyens nautiques qu'on a, on charge l'animal ou les deux individus sur les barquettes, avec les pompiers par exemple, on les met ensuite sur un zodiaque et on les emmène au large. Or là, on ne pouvait pas, il ne fallait pas les remettre par un ou deux parce que les mères, si on les remmenait sans leurs petits, elles seraient revenues les chercher et elles se seraient échouées à nouveau. Et les petits sans leur mère, s'ils commençaient à partir et qu'ils s'égaraient, ils étaient voués à mourir. Et difficulté supplémentaire, les animaux n'étaient pas placés les uns par rapport aux autres de sorte à ce qu'on sache facilement qui allait avec qui."
Deux dauphins morts à l'arrivée des secours
Les sauveteurs se trouvent donc face à 13 individus à sauver en urgence: "Quand on est arrivés, il y avait déjà deux individus qui étaient morts, qui ont dû mourir très rapidement. Il y avait donc 6 bébés et 7 adultes encore vivants à sauver".
C'est alors que la scientifique rentre en contact avec le laboratoire Pélagis de l'Université de La Rochelle qui coordonne le réseau national des échouages.
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La décision est prise de charger les animaux sur la remorque du tracteur par trois ou quatre, de les ramener le plus près du bord dans un chenal. "Avec la marée qui allait remonter, ils allaient ainsi avoir un chemin pour ressortir à peu près facilement", explique Morgane Perri. Les sauveteurs font plusieurs rotations pour décharger et regrouper les animaux : "on les reposait sur la vase, mais dans un tout petit peu d'eau, mais pas suffisamment pour qu'ils puissent nager en fait, parce qu'il ne fallait pas qu'ils repartent. L'idée, c'est qu'au bout d'un moment, avec la marée qui remontait, ils pourraient flotter et donc repartir."
L'intervention de l'aéroglisseur
Mais, comme souvent dans les situations complexes, tout ne se passe pas comme prévu, comme le raconte la spécialiste des dauphins : "En ce moment, on est avec des coefficients assez importants et que le courant de la marée est assez fort. Il faut savoir que d'instinct, les animaux vont suivre le sens du courant. Donc en fait, comme la mer remontait vers le rivage, ils repartaient vers la côte et donc les parcs à huîtres, et non vers le large comme escompté. Le problème, c'est qu'en plus, ils allaient s'encastrer et se coincer sous les tables à huitres. On a donc dû à de multiples reprises les ressortir. Et comme malheureusement, au bout d'un moment, l'eau montait trop et trop vite, on ne pouvait plus intervenir à pied. C'était trop dangereux pour nous. Car, même si on veut tout faire pour sauver les animaux, c'est quand même priorité à la sécurité des intervenants".
Face à cette situation délicate, les pompiers décident de faire appel aux pompiers de Dol-de-Bretagne et de leur aéroglisseur.
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Grâce à l'engin, les sauveteurs peuvent naviguer au milieu des parcs pour pouvoir guider les animaux et essayer de faire en sorte qu'ils repartent bien vers le large.
L'opération a ainsi duré plus de 2h30. Les 13 dauphins ont pu regagner le large.
Des dauphins communs
L'espèce de dauphin échouée est le dauphin commun, "une espèce plus petite que l'espèce qu'on a majoritairement ici, celle du grand dauphin".
Quant à savoir les raisons qui ont poussé ces dauphins communs à s'échouer en masse, Morgane Perri précise que "les dauphins communs sont des dauphins plutôt du large et qui ne savent pas trop bien gérer les faibles profondeurs. Donc, comme ici, on a de très très grandes marées, avec de l'eau qui se retire très vite et très loin, c'est vrai qu'on a malheureusement régulièrement des échouages d'animaux vivants, d'un ou deux individus. Mais à cette échelle-là, non, c'est assez inédit. Et même à l'échelle de la France, je pense qu'il faut remonter à plusieurs années pour avoir un échouage vivant de 15 individus en même temps et devoir en renflouer 13".
Pour ce qui est de la mort de deux individus, la scientifique rappelle que les dauphins communs sont des animaux très sensibles au stress et qui peuvent très vite paniquer, se tétaniser et faire un arrêt cardiaque. "Donc peut-être qu'ils sont morts d'arrêt cardiaque ou peut-être qu'on avait dans le lot, ces deux individus-là qui étaient malades, vieillissants et qui, en fait, étant en mauvais état de santé, sont venus s'échouer. Le reste du groupe a peut-être suivi."
Mort par étouffement
La nécropsie de ce samedi matin a permis de déterminer que les deux individus étaient jeunes. Les constatations sur le cadavre laissent penser que l'un est mort étouffé par la vase. Pour l'autre, des analyses complémentaires vont être envoyées à Pélagis mais "il pourrait avoir succombé à une crise cardiaque provoquée par le stress" nous explique ce samedi après-midi Gaël Gautier, le directeur de l'association Al Lark.