Près de 25 ans après leur création, les Jardins de Mémoire de Pluneret offrent un bien triste spectacle. Le site, qui accueille plus de 2000 urnes funéraires, est presque laissé à l’abandon depuis que la société exploitante a été placée en liquidation judiciaire. Regroupées en association, les familles se battent pour trouver un repreneur et assurer l’avenir du site.
"C’est une situation aussi douloureuse que difficile à admettre." Lorsque Christian Huc a déposé les cendres de son épouse aux Jardins de Mémoire de Pluneret en 2014, il n’imaginait pas ce qui l’attendait. "Ma femme avait fait le choix de reposer aux pieds d’un arbre dont nous sommes devenus propriétaires, se souvient cet habitant de Grand-Champ. L’endroit, sa quiétude et son emplacement nous avait convaincus."
A l’instar du couple, près de 800 familles originaires de toute la France ont préféré ce lieu de recueillement à un cimetière traditionnel. Plus de 2000 urnes funéraires ont ainsi été inhumées dans ce terrain planté de 900 arbres du "souvenir", bordé en contrebas par la rivière d’Auray.
Terre labourée et troncs d’arbres abîmés : les sangliers ravagent tout
Huit ans après, le site cinéraire de 14 hectares, situé entre Le Bono et Pluneret, n’offre plus le même visage. Depuis plusieurs mois, plus personne n’en assure l’entretien. Pire encore, il y a 3 semaines, des sangliers se sont mis à investir les lieux, laissant derrière eux un spectacle de désolation : terre labourée, pelouse retournée, troncs d’arbres abîmés.
Avec une inquiétude pour les familles : que ces animaux sauvages ne finissent par exhumer les cendres de leurs proches qui se trouvent à une trentaine de centimètres de profondeur seulement.
Je n'ai pas le droit de tondre le gazon ni de ramasser les feuilles mortes
Luc Chantal
Un crève-cœur pour Luc Chantal. Régulièrement, l’homme fait la route depuis Brec’h jusqu’aux Jardins de Mémoire pour se recueillir sur la sépulture de son épouse et de sa petite-fille. La situation actuelle le désole, d’autant qu’il est pieds et poings liés.
"Je ne peux ni tondre le gazon, ni ramasser les feuilles mortes ni même encore réaliser la taille des arbres car je serais alors hors-la-loi. C’est pareil pour toutes les autres familles" témoigne l’homme. Une situation ubuesque, fruit de plusieurs années de dysfonctionnements.
Des familles au milieu d’un imbroglio juridique
Tout commence en 1998. Le propriétaire des lieux et un particulier s’associent pour créer les Jardins de Mémoire. Les terres, non constructibles, leur inspire cette activité funéraire.
Une SARL voit alors le jour, sans que personne n’y trouve rien à redire. Mais en janvier 2020, soit 22 ans après sa création, la société est placée en redressement judiciaire. Pour les familles, c’est la stupeur.
Le site étant classé, aucune activité n’aurait dû être créée ici !
Christian Huc
Déjà inquiètes au moment du changement de propriétaires majoritaires en 2018, certaines personnes commencent alors à mener leur propre enquête, Christian Huc en tête.
"Nous nous sommes rendus compte qu’aucune démarche n’avait été faite dans le respect de la loi depuis le début, déplore l’homme. Le site est classé, donc aucune activité n’aurait normalement dû et pu y voir le jour, pas même ce jardin de mémoire ! "
Du redressement à la liquidation judiciaire
Malgré cette découverte tardive, le jardin a continué à fonctionner et à accueillir des cendres, même pendant la durée du redressement judiciaire. Un an et demi plus tard, les familles, regroupées en association, décident de lancer à leurs frais une expertise du fameux terrain.
" Les conclusions nous ont rassurés, relate Luc Chantal, devenue depuis président de l’association des propriétaires d’arbres des Jardins de Mémoire. Il nous a été précisé que la parcelle était bien reconnue comme un cimetière privé, que nous avions un droit de servitude et de passage, et que de nouvelles inhumations pouvaient être réalisées à la condition qu’elles soient assorties d’une demande en préfecture."
Un soulagement de courte durée car en octobre dernier, le redressement judiciaire a fait place à une liquidation.
Où est passé l’argent de la société ? Là encore, pas de réponse : " C’est incompréhensible qu’il ne reste plus rien. Chaque famille a dépensé entre 3000 et 4800 pour l’achat de son arbre, ce à quoi il a fallu ajouter 150 euros par an pour l’entretien " témoigne le président de l’association.
Personne ne nous répond !
Christian Huc et Luc Chantal
Depuis, les familles ne savent plus à quel saint se vouer. Car c’est le statu quo. " Le liquidateur judiciaire a maintenant la charge du terrain, c’est à lui de l’entretenir et de lui trouver un avenir, un repreneur. Mais rien n’est fait et personne ne nous répond ! " se désolent de concert Christian Huc et Luc Chantal.
Du côté de la mairie, ce n’est guère plus encourageant : " Nous espérions que la municipalité rachèterait le terrain car nous ne voulons plus de propriétaires privés. Nous avons proposé notre aide et notre bonne volonté, mais c’est la politique de l’autruche : aucun retour, ajoutent les deux hommes, amers.
Et de déplorer "l’inertie des pouvoirs publics dans ce dossier." En juin dernier, l’association a assigné en justice la mairie de Pluneret. Les familles attendent à présent une décision du tribunal administratif de Rennes afin d’assurer l’avenir des Jardins de Mémoire.
Des familles qui s'entraident au quotidien
Dans ce contexte, les familles n’ont d’autre choix que se serrer les coudes. Une certaine forme de solidarité a vu le jour. " Je renseigne celles et ceux qui en ont besoin sur les aspects juridiques du dossier, explique Christian Huc.
Une mission que l’homme assure de bonne grâce, malgré le temps que cela lui prend. " Cela représente des centaines d’heures passées sur internet et au téléphone, précise Luc Chantal. C’est beaucoup d’énergie mais c’est important de le faire car certaines personnes sont très âgées et perdues dans ce dossier aussi complexe que sensible. "
Nous allons nous sortir de cette situation !
Luc Chantal
A la fin de la semaine, Christian Huc et Luc Chantal se rendront à nouveau aux Jardins de Mémoire. Assurément, ils iront se recueillir sur la tombe de leurs proches. Mais leur passage devra surtout régler l’urgence : repousser les sangliers de la parcelle cinéraire.
Flanqués d’un spécialiste de la chasse, ils entendent relever aussi ce défi-là, toujours avec ferveur et optimisme. "Nous allons sortir de cette situation, assure le président de l’association. Je suis confiant pour l’avenir, il ne faut jamais baisser les bras ! "
Sollicités, ni la mairie ni le liquidateur judiciaire n’ont souhaité donner suite à nos demandes d’interview.