Le golfe de Gascogne est à nouveau fermé à la pêche depuis le 22 janvier et jusqu'au 20 février 2025 pour protéger la population de cétacés. La première fermeture d'un mois, en 2024, aurait permis de limiter de l’ordre de 76 % la mortalité des dauphins. Mais cette fermeture n'est pas sans conséquences pour les criées et les mareyeurs.
338 bateaux sont stoppés à quai, du sud de la pointe du Raz à la frontière espagnole, depuis le 22 janvier jusqu'au 20 février. Pour la deuxième année consécutive, le golfe de Gascogne est fermé aux fileyeurs, aux chalutiers pélagiques et aux bolincheurs de plus de 8 mètres. En Cornouaille, 50 bateaux sont concernés.
La quinzaine de fileyeurs d'Audierne, soumis depuis ce mercredi à la fermeture du golfe de Gascogne, la rejette. Un non-sens pour les pêcheurs, contraints de rester scotchés à quai alors qu'ils ont équipé leurs navires de systèmes pour faire fuir les dauphins : "Le travail qui avait été fait pour les mettre en place et les tester a été stoppé net, depuis que la fermeture a été prononcée. On dirait que l'arrêt est une solution pour tout le monde et on ne cherche pas à aller plus loin et trouver d'autres moyens pour concilier le métier de pêcheur et la protection des dauphins", témoigne Sébastien Biolchini, patron du fileyeur Mestelen.
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Audierne a perdu 80% de son tonnage
Si les pêcheurs ont été indemnisés à hauteur de 85%, ce n'est pas le cas des criées qui ont encaissé une chute vertigineuse des apports. Le port d'Audierne a perdu 80% de son tonnage pendant cette période. Un mauvais scénario qui se répète à l'échelle de la Cornouaille : "L'arrêt du plan cétacé, pour l'ensemble des ports de pêche de Cornouaille sur l'année 2024, c'est un recul de 600 tonnes de poissons au moins sur les criées, donc près de 2 millions d'euros de pertes de chiffre d'affaires pour l'ensemble des criées. Effectivement, la criée d'Audierne est impactée par cet arrêt d'activité. L'augmentation du prix du poisson, qui est lié à sa qualité et à sa rareté, ne compense par la baisse de volume et surtout le manque de certaines espèces", explique Philippe Le Carre, directeur général de la CCI de Quimper-Cornouaille.
Certaines espèces manquent sur les étals
Lieu jaune, rouget barbet ou sole ont cruellement manqué aux plus gros clients de la criée d'Audierne. Le chiffre d'affaires de ce mareyeur a fondu de 20% l'an dernier : "C'est une perte d'une quinzaine de tonnes. En temps normal, sur un mois de février, on fait à peu près, 28 à 30 tonnes. On n'a pas réussi à couvrir totalement ce manque de matière", confie Ronan Sergent, mareyeur et directeur des Viviers d'Audierne.
"Épée de Damoclès au-dessus de la tête"
Un emploi en mer, c'est trois emplois à terre. Entièrement dépendant de la pêche, le chantier naval d'Audierne qui emploie quatre salariés, s'inquiète pour l'avenir. En 2025, le règlement autorise de petits travaux d'entretien sur les bateaux en arrêt, mais pas les grosses réparations qui nécessitent de mettre le bateau au sec : "C'est un petit manque à gagner parce que normalement, c'est le cœur de la saison pour nous, les changements de moteur, etc. Donc, on est un peu délaissés par rapport à cet arrêt-là, je trouve, comme la criée, comme les transporteurs, comme tous les confrères qui travaillent. Il n'y a pas d'enveloppe pour nous malheureusement. Zéro", témoigne Romain Lorans, le gérant du chantier Service marine de la baie.
Même amertume du côté de la coopérative maritime de l'Iroise, en pleins travaux. Entre l'avitaillement en matériel et le carburant, la coop a enregistré 35.000 euros de pertes financières et aucune aide : "Ce n'est pas viable. Là, on a pris une habitude de fermeture d'un mois tous les ans, tout en sachant qu'on ne sait pas si l'année prochaine, ce ne sera pas plus. On n'a aucune certitude et toujours cette épée de Damoclès au-dessus de la tête", conclut Yvan Bargain, le directeur de la Coopérative maritime de l'Iroise.
Même son de cloche à Lorient où 22 bateaux sont à quai pendant un mois. Comme à Audierne, au-delà des pêcheurs, c'est toute une filière qui en subit les conséquences : les mareyeurs de la criée, les transporteurs, les poissonniers et même les restaurateurs. Aucune aide de l'État n'est prévue pour ces professions et difficile de se réorganiser pour seulement un mois. Cette nouvelle fermeture du golfe de Gascogne va impacter toute la filière jusqu’au consommateur.
"Le chômage partiel ne sera pas garanti cette année"
Certaines espèces de poissons vont se faire plus rares sur les étals, comme le maquereau, le merlu, les sardines ou le lieu jaune. Les mareyeurs vont devoir s’approvisionner parfois dans d’autres criées, dans le nord de la France ou au Royaume-Uni, mais les prix et les volumes vont être forcément impactés : "On a peut-être moins de quantités et de diversité, mais on a quand même des choses à vendre", rassure Nathalie Cuquel, responsable de la poissonnerie "Moulin Marée".
N'empêche que l’année dernière, Jean Besnard, mareyeur chez "Moulin Marée", a perdu entre 10 et 15% de son chiffre d’affaires sur un mois, et cette fois-ci encore, il se prend la fermeture de la pêche de plein fouet : "Le chômage partiel ne sera pas garanti cette année. Donc, il va falloir redoubler d'ingéniosité pour essayer de maintenir la barre à l'équilibre", commente-t-il.
Inquiétude aussi dans les restaurants en circuit court
Dans ce restaurant de poissons, tenu par un mareyeur de Lorient, l’inquiétude est aussi au menu. Ici, on ne travaille qu’en circuit court. Si cette fermeture devait devenir pérenne et s’étendre à quatre mois dans l’année, ce serait une catastrophe : "Nous, ça va être très compliqué. Ou alors effectivement, il faudra opter pour du poisson d'import. On devra acheter en Norvège, en Écosse ou en Espagne même. Mais ce n'est pas du tout l'objectif et surtout, on n'espère pas que cela se produise, car sinon, nos métiers sont voués à disparaître aussi", alerte Vincent Nguyen, mareyeur et gérant du restaurant l'Étal à Lorient.
La précédente fermeture du golfe de Gascogne l’année dernière a laissé des traces au port de Lorient : 1000 tonnes de volume en moins pour un manque à gagner de quatre millions d’euros sur l’ensemble de la filière. Solidaire, elle fait le gros dos dans le mauvais temps, espérant que les dispositifs d'effarouchement fassent preuve de leur efficacité, pour une levée de l'interdiction en 2027.
(Avec Claire Louet et Nicolas Corbard)