Littoral magazine des gens de mer consacre l’une de ses émissions à un métier en souffrance : celui de marin-pêcheur. Le présentateur et biologiste Félix Urvois a embarqué 24h à bord du Misana avec un jeune patron qui veut encore croire en son métier. Le récit de Félix
Je me pose souvent cette question : Quel poisson mangerons-nous demain ? Et quelle place auront les produits de la pêche côtière française face à un dos de cabillaud norvégien ou un saumon élevé au Chili ? Quelle place surtout restera-t-il aux pêcheurs dans tout cela. Comment leur métier va-t-il évoluer ?
Pour répondre à ces questions, j'ai posé mes valises avec l'équipe Littoral à Lorient. L'émission est à retrouver dans son intégralité sur france.tv
Il vend sa maison pour acheter son bateau de pêche
Lorient est parmi les plus importants ports de la pêche française (il est en 2023 le 1ᵉʳ port français avec 80 000 tonnes de poissons débarqués). Le secteur fait également tourner une part importante de l’économie régionale. Mareyeurs, transporteurs, employés de la criée ou des chantiers navals, tous dépendent des produits de la mer qui arrivent sur ces quais.
Mais dernièrement, les crises de la filière s'enchaînent comme des tempêtes hivernales.
Résultat, le nombre de bateaux diminue inexorablement tandis que les importations de poissons ne cessent d’augmenter.
Pour mieux comprendre la réalité que traverse aujourd’hui la pêche côtière, j’ai rencontré Denis Bonabesse. À 37 ans, il vient de revendre sa maison pour acquérir son navire, le Misana, acheté 460 000 euros. Après avoir été matelot, Denis est désormais son propre patron.
"C'est compliqué quand on achète un bateau, surtout au début. Donc il faut forcer, travailler plus que les autres, faire des sacrifices. Et il faut faire ça jeune. À 45 ans, c'est déjà trop tard."
Au milieu de la nuit, j’embarque donc avec Denis et ses deux matelots. Cap vers le sud de Belle-île. Après quatre heures de navigation rythmées par le ronronnement incessant du moteur diesel, nous arrivons sur les premières bouées. Il fait encore nuit noire, mais il ne faut pas traîner, car remonter tous les filets prendra plus de douze heures. L'équipage au complet espère que les soles seront au rendez-vous, il faut rentabiliser les 600 litres de carburant que consomme quotidiennement le bateau avant de pouvoir verser un salaire à tout l’équipage.
Denis et ses matelots enchainent les heures sans dormir, parfois toute une nuit. La vie personnelle passe forcément après. "On fait des sacrifices" renchérit le patron pêcheur.
Après les avoir longuement observés, j’ai tenté de répéter les gestes des marins pour démailler les poissons. Force est de constater que je suis incapable de suivre leur cadence, être marin ça ne s’invente pas. C’est pourtant le métier que j’ai voulu faire un jour, avant de bifurquer vers une autre profession, moins incertaine peut-être. Denis quant à lui veut y croire en ciblant des espèces encore peu exploitées comme le congre ou en diversifiant ses engins de pêche au fil des saisons.
Il a volontairement choisi un bateau qu'il pouvait rendre polyvalent. Filets, casiers à poulpes, chalut à langoustines... À chaque saison son outil, ce qui lui permet de s’adapter à la ressource disponible et à la demande aussi, c'est-à-dire au cours sous-criée pour obtenir le prix le plus intéressant. Mais le plus complexe reste de choisir le moment où effectuer la bascule "Les saisons ne sont pas forcément marqués comme sur un calendrier"m'explique Denis.
S’adapter semble aujourd’hui essentiel pour voir la pêche côtière subsister, mais cela ne fera pas tout.
Si l'on ne fait rien, dans 5 ans, la moitié de la flottille aura disparu
Sur les quais de Lorient, avant mon embarquement, j'ai aussi eu l'occasion de rencontrer l'ancien patron de Denis, David Le Quintrec. Il fait partie de la génération d'avant et il a été en tête de cortège lors des mouvements de protestation suite à la fermeture du golfe de Gascogne en février 2024. David Le Quintrec est aujourd'hui encore en colère et surtout pessimiste pour la suite :
"On a l'impression d'être des parias. La filière pêche artisanale est en danger. Si l'on ne fait rien, dans 5 ans, la moitié de la flottille au moins aura disparu".
Après 21h en mer, nous revenons enfin à terre. Une fois débarqué, j’ai pu m’immerger dans la vie nocturne qui anime soudain la criée comme la salle des ventes de Lorient. En quelques secondes, la pêche du jour verra son prix fixé avant d’être acheminée aux quatre coins de l’hexagone. Après cette longue journée, je ne peux m'empêcher de regarder différemment les étiquettes comme les produits qu’affiche le poissonnier sur son étal…
Leur métier nous nourrit tandis que chaque crise les dévore un peu plus. Denis à mes côtés, j'ai vu le combat d'une profession pour continuer à exister coûte que coûte. Concilier les exigences économiques de la filière avec nos considérations écologiques restent sans doute le plus grand défi que ces marins devront relever.
À voir dans son intégralité : Littoral, Route pêche, coûte que coûte sur France.tv