La rapporteure publique a proposé ce vendredi 21 octobre 2022 à la cour d'administrative d'appel de Nantes d'annuler le licenciement disciplinaire d'Achille Martin-Gousset, le capitaine du navire qui s'était échoué dans la rade de Lorient (Morbihan) le 19 février 2019.
Achille Martin-Gousset dirigeait le Breizh Nevez 1, un navire livré en 2018 par le chantier naval Piriou de Concarneau (Finistère) à la compagnie Océane pour faire la liaison entre Lorient et l'île de Groix. "Environ 10.000 traversées" avaient été faites antérieurement par ce marin du Relecq-Kerhuon (Finistère) suite à son recrutement neuf ans plus tôt.
Le jour de l'accident, Achille Martin-Gousset était ainsi responsable de la toute première traversée de la journée, à 5h50 du matin, quand une "brume épaisse envahissante" avait gagné le port. Son navire s'était échoué et il avait dû procéder à l'évacuation des trente-huit passagers suite à l'apparition d'une voie d'eau, a-t-il été rappelé lors de l'audience à Nantes.
L'affaire - qui avait eu un "retentissement certain" selon la rapporteure publique - avait conduit la compagnie Océane à licencier ce délégué du personnel du collège "Officiers". L'inspection locale du travail y avait mis son veto en juin 2019, mais le ministère du Travail était passé outre et le tribunal administratif de Rennes avait validé sa position en octobre 2021.
Des "fautes", certes, mais "pas d'une gravité suffisante" pour justifier un licenciement
"Les parties divergent sur les causes de l'accident, et il n'est pas de votre office de trancher les responsabilités", a d'emblée rappelé la rapporteure publique, ce vendredi 21 octobre 2022, aux juges de la cour administrative d'appel de Nantes.
Pour rappel, la décision avait été justifiée à l'époque par le fait que le capitaine ne s'était "pas renseigné" sur les conditions météo du jour, qu'il ignorait l'existence d'un "courant particulièrement fort" dans le port de Lorient les jours de grandes marées et qu'un passager se trouvait en outre sur la passerelle au moment de l'accident, ce qui est interdit de nuit.
Sur ce dernier argument, la rapporteure publique a prévenu les juges nantais qu'ils pourraient "passer rapidement" dessus : cette "faute" n'est "pas d'une gravité suffisante" pour justifier à elle seule un licenciement disciplinaire. Même chose pour la "méconnaissance" du "fort courant traversier" que connaît le port de Lorient les jours de grandes marées.
Concernant le "défaut de consultation des relevés météorologiques" reproché à Achille Martin-Gousset, la magistrate a relevé que le service informatique de la compagnie Océane était "dans l'incapacité de savoir quand" le capitaine du Breizh Nevez 1 avait ouvert le message l'informant de l'existence de cette "brume envahissante".
Le rapport "à charge" du BEA mer
Or, ce dernier maintient s'être informé de son côté et que le temps annoncé était alors "clair et dégagé" sur la rade de Lorient. "Le doute doit profiter au salarié", en a donc conclu la magistrate. "Il ne nous paraît pas certain que vous pourrez confirmer la décision du ministre." D'un point de vue juridique, elle avait aussi relevé deux "vices" de nature à affecter la légalité du licenciement. L'État devrait donc être condamné à verser 1.500 € au capitaine pour ses frais de justice.
La cour administrative d'appel de Nantes, qui a mis sa décision en délibéré, rendra son arrêt dans trois semaines environ. Si elle suivait les conclusions de la rapporteure publique, alors Achille Martin-Gousset serait en droit de réclamer des dédommagements à son employeur aux prud'hommes cette fois-ci pour licenciement "sans cause réelle et sérieuse".
Son avocate a ainsi critiqué le rapport qui avait été rendu par le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) Mer suite à l'échouage du Breizh Nevez 1. Un rapport "à charge", selon Mor Glaz, l'association de "défense de la mer et des marins".
Par ailleurs, la personne qui se trouvait sur la passerelle du bateau était "un marin qui allait être embauché par la compagnie", soutient l'avocate du capitaine. "On n'en sait rien, personne ne le justifie", a réagi sur ce point l'avocat de la compagnie. "On ne sait pas quel rôle cette personne a pu jouer sur la déconcentration du capitaine dans ce moment crucial."
"Trois ans de calomnies"
Reste que les causes de l'accident sont en fait les "problèmes de maintenance" du Breizh Nevez 1 : cette "difficulté technique" avait d'ailleurs conduit le parquet de Brest à procéder à un classement sans suite des poursuites pénales, pour l'avocate d'Achille Martin-Gousset. "Le BEA, lui, s'en est lavé les mains et n'en fait même pas mention dans son rapport."
Le timonier qui tenait la barre du bateau a également "probablement commis une erreur technique", selon elle, puisque "le nouveau système de barre était inversé" par rapport à l'ancien.
En attendant, pendant ces "trois ans de calomnies", "on a jeté l'opprobre" sur son client, décrit comme "un alcoolique" et "un incompétent". Son licenciement est survenu en outre sur fond de "guéguerre entre la corporation des officiers et la corporation des matelots". "La compagnie a préféré le sacrifier : le préjudice économique aurait été plus grand si les matelots s'étaient mis en grève", a-t-elle dit aux juges nantais.
L'avocat de la compagnie Océane s'est lui "étonné" des conclusions de la rapporteure publique : la société "ne saurait transiger avec la sécurité des usagers" de ses bateaux, a-t-il insisté. Les "défectuosités" alléguées de ce navire "neuf" n'ont d'ailleurs à ce sujet "jamais été objectivées par les experts maritimes".
L'absence de poursuites pénales à l'encontre du capitaine s'explique "sans doute par le dénouement heureux" de cet échouage qui n'a pas fait de blessé. "Cela tient plus du hasard qu'à ses agissements." L'avocat a aussi relevé que les conclusions du BEA Mer n'avaient "jamais été juridiquement contestées" par une demande de contre-expertise.
[SG/GF (Press Pepper)]