Témoignages. "Je vis une vraie vie riche". Ils ont tout quitté pour devenir apiculteurs

Publié le Écrit par Antoinette Grall

Pesticides, manque de ressources, monocultures, prédateurs, dérèglement climatique… ces menaces rendent le métier d'apiculteur difficile. Pourtant, il continue de passionner et d'attirer... Certains se reconvertissent même pour le pratiquer. Nous sommes allés à la rencontre de 3 d'entre-eux.

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Nous sommes allés à la rencontre de trois hommes qui ont décidé de changer radicalement de vie pour devenir apiculteurs. Tous partagent des motivations communes : retrouver plus d'indépendance, de sens et d'éthique à leur métier, une reconnexion à la nature et à leur territoire. 

Il y a Jean-Charles Esnault, un homme libre, affranchi du jugement des autres, soulagé de n'avoir plus à gérer des problèmes d'ego ou de subir la pression d'une direction.
Ancien régisseur lumière au statut d’intermittent du spectacle, il tenait le planning de grandes troupes de théâtre. Il ne s'occupe désormais que de son planning. "Et encore, la météo décide pour beaucoup !", émet-il, d'un ton amusé. Autonome, il décide de travailler tel week-end ou telle nuit.

Loïc Jego lui est un ancien manager de l'industrie automobile. Il partage aussi ce sentiment. "Tout ce que je pense n'est que pour moi", explique-t-il heureux de faire chaque matin sa réunion tout seul dans sa tête.

Et puis il y a Corentin Besle. Ancien banquier, lui n'a qu'un mot d'ordre : "ultra-flexibilité". "Avoir toujours le choix est la liberté que je m'impose ! "  affirme-t-il expliquant qu'il ne pourrait pas revenir à un emploi salarié. 

Pour autant, le choix qu'ils ont fait n'est pas si simple. Ces passionnés robustes physiquement et mentalement se sont orientés vers une activité qui reste fragile. Pour les aider, ils ont été accompagnés par Maëlle Colin, Conseillère animatrice apiculture à l'ADA (Accompagnement des Apiculteurs) Bretagne.

S'aligner avec ses valeurs et ses convictions écologiques

En travaillant avec les abeilles, à la lumière et dans les intempéries, Loïc Jégo a changé sa façon de considérer le dehors. 

Je suis revenu au regard des gens qui travaillent la terre et prennent toujours plaisir à échanger autour de la nature.

Loïc Jego

Il nous confie le sentiment de vivre plus simplement sa vie, d'avoir de meilleures relations sociales et un contact plus riche à son environnement.


Corentin Besle de son côté exerce à Quistinic, dans le Morbihan, sur une petite commune bocagère qui n'a pas subit de remembrement et qui offre plus de 100 kilomètres de chemins pédestres. Il échange souvent autour de ses compagnes ailées avec des randonneurs ou des clients sur les marchés. Il nous livre recevoir beaucoup de considération. Il explique que l'image de son métier est gratifiante."Mes clients sont confiants et fiers de mon travail, certains me sollicitent pour installer des ruches chez eux." 

Je vis une vraie vie riche de vraies rencontres et sais ce qui se passe localement.

Corentin Besle

"Mon économie est réelle. Tout est réel et concret. Mes produits sont l'addition de mes choix. Impossible de tricher. L'entreprise est à mon image" poursuit-il.

Quant à Jean-Charles Esnault, il pensait écologie, votait vert, mais vivait enfermé dans des salles éclairées par des projecteurs de 2000 watts allumés toute la journée. Il parcourait de nombreux kilomètres, dormait dans des hôtels construits à l'encontre de ses idées concernant l'artificialisation des sols. Sa reconversion lui a permis de clarifier cette situation paradoxale. "Je vis ce que je pense et ça fait du bien", affirme-t-il. Aujourd'hui, il nous dit considérer son discours plus direct et efficace que les textes engagés de ses pièces de théâtre. Je constate que 30% de mon cheptel meurt tous les ans depuis plusieurs années. Je me sens en capacité d'échanger sur le déréglement climatique et l'urgence d'agir. 
La production apicole répondait à mon attente de vivre d'un produit essentiel, de qualité et de participer à une économie locale.

Je n'exige pas des abeilles une rentabilité pour vivre de ma pratique.

Jean-Charles Esnault


Sa vision de l'apiculture prime sur celle de l'économie. Cette philosophie l'oblige à se diversifier.
Il imagine aussi qu'en vieillissant, il n'aura plus les capacités physiques pour exercer ce métier. Il tente de produire de l'huile de tournesol, loue un gîte, se prépare pour de l'accueil social, et agit pour qu'un jour, il puisse transmettre ce qu'il a construit avec ses abeilles. 

Un métier méconnu

Difficile pour Monsieur et Madame tout le monde d'imaginer tout le travail qui se cache derrière ce métier. "Les médias axent leurs discours sur les récoltes et l'image de l'apiculteur se réduit souvent à la vision d'un étrange cosmonaute vêtu de blanc récoltant son miel dans un cadre bucolique sous un grand ciel bleu",  expose Maëlle Colin. 
Cette vision exaspère Loïc Jégo, apiculteur depuis 14 ans "Quand on me demande ce que je fais et que je réponds apiculteur, à chaque fois, j'entends "whaou super", mais derrière le mot "super", ils ne savent pas qu'il y a toutes les emmerdes du monde".  

Les menaces qui pèsent sur les abeilles sont si fortes qu'en un rien de temps tout leur travail peut être anéanti. La récolte du miel, mise en pot comprise, ne dure pas plus de deux mois. Alors que fait l'apiculteur les dix autres mois de l'année ? Qui est-il ?

Des couteaux-suisses 


Le métier exige un perpétuel questionnement. Il n'y a pas un modèle ni une année de fonctionnement qui se ressemble. Les heures de travail sont énormes, l'apprentissage permanent. Le métier est très technique et complexe, leurs casquettes sont multiples. "D'innombrables pratiques existent pour gérer son rucher, mais il faut aussi être agile avec l'administratif, la communication, la mécanique, l'électricité, l'organisation, le laboratoire, la gestion sanitaire, la plomberie, la menuiserie, l'informatique, la commercialisation... C'est une vraie entreprise" exprime Corentin Besle, ancien conseiller bancaire.

Un apiculteur a l'obligation d'être autonome, de savoir tout faire.

Loïc Jégo,

"Le moindre tracas freine notre développement, nous coûte en énergie et en temps" poursuit l'ancien manager dans l'industrie.
Beaucoup d'entre eux n'imaginaient pas la densité des tâches ni le temps qu'elles nécessiteraient.
Exemple : le lancement de la fabrication de bonbons au miel de Corentin Besle et son florilège de questions. Comment travailler avec un ESAT, calculer le bon prix de revient, concevoir les étiquettes, trouver l'imprimeur, le circuit de commercialisation ?


Pour Maëlle Colin, l'idéalisation du métier a du bon. Leur passion les rend combattifs et inventifs pour améliorer leurs conditions de travail. Mais en réalité, peu d'entre eux sont dans le confort économiquement, structurellement... déplore-t-elle.

Ils sont tous inventifs, mais chacun à leur manière, chacun dans leur domaine de prédilection.

Maëlle Colin

"Des personnes qui viennent du milieu commercial seront super inventives sur la valorisation de leurs produits, ceux qui viennent de la gestion optimiseront à fond leurs tableaux Excel, ceux qui viennent d'un métier manuel innoveront plus sur des techniques, du matériel ou l'organisation de la miellerie. Les plus à l'aise avec la science travailleront sur la génétique... Ces angles dépendent de leur passé" souligne l'animatrice apicole.


Le portrait type de l'apiculteur reconverti ? Il a été instituteur, mécanicien, infirmier, chauffeur poids lourd, politicien... n'est pas issu du monde agricole. Il a entre 35 et 50 ans. Une diversité de parcours, de bagages, de milieux qui est une réelle richesse pour le collectif explique l'animatrice. "Il existe ainsi autant de façon de travailler avec les abeilles qu'il y a d'apiculteurs." 

L'âge de la reconversion


Jean-Charles Esnault s'est reconverti à 35 ans. Plus jeune, il aurait sûrement été plus aventureux dans ses choix techniques et son organisation, il aurait réfléchi à travailler en collectif. Il y pense encore dans les périodes d'épuisement physique. Sa maturité l'aide à durer, nous témoigne-t-il.


"32 ans était l'âge idéal pour ma reconversion" déclare de son côté Corentin Besle. "Il y a de gros investissements, il faut être assez sûr de soi, savoir prendre le temps de se poser de nombreuses questions, surtout les mauvaises années : Où j'en suis ? Comment est ma trésorerie ? Combien j'ai de frais ? Combien j'ai de miel ? Est-ce que je revends des choses ? Est-ce que je vois la banque pour renégocier mes emprunts ?... Lorsqu'on est chef d'entreprise, on est seul dans ces décisions. Elles peuvent être lourdes de conséquences." 

L'âge m'a appris à prendre du recul, à garder la tête froide et être plus patient, plus sage et philosophe.

Corentin Besle

Il essaie toujours d'anticiper. Un dos bloqué lui a fait prendre conscience que l'ergonomie de ses postes de travail était importante. Plus jeune, un peu trop confiant en son corps, il se dit qu'il aurait négligé cet aspect et que peut-être, il se serait usé plus vite.


À 20 ans, Loïc Jégo croit qu'il aurait été un peu trop naïf et estime que 40 ans est physiquement une limite d'âge pour se reconvertir. "Mon expérience m'a permis de rattraper mon retard et de m'installer sans emprunt".

La capitalisation sur leur vie d'avant


L'artiste, Jean-Charles Esnault vivait un rapport au travail très fluctuant. Impossible pour lui de connaître à l'avance son salaire, son planning ou si le succès serait au rendez-vous."Cette expérience m'a rendu moins exigeant avec une réussite totale, plus résiliant aux échecs. Je reste confiant" exprime-t-il.
Comme dans son travail d'intermittent, l'activité saisonnière de l'apiculture impose aussi des périodes de labeur intense. Son vécu lui permet d'accepter de s'oublier, de travailler sans compter ses heures.
Oser monter des dossiers compliqués, c'est essentiellement cela que retient Corentin Besle de son expérience à la banque. 

Certains renoncent au métier d'apiculteur face à la complexité administrative, les montants peuvent aussi effrayer.

Corentin Besle

Auparavant, Loïc Jégo travaillait en recherche et développement dans l'industrie automobile. Pour finaliser un process de production, il devait se poser beaucoup de questions. En apiculture, le schéma de pensée est le même. Il réfléchit sans cesse aux stratégies pour s'adapter aux abeilles. Les situations réelles ne s'avèrent jamais celles étudiées dans un bouquin.  Constamment, il doit s'adapter, se remettre en cause, prendre le temps de se poser pour comprendre avant d'agir.

La bonne pratique, c'est de vivre de ses erreurs, et de savoir que l'on en a fait.

Loïc Jégo

Il s'enrichit des bonnes expériences des uns et des autres pour conduire au mieux son projet. "Je suis un peu comme un berger, je surveille et j'agis mais les abeilles ou la météo ont toujours le dernier mot" dit-t-il. 


La conseillère constate qu'ils se connaissent, travaillent en réseau et se soutiennent par des échanges régulièrs au cours de l'année. Nombreux répondent présents aux rencontres annuelles proposées par l'ADA Bretagne, surtout à celle de la fin d'été quand leur activité se calme. Ils sont heureux de se retrouver et de partager autour de leur métier. L'ADA Bretagne a pour mission de les tenir au courant de tout ce qui concerne le monde apicole et de répondre à leur problématique. 

Une filière microscopique 


Dans la région, en 2023, l'organisation régionale GI élevage Bretagne comptait 4 000 apiculteurs. Ceux qui ont plus de 200 colonies, considérés comme apiculteurs professionnels, n'étaient que 86.

250, probablement pluriactifs, affiliés à la MSA (Sécurité sociale agricole) déclaraient entre 50 à 200 colonies et le reste de la troupe, la grande majorité, possédant moins de 50 colonies, pratiquaient en mode loisir.

Sur les 86 professionnels, un tiers était installé dans le Finistère. 

Le métier est rude. En 2023, la production du miel s'est écroulée de 40% par rapport à 2022, passant de 20 000  à 12 000 tonnes. Depuis environ 10 ans, 30% des cheptels meurent en moyenne chaque année en sortie d'hiver. 

Les apiculteurs sont fragiles mais c'est l'admiration, la fascination pour les abeilles qui l'emporte généralement. Ils se disent riches de relations sociales, satisfaits éthiquement et intellectuellement. En perpétuelle recherche de solution, ils sont fiers de perpétuer un savoir-faire et une production millénaire hors-norme. Ils veillent au chevet de la terre. Engagés, responsables, ces hommes essayent de préserver la biodiversité dans laquelle les abeilles jouent un rôle primordial.

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