Alors que le collectif "médecins solidaires" vient d'ouvrir son deuxième centre en Centre-Val de Loire, l'heure est au bilan, dix mois après le lancement de celui de Charenton-du-Cher. Une grande satisfaction pour le maire de la commune, une grande surprise par l'importance de la demande pour le co-fondateur de médecins solidaires et un soulagement pour les 1280 patients souffrant d'une affection longue durée qui ont pu retrouver un médecin traitant.
Ce 9 décembre, Reuilly dans l'Indre accueille le deuxième centre du collectif Médecins Solidaires de la région Centre-Val de Loire, il s'agit également du 7e centre de santé un peu particulier sur le territoire national. Particulier car il fonctionne selon le principe du "temps médical partagé" grâce à une rotation hebdomadaire de médecins généralistes venus de toute la France.
Il y a 10 mois, c'est encore dans le Berry que s'ouvrait le premier centre de santé de cette nature dans la région. C'était le 7 février 2024, à Charenton-du-Cher près de Saint-Amand-Montrond. " Ça se passe très bien. On ne regrette pas d'avoir investi, au contraire", explique le maire de la commune. "De zéro, on est passé à six praticiens avec deux kinés, un psychologue, deux ostéopathes en plus des médecins du collectif qui viennent chacun leur tour", complète ravi Pascal Aupy.
Le principe des "Médecins solidaires" est simple : les centres de soin accueillent un nouveau médecin chaque lundi.
Le système de rotation est rendu possible grâce à près de 550 médecins généralistes volontaires qui donnent une semaine de leur agenda médical par an pour venir soigner les habitants qui n'ont plus de médecin traitant. Le concept est né en 2021 à Ajain dans la Creuse et le succès de l'initiative se poursuit depuis.
Ce qui a le plus marqué le Dr Martial Jardel, cofondateur du collectif "Médecins solidaires" à Charenton-du-Cher c'est l'affluence massive. "On a été stupéfait de l'importance de la demande. On n'avait jamais eu autant de monde pour une réunion publique de présentation. 400 personnes alors que d'habitude c'est plutôt 150", se souvient-il. Il explique cela par le fait que le bassin de Saint-Amand-Montrond est certainement l'endroit le plus pauvre en médecins de France dans la région, la plus en manque de médecins. Et de citer l'exemple de Saint-Amand-Monrond, "Qu'il n'y ait plus qu'une médecin pour 10 000 habitants, c'est quand même invraisemblable".
33 % des patients porteurs d'affection longue durée
Depuis l'ouverture du centre de santé Médecins solidaires à Charenton-sur-Cher, 4 080 consultations ont été effectuées. 42 médecins sont venus au moins une semaine et cinq d'entre eux sont revenus au moins une fois.
Environ 35 % des médecins qui sont venus exercer sont des retraités actifs, 35% sont des remplaçants et 30 % des libéraux ou des salariés installés.
Le chiffre le plus marquant de cette première année d'activité concerne les porteurs d'affection longue durée (ALD) : 33 % des patients sont porteurs d'une ALD. Soit 1 280 personnes ayant des pathologies chroniques qui n'avaient plus de médecin traitant.
"Quand on voit qu'en France 700 000 patients en ALD sont sans médecin traitant. Derrière ce qualificatif, il y a une gravité. Quand c'est un jeune de 30 ans qui n'a pas de médecin traitant, c'est moins alarmant que quand c'est un patient porteur d'une ALD, une affection longue durée et donc d'une maladie qu'il aura pour longtemps. Ne pas avoir de médecin traitant dans ce cas, c'est terrifiant," alerte le Dr Martial Jardel.
La commune de Charenton-du-Cher a investi 205 000 euros sans regrets
Le dernier médecin de Charenton-du-Cher était parti en juin 2023. "Entre 800 et 1100 patients se retrouvaient sans solution", expliquait le maire de Charenton avant l'ouverture du centre de soins. Il était donc indispensable de réagir et le projet de "Médecins solidaires" lui a plu.
La commune a investi 65 000 euros pour racheter l'ancien cabinet médical et réalisé pour 140 000 euros de travaux. Quant au fait que le médecin change chaque semaine, "au début les gens avaient un petit a priori mais ensuite ils se sont rendu compte que c'était bien aussi d'avoir un deuxième avis. Et puis leur historique est sur l'ordinateur", raconte l'édile.
Quand ils viennent passer une semaine, les médecins sont logés dans une maison d'hôte louée à l'année par la commune. "Les médecins sont très contents d'être dans cette maison très accueillante. Certains viennent avec leur conjoint ou seuls".
L'arrivée des "Médecins solidaire" à Charenton a eu d'autres conséquences bénéfiques pour la commune. "Ça a permis à l'épicerie installée à côté de vivre. En plus, ça décharge les sapeurs-pompiers qui se retrouvaient des fois dans des situations difficiles sur des interventions dues au manque de médecins et de soins", confie Pascal Aupy.
Un second médecin en projet ?
Pour les semaines à venir, 14 médecins sont déjà inscrits pour venir exercer à Charenton-du-Cher et le planning est complet jusqu'au mois de mars 2025.
"Malgré le dispositif, on a malheureusement une file d'attente de 600 personnes", constate le maire de Charenton. "Le concept des médecins solidaires est de prendre les patients qui n'ont pas de médecins traitants. Ça ratisse très loin. Il y a une patientèle qui va jusqu'à Saint-Amand-Montrond ou Dun-sur- Auron. Certains font 25 kms pour venir ici. Alors forcément, on a plus de patients que d'habitants. Un second médecin, ce serait bien. "
Le collectif "Médecins solidaires" l'envisage aussi. "On l'a déjà fait dans d'autres territoires", explique le Dr Martial Jardel. "Mais on n'a pas encore fixé de date ni de promesse parce qu'il faut trouver dans quel espace est-ce que nous pourrons installer ce médecin. Aujourd'hui, dans le centre, il n'y a pas forcément la place. C'est quelque chose qui se réfléchit et on aimerait beaucoup."
Le collectif ne veut pas aller trop vite pour ne pas perdre en crédibilité. "Le principe plaît aux médecins puisque 50 % d'entre eux reviennent. 25 % sont même revenus deux fois. Mais comme les 80 000 médecins généralistes de France ne sont pas au courant que le projet existe, on ne peut pas encore ouvrir des centres partout. Il faut qu'on ait un cheminement de notre notoriété dans la conscience collective pour qu'on ait plus de médecins et donc plus de solutions pour aider plus de gens", complète le cofondateur du collectif.
Pour le moment, le collectif "Médecins solidaires" n'a pas d'autre projet d'installation dans la région Centre-Val de Loire. "Mais nous étudions chaque département," assure le Dr Martiel Jardel.
Un dispositif complémentaire des médecins salariés
Pour faire face à la désertification médicale, la région Centre-Val de Loire s'était lancée en 2019 le défi de recruter 300 médecins salariés dans des centres de santé en huit ans.
5 ans plus tard, l'ambition a été revue à la baisse. 63 médecins salariés se sont installés dans les six départements et sont employés et rémunérés par le GIP (groupement d'intérêt public) pro Santé, créé en 2021 pour l'occasion. Il bénéficie d'une aide financière de la Région.
Grâce à ces recrutements, 23.000 habitants de la région ont retrouvé un médecin traitant.
"Il y a peu de médecins libéraux qui s'installent dans cette région. Donc la solution des médecins salariés nécessite d'être portée. Elle a des effets positifs. Il y a une telle immédiateté du besoin, si on ne va pas tous par tous les chemins que l'on peut avoir, par tous les projets et toutes les bonnes volontés, on n'y arrivera pas. Personne n'est en position de dire qu'il peut résoudre le problème seul," conclut le Dr Martial Jardel.
En 2020, 500.000 habitants de la région Centre-Val de Loire n'avaient pas déclaré de médecin traitant soit un habitant sur cinq.