Les enseignants essaient à la fois de suivre le programme très chargé et d'alléger la charge de travail des élèves

Les enseignants du second degré sont inquiets. Non seulement leur charge de travail a considérablement augmenté avec le confinement mais ils craignent que de nombreux élèves décrochent. Et quid de l'organisation de l'oral de français, seul examen maintenu pour les lycéens à ce jour ? 

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Ruth Parry est professeure de français au lycée Choiseul à Tours. Depuis le début du confinement ses journées de travail ont été considérablement rallongées. "Tout ce qui est dit à l'oral doit être écrit. Il faut que je me mette à la place des élèves en difficulté pour être certaine qu'ils intègrent bien les notions que je veux leur transmettre. Cela prend beaucoup de temps."

Cette enseignante jongle entre ses cours et les devoirs à la maison de sa fille de 11 ans. "C'est épuisant. Je passe des heures derrière les écrans. On doit préparer et déposer les cours, communiquer collectivement et individuellement avec les élèves, corriger les copies et viser le travail effectué.  Heureusement que je suis à temps partiel cette année. "

Ruth pense à ses collègues à plein temps. "Je ne sais pas comment ils font. J'ai des collègues qui ont 220 élèves. Comment voulez-vous répondre à chaque sollicitation ? Corriger chaque copie rendue ? "

Le plus difficile : ne pas avoir les élèves en face

Cette crise aura révélé une certitude : rien ne remplace un enseignant en présentiel. " On apprend aussi dans la relation", explique l'enseignante.

"Quand on travaille en visio-conférence, ce n'est pas pareil. On ne voit pas la réaction des élèves. Ceux qui suivent et ceux qui décrochent... On ne remplacera jamais un enseignant qui ajuste sa parole en fonction des réactions des élèves, de leur acquisition de notions nouvelles. "
 


Lalao Rakotozafy, professeure de lettres classiques au lycée Pothier à Orléans et représentante du SNES, syndicat majoritaire des enseignants du secondaire, confirme la difficulté de l'enseignement à distance : " On a l'impression que les élèves attendent beaucoup de nous. Mais on n'a pas beaucoup de réactions de leur part. C'est démoralisant."

Elle constate : " Par exemple, j'ai envoyé trois devoirs à rendre depuis le début du confinement. Le deuxième, la moitié de la classe me l'a rendu. Le troisième, seuls deux élèves ont rendu un devoir.

La démotivation, ces enseignantes s'en inquiètent : " Les élèves ont plutôt l'habitude d'être passifs en classe. Là, on leur demande tout d'un coup d'être actifs dans toutes les disciplines. Il faut qu'ils s'impliquent plus. Du coup, certains décrochent, surtout en section technologique," confie-t-elle. 

La peur du décrochage 

Selon les statistiques de l'Education nationale, 5 à 8 % des élèves n'ont plus du tout donné de nouvelles à leurs professeurs depuis le début du confinement. 

Les professeurs du lycée Pothier à Orléans ont fait un sondage pour savoir si tous ses élèves pouvaient suivre les cours à distance et comment ils vivaient le confinement.

Sur les 1201 élèves en secondaire que compte le lycée Pothier, 68% ont répondu en grande majorité qu'ils vivaient mal le confinement. "Dans ma classe STMG, ils sont 24 élèves. 13 seulement ont répondu au sondage. En grande majorité, ils disent qu'ils sont un peu perdus, qu'ils ont trop de travail, que c'est difficile. " 

Dans son lycée Choiseul à Tours, Ruth, professeure de français, a réalisé un sondage auprès de ses élèves. Elle voulait savoir s'ils étaient en capacité notamment techniques de suivre ses cours. 

" J'ai des élèves qui n'ont pas d'ordinateur. Certains n'ont qu'un téléphone portable. Cette situation est très inégalitaire. "
Et elle ajoute : " J'ai une élève très sérieuse qui travaille 6 heures par jour. Ils sont 5 sur un ordinateur dans son foyer. " 

Beaucoup risquent de décrocher. Le problème pour cette enseignante c'est qu"'ils sont peu nombreux à se dire qu'il faut qu'ils travaillent pour eux-mêmes. Les autres s'ils ne sont pas accompagnés par leurs parents risquent de décrocher. Et je sais à quel point c'est difficile pour les parents qui doivent télétravailler et s'occuper des enfants plus jeunes qui ont aussi des devoirs. "

Lalao Rakotozafy confirme. "Dans chaque classe, au moins 10 élèves sont en difficulté par manque de motivation ou à cause de problèmes matériels. Les conditions sociales influent énormément sur la continuité pédagogique."  

Apprendre en temps record l'enseignement à distance


Ruth Parry tente de prendre du recul pour ne pas trop angoisser. " Il a fallu changer notre pédagogie, apprendre en un temps record l'enseignement à distance via des tutos et des échanges entre collègues. Les retours des élèves ne sont pas toujours concluants. Les profs font beaucoup d'efforts et beaucoup d'élèves s'accrochent malgré les difficultés. "
 

L'oral du bac français : seul examen maintenu

L'écrit du bac français a été remplacé par une évaluation en contrôle continu. Pour les enseignants c'est un soulagement mais comment évaluer le troisième trimestre en contrôle continu ? " On ne doit pas noter les travaux rendus au troisième trimestre pendant le confinement ce qui est normal mais le ministère nous demande d'évaluer l'assiduité des élèves pendant le confinement. Comment savoir pourquoi ils ne sont pas assidus ? Quelles sont réellement leurs difficultés? Comment garder le plus d'équité possible entre les élèves ?", se demande Lalao Rakotozafy.

Quant à l'examen oral du bac français... C'est le flou le plus complet. " On vient d'apprendre que les élèves seront évalués sur 15 textes au lieu de 20 en voie générale et sur 12 textes au lieu de 16 en voie technologique. Le problème c'est qu'en moyenne seuls 8 textes ont été travaillés en classe. Les autres doivent être préparés pendant le confinement. Est-ce équitable vu les disparités entre les élèves ?" 
 

Le SNES a lancé une pétition qui demande l'annulation de l'oral de français.

"Le nombre de textes demandés est important, notamment dans la voie technologique. Atteindre les 15 textes demandés dans la voie générale et 12 dans la voie technologique imposerait de travailler de nouveaux textes à distance, ce qui est impossible pour bon nombre d’élèves et professeurs (situation matérielle ou personnelle, dont la maladie) et donc amplifierait les inégalités (comme le montrent tous les témoignages de ces dernières semaines). Et ce ne sont pas les quelques heures de programmes « Nation Apprenante » qui vont remplacer les cours d’un professeur !", peut-on lire sur le site du SNES. 

" De toute façon, même si l'oral a lieu fin juin, est-ce que les conditions de sécurité pour les enseignants et les élèves seront mises en place ? Est-ce qu'on aura des masques, du gel hydro-alcoolique ? On en doute vu la situation des hôpitaux, "conclut Lalao Rakotozafy . 

Sur tous ces points le syndicat de l'enseignement dans le secondaire ( SNES ) demande des clarifications au ministère de l'Education nationale. 


 
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