Le camp d’internement de Voves en Eure-et-Loir est peu connu, sans doute trop peu au regard de l’incroyable évasion qui y a été organisée dans la nuit du 5 au 6 mai 1944 et qui a inspiré le célèbre film de John Struges, La grande évasion.
Du camp qui a autrefois accueilli 2030 internés, il ne reste plus grand-chose de visible aujourd'hui. "Une plateforme en ciment qui était la plateforme de la baraque des cuisines et quelques vestiges de la baraque des douches sur lesquelles on a construit un abri", détaille Etienne Egret, l’intarissable secrétaire du Comité du souvenir du camp de Voves. Le temps, mais aussi la volonté des habitants de tourner une sombre page de l’histoire du village, ont peu à peu effacé les traces de ce qui fut à la fois un lieu de détention et de résistance.
"Tout ce qu’ils faisaient, ils le faisaient avec arrière-pensée, avec un objectif caché"
À 85 ans, Etienne Egret est de ceux qui œuvrent pour la mémoire de ce lieu. Il a déjà coécrit trois ouvrages sur le camp de Voves et s’apprête à bientôt en sortir un quatrième. Durant de longues années, avec le comité du souvenir, il a fait ériger un mémorial en forme de pyramide qui matérialise l’entrée du camp, créé un musée dans un ancien wagon de déportation offert par la SNCF et surtout, a inlassablement collecté la parole des anciens internés, ceux qui sont parvenus à revenir vivant après leur déportation de Voves vers les camps de la mort, mais aussi de ceux qui ont réussi à s’en échapper.
[HOMMAGE AUX RÉSISTANTS, INTERNÉS, DÉPORTÉS, FUSILLÉS DU CAMP DE VOVES]
— Préfet d'Eure-et-Loir 🇨🇵 (@Prefet28) May 12, 2023
Découvrez l’histoire du camp de Voves.
Lieu historique, ce camp d’internés politiques et de résistants, a été utilisé du 5 janvier 1942 au 9 mai 1944.
- Dimanche 14 mai | Mairie de Voves | 9h30 pic.twitter.com/XuVbvls6u3
En plein milieu de la Beauce, un peu à l’écart du village, un terrain de près de 9 hectares entouré de barbelés sur lequel étaient disposés 67 baraquements constituait le centre de séjour surveillé de Voves comme on l’appelait en 1942, année de son ouverture.
Un camp d’internement, "pour ne pas dire de concentration", corrige Etienne Egret. "Chaque camp avait sa spécificité. Voves, c’étaient en grande majorité des politiques et des résistants. Communistes ou syndicalistes pour la plupart. Le site était dirigé par des gendarmes français à la solde du régime de Vichy."
"Les prisonniers n’y sont pas soumis au travail obligatoire mais doivent entretenir le camp en y effectuant travaux et cultures. À l’intérieur, c’est une petite civilisation qui se met en place. Ils s’instruisaient, partageaient tout. Les bonnes et les mauvaises nouvelles, faisaient du sport, se donnaient des cours. Ils ont même créé une université", relate Etienne Egret. "Le directeur du camp laissait faire certaines choses pour instaurer un calme relatif. Il estimait que faire du sport, c’est bien parce qu’on entretient sa santé."
Mais les internés, eux, pensaient à entretenir leur condition physique pour pouvoir s’évader. Ils estimaient aussi que plus ils étaient instruits, moins ils étaient opprimés. Tout ce qu’ils faisaient, ils le faisaient avec arrière-pensée, avec un objectif caché.
Etienne Egret
Car si le camp de Voves parle moins aux habitants du Centre-Val de Loire que ceux de Pithiviers ou de Beaune-la-Rolande, sa notoriété a pourtant traversé l'Atlantique, jusqu'aux studios d'Hollywood. Et ce qui a poussé les cinéastes à s'y intéresser, ce sont ses multiples évasions réussies dont la dernière fut particulièrement spectaculaire.
Des évasions plus ingénieuses les unes que les autres
Certains internés profitent ainsi de séjours de soins à l’hôpital de Chartres, de visites chez le médecin ou de travaux dans les fermes pour prendre la clé des champs. D'autres en revanche, rivalisent d'imagination et élaborent des stratagèmes inédits. Dix internés ont par exemple réussi à s'échapper en se déguisant en gendarme.
Comme ils avaient créé un théâtre, ils montaient des pièces. Ils étaient gardés par des gendarmes français et avaient donc leurs uniformes sous les yeux 24h/24. Ils se sont donc fabriqué des costumes et ont passé la porte principale en tenue de gendarmes au nez et à la barbe des gardes.
Etienne EgretSecrétaire mémoire du Comité du souvenir du camp de Voves
Pour trois autres prisonniers, c'est le nourrissage quotidien du cochon d'un paysan du coin qui offre une occasion de prendre la poudre d'escampette. "Tous les jours, trois prisonniers de droit commun amenaient les détritus du camp au paysan dans une charrette à bras pour nourrir l'animal. Mais un jour, les trois prisonniers qui devaient accomplir cette mission se sont retrouvés malades. On a su plus tard que des résistants leur avaient confectionné un gâteau dans lequel ils avaient glissé des médicaments volés à l'infirmerie pour les rendre malades. Le directeur du camp accepte donc que trois autres internés politiques aillent soigner le cochon. Arrivés à la ferme, ils disent au gardien qui les accompagne que le cochon a l’air d’avoir une patte cassée. Le gardien se baisse et ils en profitent pour le neutraliser avec du chloroforme, là encore piqué à l’infirmerie. Ils le ficellent et s'enfuient. Évasion réussie !"
Nuit du 5 au 6 mai 1944 : la grande évasion
De 1942 et 1944, vingt-et-une évasions sont recensées à Voves et soixante-quinze prisonniers regagnent leur liberté de différentes façons, toutes plus ingénieuses les unes que les autres. Mais aucune ne l'est autant que "la grande évasion" de la nuit du 5 au 6 mai 1944 durant laquelle quarante-deux internés s'enfuient par un tunnel de 148 mètres de long sur deux mètres de profondeur.
Ils ont donné le premier coup de pioche le 19 février 1944 dans la salle de douches. Ils sont partis avec l'idée que cette baraque serait moins risquée, car elle se trouve au centre du camp. Elle est donc moins surveillée que celles qui se trouvaient aux abords de la clôture.
Etienne Egret
Durant trois mois, les prisonniers piochent sans discontinuer, avec des outils de fortune fabriqués à partir de bois volé à l'atelier de menuiserie et de métal arraché à quelque mobilier puis chauffé à la cuisinière pour être forgé. La terre, elle, est remontée par de petits wagons en bois. Tout le creusage se fait à genoux ou sur le ventre. Parmi les ouvriers, d'anciens mineurs de fond qui se chargent d'étayer les parties les plus fragiles. "Ils étaient très bien organisés", relate Etienne Egret. "Les tâches étaient réparties entre eux. Il y avait les équipes de surface, celles de fond et les équipes de surveillance. C’est incroyable d’imaginer ce que ça a nécessité comme volonté."

André Thibault, alias lieutenant Serge Morin, un résistant interné à Voves et décédé en 2005, fait partie des évadés. En 1994, il raconte à France 3 Centre-Val de Loire à quoi ressemblait l'incroyable "chantier". "Le plus pénible était le manque d'air qui faisait que des camarades, et surtout les camarades qui étaient en train de piocher – c'était chacun notre tour bien entendu – tombaient en syncope par manque d'air. Par exemple, on ne pouvait pas allumer une allumette, le phosphore ne brûlait pas."
"Ils ont dû sortir 72 mètres cubes de terre, ça équivaut à 5 camions-bennes"
Pour des hommes affaiblis psychologiquement et physiquement et équipés d'outils de fortune, le chantier est titanesque. Etienne Egret a fait le calcul : "Ils ont dû sortir 72 mètres cubes de terre. Ça équivaut à 5 camions-bennes." Le tout au nez et à la barbe des gendarmes desquels ils doivent aussi parvenir à dissimuler la terre qu'ils excavent. Stockée un moment dans les faux plafonds de la cabane, il faut rapidement trouver une autre solution sans quoi, ces derniers menacent de s'effondrer sous le poids des gravats. "Et puis finalement, la terre est sortie la nuit et le matin, un jardinier mélangeait et alignait tout ça dans le potager du camp avec des planches. Le pire, c'est que la direction était contente car elle trouvait que le jardin était bien entretenu."
Le tunnel débouche enfin sur une sortie, située dans une culture de blé, et les 42 mineurs de fortune s'évadent en rampant par l'étroit goulot mais aussi tout le long du champ pour ne pas être repérés. Les deux derniers à sortir sont chargés de dissimuler les traces en plaçant une plaque à l'entrée du tunnel et de la terre à sa sortie, tout en prenant soin d'y repiquer quelques plants de blé.
Le lendemain, l'absence des 42 détenus est forcément remarquée. Les gendarmes mettent plusieurs heures à trouver, d'abord la sortie du tunnel, puis finalement l'entrée dans les douches en remontant l'ouvrage. "En découvrant tout ça, un officier allemand a dit en français "c’est un bon travail !", s'amuse Etienne Egret. La plupart des évadés regagnent ensuite la résistance jusqu'à la libération, y laissant la vie pour certains.
Pour les autres internés, ceux qui n'ont pas eu l'opportunité de s'échapper, la suite des évènements est encore plus funeste. Trois jours après la grande évasion, le camp est liquidé et les prisonniers transférés vers l'Allemagne. André Migdal, arrêté à 16 ans et demi, est de ceux-là. "Quand on reste au camp on a deux hypothèses : la fusillade ou la déportation. C'est mon cas. Alors la déportation, quand on rentre dans un camp, c'est quasiment une condamnation à mort à plus ou moins long terme", relatait-il devant nos caméras en 1994. Comme lui, 605 hommes ont été déportés du camp de Voves vers Compiègne puis vers les camps nazis. Parmi eux, seuls 194 reviendront.
"Quand ils ont su qu’on allait parler d’eux, ils étaient heureux. Mais quand ils ont vu le film, c’était la déception"
Quelques années plus tard, l'histoire rocambolesque de Voves s'est propagée jusqu'à Hollywood qui a choisi de s'en inspirer dans un film. "La grande évasion" sort au cinéma en 1963. L'action ne se déroule pas à Voves mais dans le stalag Luft III à Sagan en Pologne, un camp qui a aussi réellement existé et ou des évasions ont également eu lieu. Mais certains éléments du film sont clairement inspirés de l'histoire du camp eurélien. "Et puis André Thibault avait reçu des cinéastes américains qui l'avaient interviewé pour faire ce film", affirme Etienne Egret." Les petits chariots, un croquis réalisé par un évadé qui explique comment les petits chariots se croisent, le système d’aération mis en place ou encore l’évadé myope et le claustrophobe… Tout cela a bel et bien existé à Voves."
Pourtant, il n'existe aucune mention, aucune référence au camp eurélien dans la superproduction de John Struges, "pas même dans le générique", déplore Etienne Egret. "C’est injuste pour les évadés. Quand ils ont su qu’on allait parler d’eux, ils étaient heureux. Mais quand ils ont vu le film, c’était la déception. Ils étaient frustrés au possible."
De l'épopée de la grande évasion et du camp de Voves, il reste donc ce film pour ceux qui en connaîtraient les références, mais aussi et surtout le mémorial, son arboretum, son wagon-musée et les vestiges de l'entrée du souterrain que le comité du souvenir d'Etienne Egret continue d'entretenir et de faire vivre.
Régulièrement, le site ouvre ses portes aux groupes et aux scolaires qui peuvent même descendre dans l'étroit tunnel pour se rendre compte de l'exploit accompli par les 42 évadés. "La mémoire de ces gens pour moi est importante. Je pars du principe que si on est dans un pays libre aujourd’hui c’est grâce à eux, qui ont donné de leur vie. Tout ce qu’ils ont pu faire il fallait avoir le culot de le faire. Il faut se demander si on l’aurait fait à leur place."