C'est la guerre ! Face à la désertification médicale, les communes prêtes à tout pour faire venir des médecins

Les agglomérations de Chartres et Orléans ont adopté des chartes de non-concurrence, visant à limiter la guerre à laquelle se livrent certaines communes pour attirer des médecins sur leur territoire. Une manière de réguler une surenchère d'offres entre territoires.

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Un simple texte avant tout symbolique. Mais un texte qui vient mettre le holà face à la multiplication de certaines pratiques peu loyales entre communes, communautés de communes, parfois même entre départements. "Cette charte existe pour que, dans les 66 communes de l'agglomération, on ne se fasse pas des petites guerres, à se dire : "J'essaie de capturer le médecin du village d'à côté, je vais lui donner des avantages, et comme ça, j'aurai un médecin", explique Jean-Pierre Gorges.

Maire (divers droite) de Chartres et président de l'agglomération chartraine, il a soutenu l'idée de création d'une charte de non-concurrence entre les communes de l'agglo. L'idée : "Travailler ensemble, pour construire un système de santé de ville."

Une guerre contre-productive

Car la surenchère entre collectivités s'est développée ces dernières années, à la faveur d'une démographie médicale toujours plus précaire et inégalitaire. Selon un rapport sénatorial daté d'octobre 2021, la guerre des "opérations séduction" fait rage. Et, en voulant "attirer des médecins", ces opérations peuvent "conduire à des tensions concurrentielles entre les territoires et à accentuer ainsi la désertification".

Aide à l'installation, prise en charge du logement, embauche de secrétaire, loyer aménagé, le tout à coup d'argent public. Pour certains territoires totalement désemparés, rien n'est trop beau pour faire venir ne serait-ce qu'un seul médecin dans un village perdu au fond d'un désert médical. Le problème, c'est qu'un maire ayant débauché un médecin d'une commune proche "rendra peut-être des personnes heureuses, mais il va faire le malheur de l'autre", lance Jean-Pierre Gorges.

Dominique Soulet, maire du Coudray et conseiller de l'agglomération chartraine aux relations avec les établissements de santé, rapporte quelques exemples locaux récents. "Des médecins ont quitté l'agglomération pour aller ailleurs dans le département", affirme-t-il.

Dans le Loiret, même constat. En avril 2024, quatre médecins généralistes ont quitté Ligny-le-Ribault pour s'installer dans la maison de santé de Jouy-le-Pottier, à 8 kilomètres de là. Selon le maire de Jouy, les praticiens n'ont eu aucun traitement de faveur particulier. Et les médecins mettent en avant des retards pris dans des travaux à réaliser sur leur ancien cabinet, détenu depuis peu par la commune.

Vers un déséquilibre entre communes aisées et communes pauvres

Reste que, si les bonnes raisons s'accumulent, les frustrations aussi. Christophe Tafani, président du conseil de l'Ordre des médecins dans le Loiret, ne veut pas pointer du doigt. Mais il a lui aussi constaté "des villes se faisant de la concurrence pour attirer des médecins" dans la métropole d'Orléans.

Dans la métropole, il y a des municipalités qui sont allées picorer dans le poulailler de la voisine. J'ai déjà reçu des maires pas contents, parce que leur médecin avait été attiré par des sirènes voisines.

Christophe Tafani, président du conseil départemental de l'Ordre des médecins du Loiret

Ainsi, des communes plus aisées "sont en mesure d'offrir un peu plus que les autres". Ce qui crée un déséquilibre entre villes voisines, l'une se retrouvant désertifiée tandis que l'autre dispose d'une maison de santé bien remplie. Du côté de Chartres, les communes s'alignent sur "une absence d'avantages" donnés aux médecins arrivants : "Dès qu'un médecin s'installe dans l'agglomération, dans un délai bref, son carnet de rendez-vous est bien rempli, donc il n'a pas besoin d'avantages", soutient Dominique Soulet.

Christophe Tafani, et l'Ordre avec lui, affirme donc être favorable à ces chartes de non-concurrence. "Il faut que les maires s'engagent à travailler ensemble, pour organiser la répartition des médecins, dans l'intérêt des patients", estime-t-il.

Car, la médecine de ville étant libérale, rien n'empêche un médecin de s'installer où il le veut. Et, malgré toute la déontologie du monde, difficile de ne pas accepter des offres toujours plus attrayantes. "On est tous humains. Si des conditions sont plus favorables à un autre endroit...", souffle le président du conseil de l'Ordre des médecins du Loiret.

Attention aux répercussions

Dans l'agglomération de Chartres, 56 communes sur 66 ont voté pour la charte, lancée en mai 2023, et trois ont voté contre. Et, malgré l'absence de réelles données, Jean-Pierre Gorges estime que la mesure a été "très efficace". Car, si le texte ne permet pas de "punir" un maire réfractaire et "franc-tireur", l'agglo peut rétorquer. "Quand le village aura des besoins sur des dispositifs de redistribution, on pourra lui dire qu'il ne joue pas beaucoup le jeu sur la santé, donc qu'on ne va pas forcément l'aider sur d'autres dépenses pas obligatoires", soutient le président de l'agglomération.

En juillet 2024, la métropole d'Orléans a emboîté le pas à la capitale de l'Eure-et-Loir. Le conseil métropolitain a ainsi adopté à l'unanimité une charte de "bonnes pratiques", explique Florent Montillot, adjoint au maire (DVD) d'Orléans et vice-président de la métropole, notamment chargé des projets d'installation et de maintien des professionnels de santé.

Une charte "un peu différente" de celle signée à Chartres, mais avec le même objectif : "Ne pas se piquer de médecins entre nous, en donnant une prime supplémentaire." Depuis le vote, "les trois quarts des communes ont ratifié le texte", assure Florent Montillot. Et les autres devraient suivre.

Le rapport sénatorial de 2021 estimait d'ailleurs que "l'échelon intercommunal ou départemental" paraissait "le plus adapté à la mise en œuvre coordonnée des actions dans le domaine de la santé". Un moyen de réfléchir à l'échelle d'un bassin de vie, voire d'un territoire plus large, plutôt qu'à celle réductrice de la commune.

Répartition équitable à l'échelle de la région

Au niveau régional aussi, on réfléchit à comment faire. En Centre-Val de Loire, le président socialiste du conseil régional défend "un regard structurel" sur l'ensemble du territoire. Que ce soit dans l'implantation de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) cofinancées par des moyens publics (François Bonneau en promet 125 dans la région à la fin de l'année 2025), que par l'embauche de médecins salariés (promesse initiale de 150, ils devraient être 70 à la fin de l'année).

Par cette dernière mesure, lancée en novembre 2019, la collectivité estime pouvoir mieux réguler l'installation de médecins, en fonction des territoires, dans un travail commun avec l'Agence régionale de Santé. "Quand je recrute un médecin salarié, nous lui présentons plusieurs endroits possibles, là où les besoins sont forts et qu'il n'y a pas de conflit avec les MSP", explique-t-il.

Une intervention publique qui "n'offre pas d'espace à la surenchère", assure le président de la région : toutes les demandes sont mises à égalité entre les différents endroits proposés, et la rémunération se calque sur la grille de la fonction publique hospitalière. Rien ne permet de favoriser une commune plus qu'une autre, à part la commune elle-même et son environnement.

Et, quitte à ne pas mettre les communes de la région en concurrence entre elles, le Centre-Val de Loire veut éviter d'être en concurrence lui-même avec d'autres régions.

Nous voulons que des internes puissent venir. Que ce soient des gens qui doivent venir parce que leur conjoint est muté. Qu'on attire des jeunes qui ne sont pas encore installés, ou qui ne font que des remplacements. On ne fait pas une offre pour déshabiller Pierre pour habiller Paul.

François Bonneau, président du conseil régional du Centre-Val de Loire

Car, à la fin, dans un système de santé où le nombre de médecins est fini, faire venir un médecin chez soi, c'est priver une autre zone de ce même médecin. En attendant les effets du rehaussement du numerus clausus, qui ne devraient pas voir le jour avant 2030, les déserts médicaux doivent composer avec ce système de vases communicants, qui ne s'équilibrent jamais.

La seule solution, l'obligation ?

Reste que, de facto, "les politiques de santé ne sont pas du ressort des collectivités locales, donc c'est un no man's land, il n'y a pas de règles", assène André Laignel, maire socialiste d'Issoudun et vice-président de l'Association des Maires de France (AMF). Du moins, pas de règles réellement coercitives. Résultat :

Au nom du libéralisme de la profession, un certain nombre de médecins se refusent à être orientés vers des zones défavorisées. Alors qu'un certain nombre de leurs revenus sont publics, via la Sécurité sociale. Il y a une absence d'autorité de l'État.

André Laignel, vice-président de l'Association des Maires de France

Lui se dit donc favorable à la régulation de l'implantation géographie des médecins. Un serpent de mer toujours chassé au large, remis sur la table par une proposition de loi transpartisane en 2023.

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