"La coop, ça nourrit le corps et l'esprit" : l'expérience étonnante des épiceries libres dans le Sud Touraine

Loin des sentiers battus de l'économie marchande, une épicerie libre a vu le jour en 2023, à Preuilly-sur-Claise. Sans chef ni salarié ou obligation quelconque, cette coopérative alimentaire autogérée repose sur l'entraide et la confiance entre ses adhérents.

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Aux confins de l'Indre-et-Loire, de l'Indre et de la Vienne, Preuilly-sur-Claise abrite un commerce de village pour le moins atypique. Le Champ Libre en effet n'est pas une simple épicerie associative ou solidaire de plus. Ici, l'adhésion n'oblige personne à faire quoi que ce soit, chacun peut prendre des initiatives en toute autonomie, chacun est libre d'aider (ou pas) selon ses envies, ses disponibilités.

À l’origine de cette initiative, Galaad Deboffle, un nouveau venu dans le village, proche des théories anarchistes, de l'état d'esprit libertaire :

"Je me suis installé à Preuilly avec ma compagne et ma fille et, puisque nous essayons de consommer des produits bio et locaux, nous devions faire une demi-heure de voiture pour nous ravitailler. J'avais eu connaissance des premières épiceries libres et libertaires, imaginées par des copains de la mouvance anar en Seine-Saint-Denis, il y a une dizaine d'années. J'ai eu envie d'essayer le même modèle à Preuilly-sur-Claise."

Une aventure humaine dans l'esprit libertaire

Galaad commence à évoquer son projet à droite et à gauche, il parvient à convaincre une quinzaine de personnes décidées à l'épauler au démarrage. C'est-à-dire commencer par fonder une association :

L'objet est une coopérative alimentaire autogérée, mais nous n'avons pas ce statut juridique, nous sommes une asso loi 1901. On tient pourtant à ce terme de coopérative pour ce qu'il implique, l'idée de travailler ensemble, un fonctionnement par et pour ses membres. Il y a aussi une filiation historique avec les coopératives ouvrières de consommation montées à Lyon au XIXème siècle.

Galaad Deboffle, fondateur du Champ Libre, à Preuilly-sur-Claise

Reste à trouver un local pour Le Champ Libre, le nom retenu pour la future épicerie. "On ne voulait pas d'un lieu prêté par la mairie, pour garder une totale indépendance nous ne réclamons ni aides, ni subventions", précise encore Galaad. La boutique d'une ancienne couturière, au cœur de Preuilly, fera donc parfaitement l'affaire.

Un modèle adapté au milieu rural

En calculant le coût annuel des charges, dont le loyer du local, les membres de l'association établissent à 40 € le montant de l'adhésion, qui vaut accès au magasin. Chacun apporte en plus la somme qu'il souhaite, 10, 100 ou 1000 €, pour fournir les stocks de l'épicerie. Cette somme constituera la cagnotte de l'adhérent, dont seront déduites ses courses au "Champ Libre" (pas d'argent dans le magasin).

Les jours d'ouverture du Champ Libre, le va-et-vient est permanent et la bonne humeur est de mise. © P. Ferret / France3 CVDL

"C'est un système qui marche parfaitement bien, se réjouit Galaad, et qui est vraiment adapté aux réalités de la campagne. Il recrée du lien social, permet de belles rencontres là où plein de commerces sont fermés, où manquent de nombreux services. Nous proposons une alimentation bio et accessible car nous ne faisons pas de marges. Cela ne demande pas grand-chose, chacun met ce qu'il veut et, dès qu'on a assez d'argent, on peut aller chez un grossiste ou passer commande directement auprès de petits producteurs locaux."

Devant la balance qui sert à peser les denrées en vrac, on croise deux adhérentes, Evelyne et Roseline, en pleine discussion. Elles ne tarissent pas d'éloges lorsqu'on les interroge sur l'ouverture de cette coop' autogérée dans leur commune :

"Le but n'est pas de faire ses courses et s'en aller"

"Je suis vraiment ravie, ça me rappelle un peu ma jeunesse, ce côté communautaire, sourit Roseline. Je ne pensais pas trouver ça ici à Preuilly, j'avais des a priori, il me semblait que c'était trop cloisonné, trop fermé pour que ce genre d'endroit soit possible".

"Le but, ici, n'est pas de faire ses courses et s'en aller, ajoute Evelyne. On rencontre plein de personnes, on crée ou on approfondit des liens. On habitait à 200 mètres l'une de l'autre, on se disait juste bonjour. Ensemble aujourd'hui, on peut aller cueillir des kiwis dans le Maine-et-Loire ou chercher le meilleur fromage de chèvre local..."

Même les Bodin's, en voisins curieux, sont venus au Champ Libre et ont validé cette belle aventure...

Reste ce grand mystère : puisqu'il n'y a ni patron, ni salariés, ni planning établi pour les adhérents, qui donc fait tourner la boutique ? Qui passe les commandes, dispose les produits en rayons, assure les permanences d'ouverture, fait le ménage du local ?

Nous fonctionnons sur un modèle vraiment horizontal, d'inspiration libertaire, empreint de l'idée de ne pas obliger, de laisser les gens libres de faire ce qu'ils veulent dans l'épicerie. Chacun peut contribuer en faisant venir un produit, en le mettant en rayon ou en faisant un peu de ménage. Quand on ne contraint pas les gens, ils s'investissent s'ils trouvent que c'est nécessaire. Ils font ce qu'ils aiment ou savent faire, en fonction de leurs disponibilités.

Galaad Deboffle, fondateur du "Champ Libre", coopérative alimentaire autogérée

Galaad ajoute en souriant que si un adhérent souhaite mettre du Coca en rayon, nul ne l'en empêchera. Ou que si personne n'est disposé à assurer une permanence, le magasin restera fermé et ce n'est pas bien grave.

Au Champ Libre, on apprend à jouer avec d'autres règles... © P. Ferret / France3 CVDL

L'inspirateur du Champ Libre estime qu'un bon tiers des120 adhérents s'investit vraiment. Mais l'organisation évolue en permanence et, si certains finissent par s'arrêter, d'autres prennent le relais.

Des permanences pleines de vie et de belles rencontres

L'accès au Champ Libre reste en fait possible 24h/24 et 7j/7 : un boîtier contenant la clé, dont tous les adhérents ont le code, a été installé. Chacun peut faire ses courses quand bon lui semble, en faisant ses calculs et en notant simplement le montant de ses emplettes sur la fiche prévue à cet effet...La confiance, toujours !

Adhérente de la première heure, Sandrine trouve toujours son bonheur au Champ Libre... © P. Ferret / France3 CVDL

Mais "certains ne sont pas à l'aise avec ce système, relève Galaad. Ils ont peur qu'on les soupçonne de tricher, ou préfèrent tout simplement venir aux permanences, qui sont toujours très vivantes. On y trouve des enfants et leurs parents, des personnes âgées qu'il faut aider dans leurs calculs, d'autres qu'il faut aider pour peser le vrac, un peu de lecture, livres et journaux, de quoi boire un café..."

Les permanences du Champ Libre coïncident avec les horaires des marchés à Preuilly-sur-Claise, les jeudis et samedis matin. Ce qui permet aux habitants d'acheter leurs produits frais, leurs fruits et légumes, notamment, puis de compléter leurs courses en passant à l'épicerie.

Le Champ Libre est situé en plein centre de Preuilly-sur-Claise, sur la place même où se tient le petit marché, tous les jeudis et samedis. © P. Ferret / France3 CVDL

"Le marché est parfait pour les produits frais, alors nous proposons surtout de l'épicerie sèche : des condiments, des conserves, des céréales, des huiles, des produits en vrac. Toujours des produits de bonne qualité, et bio et locaux quand c'est possible. Nous travaillons maintenant avec 15 producteurs locaux. Mais nous avons aussi des produits d'hygiène et d'entretien. On a acheté un petit frigo dans lequel on trouve quelques fromages locaux ou des plaquettes de beurre, mais globalement ce ne sont que des produits de longue conservation, ce qui permet aussi d'éviter les pertes."

Un vent libertaire souffle sur le Sud Touraine

En un peu moins de deux ans, le champ libre est devenu incontournable dans le Sud Touraine, l'expérimentation humaine et sociale a fait ses preuves : montée en quelques mois par une quinzaine de personnes, la coopérative comptait 100 adhérents fin 2023, 120 en 2024. Les inscriptions sont en cours, mais les adhésions vont sans doute encore augmenter en 2025.

La réussite est telle que l'idée fait son chemin, le Champ Libre commence à essaimer dans le Sud Touraine :

"La moitié des adhérents n'habitent pas à Preuilly. En se rencontrant ici, certains ont envie de monter chez eux leur propre épicerie libre. Je leur donne un coup de main, leur explique comment s'y prendre. En quelques mois après le Champ Libre, deux coopés ont vu le jour, une à Pleumartin, dans la Vienne, et une à Vou en Indre-et-Loire", jubile Galaad.

D'autres projets sont en cours de réalisation et l’idéaliste fondateur du Champ Libre voit encore un peu plus loin : il aimerait développer son modèle de coopérative alimentaire autogérée pour les plus démunis, en partenariat, peut-être, avec les Restos du cœur ou la Croix-Rouge.

Contact et adhésion : preuillycoop@riseup.net

En savoir plus sur les épiceries libres : cooplib.fr

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