Les choses évoluent même pour les notaires. Un décret du 4 avril dernier leur permet de réaliser des ventes à distance en visioconférence avec un système de signature sécurisée. On fait le point sur ce dispositif, sur les mesures mise en place et sur le marché à l'arrêt de l'immobilier.
Des actes authentiques à distance
Une décision importante a donc été prise par le gouvernement pour aider tout un secteur, mais aussi les Français, à traverser cette période sans précédent. Un décret paru samedi 4 avril au Journal officiel autorise durant la période d’urgence sanitaire les notaires à établir un acte à distance "sur support électronique lorsqu’une ou toutes les parties ou toute autre personne concourant à l’acte ne sont ni présentes ni représentées". Concrètement, successions, ventes, prêts, donations et Pacte civil de solidarité (Pacs) peuvent être signés à distance depuis votre canapé. Vous n'avez plus besoin de vous déplacer, et c'est une première dans l'histoire de la profession. Encore plus d'actualité pour les Pacs car les mairies n'assurent plus cette formalité.Publication ce jour au #JORF du décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 autorisant l'acte #notarié à distance pendant la période d'urgence sanitaire #COVID19 https://t.co/duyCOArPCT
— Notaires de France (@Notaires_CSN) April 4, 2020
Pour la présidente de la chambre des notaires d'Indre-et-Loire, Nathalie Louault, ce dispositif légal vient valider une démarche anticipée depuis près de quatre ans dans les offices du département :
Une tendance confirmée par Maître Marie Monmarché, notaire au sud de Tours : "Tout ce qui était en cours va se faire ou est en train d'être régularisé. C'est une question de temps. Même si on a eu, forcément, deux premières semaines délicates, on a fait nos premiers actes à distance cette semaine. Et beaucoup d'autres vont suivre maintenant, il fallait lancer la machine. Mais cette ordonnance du gouvernement et les mesures opportunes prises vont dans le bon sens pour affronter cette période délicate"."On est en mesure de pouvoir signer tous les actes même les hypothèques et les donations. Nous avions engagé cette mutation en Indre-et-Loire : 3/4 des études sont équipées techniquement et peuvent le faire. Comme il y a une solidarité, certains confrères le font même pour d'autres."
Pour les particuliers qui avaient engagé des démarches et signé un compromis de vente, les notaires et leurs collaborateurs peuvent suivre les dossiers et les finaliser.
Les notaires et certains de leurs collaborateurs peuvent se rendre physiquement à l'étude pour régler un dossier important. Pour Nathalie Louhaut, "on ne peut pas dire que les dossiers sont à l'arrêt mais juste retardés en raison d'un maillon qui manque parfois dans la chaîne".Les banques jouent le jeu, donc il n'y a pas de blocage à ce niveau là mais parfois il manque une pièce au dossier comme un diagnostic par exemple.
Adaptabilité et cohésion
Cette crise impacte toute une filière comme beaucoup d'autres. Il a fallu modifier les habitudes de travail en une semaine et les structures d'entreprises ont également changé très rapidement, confirme Nathalie Louhaut.
Comme beaucoup d'autres professions, il a donc fallu s'organiser et trouver un nouveau "rythme de croisière". Evidemment malgré la crise sanitaire, la vie continue pour le droit de la famille. "Nous sommes débordés de demandes depuis que le décret est passé. Nos clients ne veulent pas changer leurs plans. La frustration liée au début du confinement est passée", ajoute Me Marie Monmarché. A tel point qu'une cohésion s'est instaurée dans certaines études avec la création de groupes WhatsApp pour communiquer vite, et parfois aussi pour se détendre un peu.Les collaborateurs se sont tous mis au télétravail avec une grande adaptabilité et souplesse. Mais pour certains, passée la découverte et la période de test, ils ont manifesté leur envie de revenir dès que possible physiquement au bureau.
A Joué-lès-Tours, une des associées historiques de l'étude, Anne-Claire Marteau, envoie un lien le matin avec une musique rythmée pour lancer la journée. "Il y a un élan que je n'aurais pas soupçonné, nous sommes, notaires associés, très agréablement surpris par le soutien et l'attitude de nos collaborateurs. Ils nous aident à affronter cette période difficile, à vivre pour tout le monde", précise Me Marie Monmarché. "En cela, la crise sanitaire est une bonne chose pour la filière".
Le marché de l'immobilier à l'arrêt
Ce n'est une surprise pour personne, évidemment. Le marché de l'immobilier est à l'arrêt depuis le 17 mars, depuis le début du confinement. Les agences immobilières ne peuvent plus faire de visites aux futurs acquéreurs. Quand on leur demande de répondre à la question sensible de l'après confinement, un temps de silence précède plusieurs scénarios. Bien sûr la comparaison avec 2008 et la crise des subprimes est inévitable, selon Me Monmarché :
On n'est pas si pessimiste que cela. En 2009, après la crise de 2008, la fin d'année avait compensé le très mauvais début d'exercice. C'est peut-être ce qui va se passer, on le souhaite en tout cas.
Nathalie Louhaut, notaire dans le sud est du département, évoque une parenthèse possible qui pourrait se refermer si tôt le confinement levé. "Après 2-3 mois d'arrêt du marché de l'immobilier, nous perdrions 1/4 de notre chiffre d'affaire de l'année donc ce serait acceptable. Mais je vous rappelle que les droits de mutation que nous percevons au nom de l'Etat (appelés également les droits d'enregistrement) représentent 7 % sur une vente. 4,5 % vont directement aux conseils départementaux pour financer notamment le revenu de solidarité active (RSA), 1,2 % sont pour les communes et 0,815 % pour les notaires. Donc si nous ne travaillons pas, les collectivités auront moins de rentrées d'argent en faveur des plus démunis, c'est une réalité."
Les notaires ne souhaitent pas l'envisager mais la crise économique pourrait supplanter la crise sanitaire. Et dans ce cas-là, si cette fameuse parenthèse n'était pas refermée, deux scénarios pourraient arriver, l'un plutôt favorable pour la filière, l'autre beaucoup moins. Première hypothèse, les Français qui le pourront financièrement se réfugieront dans la pierre comme cela a été souvent le cas dans l'histoire moderne. L'inconnu serait alors le nombre de transactions immobilières.
Deuxième hypothèse, la plus préoccupante, les Français connaissent une perte de leur niveau de vie, les banques renoncent à prêter de l'argent et c'est toute une économie réelle qui en pâtit. Mais, comme aime à le rappeler la présidente de la chambre des Notaires du département d'Indre-et-Loire, économie et immobilier évoluent en cycles.
"On le savait depuis 2010, il y aurait une fin à cette période très faste dans le secteur de l'immobilier. L'année dernière a été une année record, il va y avoir cet effet d'atterrissage. Les prix vont arrêter de grimper, ça c'est la seule certitude."